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Interview…

Natasha Hardin : «Les violences conjugales sont encore trop souvent tues, banalisées ou invisibles»

5 juin 2025, 16:00

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Natasha Hardin : «Les violences conjugales sont encore trop souvent tues, banalisées ou invisibles»

Natasha Hardin, coach professionnel et référente en violences conjugales en entreprise au sein du réseau Verbateam

Coach professionnelle et facilitatrice en leadership, Natasha Hardin, Mauricienne installée à La Réunion, s’engage à soutenir ses concitoyens où qu’elle soit. Référente en violences conjugales en entreprise au sein du réseau Verbateam, elle joue un rôle clé dans l’écoute et l’orientation des victimes. Une démarche qui prendrait tout son sens à Maurice où les chiffres sont alarmants : selon les dernières données publiées en juillet 2024 par Statistics Mauritius, 52 % des 10 101 agressions recensées en 2023 visaient des femmes. Parmi elles, 56 % connaissaient leur agresseur. De plus, 62 % des violences ont eu lieu dans le cadre privé du foyer. Dans cet entretien, elle souligne l’importance du soutien de l’entreprise dans la prise en charge de ces violences.

Pouvez-vous expliquer votre rôle en tant que référente de violences conjugales en entreprise ?

Mon rôle est avant tout d’être un maillon clé dans la chaîne d’écoute et d’orientation des victimes. Je ne suis ni une psychologue ni une assistante sociale, mais une interlocutrice sensibilisée pour accueillir la parole de manière bienveillante, confidentielle et sans jugement. Mon objectif est de repérer les signaux faibles, d’écouter activement, puis, d’orienter vers les dispositifs d’aide adaptés tels que juridiques, médicaux, psychologiques.

Quels signes ou comportements peuvent alerter qu’une collègue est victime de violences conjugales ?

Certains signes peuvent alerter : des absences répétées, des baisses de performance, un isolement social, une vigilance excessive au téléphone, la présence d’un conjoint très intrusif ou encore une expression émotionnelle «anesthésiée». Ce sont des indices qui, pris ensemble, peuvent signaler une situation de violences.

Selon vous, pourquoi est-il important d’instaurer ce type de dispositif dans les entreprises à Maurice ?

Parce que l’entreprise est un lieu où la victime passe une grande partie de sa journée. C’est parfois le seul endroit où elle peut souffler ou sortir de l’emprise. Créer un espace de confiance au sein de l’environnement professionnel permet de libérer la parole et d’enclencher un processus de protection et d’accompagnement. Aussi, l’un des principaux freins à la séparation des victimes de leur agresseur est souvent la dépendance financière. Dans ce contexte, la pire décision serait de mettre fin à leur contrat de travail.

À Maurice, comme ailleurs, les violences conjugales sont encore trop souvent tues, banalisées ou invisibles. Ce type de dispositif permet de briser le silence et d’ancrer une culture d’égalité et de bienveillance au travail. En tant que cheffe d’entreprise, je tiens aussi à mettre en lumière une réalité souvent méconnue : des femmes dirigeantes subissent elles aussi des violences, notamment morales et psychologiques, de la part de conjoints qui vivent mal leur réussite et leur visibilité dans la société.

Le dispositif a été mis en place à La Réunion. Quels sont les premiers retours ou impacts observés ?

Les retours de La Réunion sont très encourageants. Le dispositif, à l’initiative de Samantha Nahama du Club innovons pour l’emploi, en collaboration avec la Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité, Anne-Laure Albisetti, présidente URPS infirmiers océan Indien, cocréatrice et formatrice, et Frédéric Rousset, président du Collectif pour l’élimination des violences intrafamiliales (CEVIF), psychologue, cocréateur et référent expert, a permis de constituer un véritable réseau de référentes : Verbateam (nom inspiré du documentaire Verbatim de Sabrina Hoarau, réalisatrice engagée). Ces trentaines de référentes sont soutenues et sensibilisées régulièrement. Les victimes ont pu identifier dans leur entreprise des personnes-ressources, ce qui a facilité les premières démarches d’aide. Ce réseau a permis de créer un climat propice à la libération de la parole, avec des effets visibles sur le bien-être au travail mais aussi sur la responsabilisation collective.

Quel impact pensez-vous que ce dispositif peut avoir sur la prévention et la prise en charge des violences conjugales à Maurice ?

L’impact est double : préventif et curatif. En prévention, il favorise la sensibilisation des salariés et salariées, la formation des managers et la déconstruction des stéréotypes. En termes de prise en charge, il permet de détecter plus rapidement les cas, d’accompagner sans jugement et d’orienter efficacement les victimes. Ce type d’action contribue aussi à faire évoluer la culture d’entreprise vers plus d’égalité, de respect et d’écoute – ce qui profite à toutes et tous.

Beaucoup de victimes hésitent encore à parler de leur situation. Que diriez-vous à celles qui n’osent pas demander de l’aide dans leur environnement professionnel ? Comment les référentes peuventelles les soutenir pour créer un climat de confiance ?

Je leur dirais qu’elles ne sont pas seules et que leur parole sera accueillie sans jugement. Il n’y a aucune honte à subir une situation de violence et demander de l’aide est un acte de courage, pas de faiblesse. En tant que référente, je suis formée pour écouter avec empathie, garantir la confidentialité et surtout, ne rien brusquer. Le respect du rythme de la victime est essentiel. La confiance se construit par des échanges humains sincères, dans un cadre sécurisant. C’est à nous, référentes, de poser ce cadre, d’être disponibles, mais jamais intrusives.

Quelles difficultés ou limites ce dispositif peut-il rencontrer dans notre contexte local ?

Les principales limites résident dans les tabous culturels et la peur du regard des autres. À Maurice, comme dans beaucoup de sociétés, les violences conjugales sont encore perçues comme une affaire privée. Il peut donc être difficile d’amener les entreprises à s’impliquer ou les victimes à se confier. Il y a aussi le manque de ressources locales spécialisées, notamment pour une prise en charge psychologique rapide. D’où l’importance de tisser un réseau solide de partenaires associatifs, médicaux et juridiques.

Comment sensibiliser les entreprises et les salariés à l’importance de ce dispositif ?

La première étape est d’informer via des sessions de sensibilisation, des témoignages et des outils concrets, comme le «violentomètre» ou les simulations d’entretien. Il faut ensuite impliquer les directions des ressources humaines et les managers pour qu’ils soutiennent la démarche. Enfin, communiquer en interne sur la présence des référentes, leur rôle, et comment les contacter est essentiel pour rendre le dispositif vivant et visible. Plus les salariés et salariées seront informé(es), plus ils ou elles auront confiance pour s’y appuyer. En tant que Mauricienne, pouvoir aider mes concitoyens, même de l’étranger, me tient à cœur. Je reste à la disposition des entreprises et institutions pour une mise en relation avec l’équipe Verbateam.

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Agir efficacement en entreprise : un dispositif reposant sur trois piliers essentiels à la réunion

En 2023, les forces de sécurité ont recensé 271 000 cas de violences conjugales en France, soit une hausse de 10 % par rapport à 2022. À La Réunion, le taux de victimes est plus élevé qu’au niveau national, avec 14,6 %. Depuis 2015, 21 féminicides y ont été comptabilisés. Ces chiffres alarmants ont conduit à la création d’un dispositif dans les entreprises réunionnaises : des référentes formées pour écouter sans jugement les victimes et les orienter vers les structures adaptées.

Ce programme est porté par le Club innovons pour l’emploi, la Préfecture de La Réunion (Direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité), ainsi que par AnneLaure Albisetti, infirmière et présidente de l’URPS infirmiers océan Indien, et Frédéric Rousset, psychologue et président du CEVIF. Ensemble, ils assurent la formation, le suivi et le soutien des référentes. Le dispositif, conçu pour agir dans un espace stratégique comme l’entreprise, repose sur trois piliers : la formation aux mécanismes des violences et à l’écoute bienveillante, un accompagnement régulier avec des retours d’expérience et un groupe de soutien, ainsi que la mise en réseau entre entreprises et ressources locales telles qu’associations, avocats, médecins, travailleurs sociaux.

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