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Wakashio, cinq ans après : Le naufrage d’une nation sans boussole

25 juillet 2025, 06:40

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Le 25 juillet 2020, à 19 h 25, un monstre d’acier s’est encastré dans la frêle barrière de corail de Pointe-d’Esny. Et c’est tout un pays qui a commencé à couler. Cinq ans plus tard, ce n’est pas la mer qui nous menace. C’est notre propre incompétence. Notre opacité institutionnelle. Notre refus systématique d’apprendre, d’assumer, d’évoluer. L’affaire Wakashio ne devrait plus être un scandale environnemental. Elle est devenue un scandale d’État.

À ce jour, le rapport de la Court of Investigation reste introuvable, invisible, inavoué. Et pourtant, les rapports étrangers – Panama, Japon, France – sont accessibles en ligne. Cherchez l’erreur. Pendant que les Japonais et les Panaméens dissèquent la chaîne des responsabilités avec méthode, nos autorités préfèrent invoquer de prétendues «enquêtes en cours» pour maintenir l’omerta. Cinq ans plus tard, il serait temps de comprendre que cacher la vérité ne la dissout pas. Elle fermente.

Il y a d’abord la première dissonance : en décembre 2024, le ministre de l’Économie bleue, Arvin Boolell, répond à une question parlementaire sans mentionner que le rapport est entre les mains du DPP. Puis, quelques mois plus tard, face caméra, il affirme que ce même rapport ne peut être publié à cause d’une enquête policière. Deux versions. Deux vérités. Une seule constante : le silence organisé.

Mais au-delà des silences, il y a les manquements. Les omissions. Les responsabilités escamotées. Le 25 juillet 2020, le MV Wakashio est repéré à 11,5 milles nautiques de nos côtes. Or, la procédure veut qu’un navire soit appelé dès qu’il entre dans les 12 milles. Ce n’est qu’à 20 h 08 – soit plus de 40 minutes après l’échouement – que le premier appel VHF est enregistré. En clair : on n’a rien vu venir. Pire : on a maquillé les horloges. Car dans sa déclaration au Parlement, l’ancien Premier ministre affirmait que l’appel avait été lancé à 18 h 15. Une version démentie par les registres certifiés du Mauritius Radio Service et confirmée par le Bureau japonais des enquêtes sur les accidents maritimes.

Cette dissonance temporelle n’est pas qu’une erreur technique. Elle est la preuve d’une falsification narrative. Un mensonge institutionnalisé, couvert par l’immunité parlementaire. Et pendant que les autorités jouaient à la politique-fiction, des citoyens – eux – se jetaient littéralement à l’eau. Avec des cheveux, des chiffons, des filets artisanaux, ils ont tenté de sauver ce qui pouvait encore l’être. Ces mains nues ont sauvé notre honneur.

Et que dire du sabordage prématuré de la proue du Wakashio, coulée à 13 milles au large, sans Environmental Impact Assessment digne de ce nom ? Ou de l’étrange silence du Director of Shipping, pourtant investi de pouvoirs décisifs sous la Merchant Shipping Act, qui a laissé les opérations de sauvetage s’effectuer sans supervision suffisante, autorisant l’inondation du compartiment arrière – cause directe de la fracture de la coque ?

Les contradictions s’empilent comme les dossiers mal rangés d’un État défaillant. Un État qui n’a pas signé le protocole LLMC de 1996, préférant rester assujetti à la version de 1976, plafonnant la responsabilité à 18 millions de dollars au lieu des 65 millions possibles. Un manque de vision juridique dont on paie le prix fort : à ce jour, le propriétaire du Wakashio n’a versé qu’une infime partie des réparations.

Et les ministres ? Ramano, Maudhoo, Husnoo ? Tous disparus des radars. Aucun mot d’excuse. Aucun bilan. Aucune réforme structurelle. La tragédie est devenue une photo floue sur Instagram. Le MV Wakashio ? Un lointain souvenir qui n’arrange personne. On préfère parler du prochain gala socioculturel ou du dernier programme de réhabilitation des plages pour touristes.

Mais soyons lucides : le véritable naufrage n’est pas celui d’un vraquier japonais. C’est celui de nos institutions. De notre gouvernance maritime. De notre responsabilité politique. Il faut plus qu’un lagon turquoise pour être un État océanique. Il faut des hommes d’État. Il faut des capitaines.

Cinq ans après, les seules balises de ce pays restent les citoyens eux-mêmes. Ce sont eux qui doivent rappeler à l’ordre. Réclamer la publication immédiate du rapport. Exiger des réformes. Et ne plus se contenter d’un story telling d’État en guise de boussole.

Car la mer, elle, n’oublie pas. Elle garde la mémoire de nos négligences, de nos retards, de nos renoncements. Et le jour où elle se lèvera de nouveau, qu’aurons-nous appris du Wakashio ? Rien, si nous persistons à naviguer à vue.

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