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Ni Bodha ni Bhadain…

24 juillet 2025, 09:00

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Ni Bodha ni Bhadain…

…Ou la difficile gestation d’un troisième souffle ! Le gouvernement a trahi. C’est du moins ce que pense une majorité silencieuse. 81 % des Mauriciens (sondés par Afrobarometer) ne se sentent proches d’aucun parti politique. Le plus fort taux de désaffiliation partisane en Afrique. Une claque pour nos partis politiques et pour notre démocratie électorale, nourrie de fidélités dynastiques et de pactes d’intérêts pluriels.

Et dans ce désert de représentativité, surgissent deux figures : Nando Bodha, en costume de Premier ministrable recyclé, et Roshi Bhadain, en challenger autoproclamé du système, qui espère incarner l’alternative à la fois à Ramgoolam et à Jugnauth. Deux hommes. Deux trajectoires. Deux ego. Une seule ambition : occuper le vide.

La proposition de Bodha de constituer une plateforme «démocratique, pacifique, mais profondément révolutionnaire» pour reconstruire un pays en décomposition sociale et morale a, sur le papier, quelque chose de fédérateur. L’homme a l’expérience, la posture, le verbe modéré. Il a surtout été adoubé par Paul Bérenger (alors adversaire farouche de Navin Ramgoolam), qui l’avait déjà poussé à se positionner comme Premier ministrable au sein de L’Espoir. Il revient avec le même pari, le même branding : l’homme propre, modéré, respectable.

Mais voilà, Bodha n’agrège pas. Il segmente. Ses appels à l’unité tombent à plat. Son flirt maladroit avec le MSM, sous prétexte d’union nationale, rebute ceux qui voient en ce parti le principal artisan de la dérive institutionnelle actuelle. Ses anciens partenaires de Linion Moris, comme En Avant Moris ou le Ralliement citoyen pour la Patrie, le fuient comme un revenant suspect. Son ancien allié, Roshi Bhadain, ne lui parle même plus.

Bodha est seul. Et c’est peut-être ce qui le perd.

De l’autre côté de l’échiquier, Roshi Bhadain joue une autre carte : celle du refus catégorique du système binaire. Son slogan est simple, efficace, viral : Ni Pravind, ni Navin. Il surfe sur la déception généralisée envers les deux grandes dynasties politiques, qu’il accuse à mots à peine couverts de prendre le pays en otage depuis des décennies. Il organise des meetings sans alliances, bâtit son parti comme une start-up politique, et mise sur une base jeune, mobile, connectée. Il ne veut pas être «monte lor ledo Reform Party». Il veut tracer sa propre route.

Mais Bhadain aussi peine à transformer l’essai. S’il galvanise une certaine jeunesse urbaine, il reste clivant. Trop vertical dans sa communication, trop rapide dans ses ruptures, il laisse derrière lui des alliances éphémères, des partenaires frustrés. Il a cassé Linion Reform dès les lendemains des élections. Il multiplie les prises de parole en solo. Et il agace et est censuré par la MBC d’Alain Gordon-Gentil. Son principal obstacle n’est pas le système. C’est le manque de relais. Il dirige un parti, pas une alliance. Et il reste à prouver qu’il pourra tenir une coalition en cas d’élections générales anticipées.

En toile de fond, une réalité tenace : le cycle Ramgoolam-Jugnauth n’est pas encore mort. Malgré l’impopularité croissante, malgré la réforme brutale des pensions, malgré les topups supprimés par la MRA, les électeurs restent méfiants face au vide. Comme le disait l’essayiste et journaliste américain, H.L. Mencken, «les gens préfèrent un mal connu à un bien incertain». Tant que la peur du chaos sera plus forte que la promesse du changement, les électeurs continueront à choisir la stabilité, même frelatée.

Mais il y a urgence. Le «cyclone social» décrit par Bodha est réel. Les jeunes veulent partir. Les retraités s’appauvrissent. Les classes moyennes s’effondrent. Et l’opposition, au lieu de proposer un front uni, se déchire sur les ego, les ambitions et les soupçons d’agendas cachés.

Le MSM jubile. Chaque division chez l’adversaire est une garantie de survie. Beaucoup d’eau va encore couler sous les ponts. Le pouvoir joue la montre. Et espère que la lassitude populaire se transformera en résignation.

Alors, où en sommes-nous ? Peut-on espérer une refondation politique qui ne se limite pas à changer de casting ?

La réponse dépendra de trois choses :

1. La capacité de Bodha et de Bhadain à dépasser leurs antagonismes personnels pour penser le pays avant leur ego.

2. La volonté réelle des partis extra-parlementaires de sortir du commentaire pour construire une vision commune.

3. Et la mobilisation des 81 % de Mauriciens qui ne se reconnaissent plus dans aucune formation politique.

Ce sont eux les véritables faiseurs de roi de demain. Ces électeurs sans parti, qui ne votent plus par conviction, mais par défaut. À eux de dire si le cycle Ramgoolam-Jugnauth doit prendre fin. Et si, enfin, une autre histoire peut s’écrire sans les dynasties connues de la place, qui sentent le terrain glisser lentement mais sûrement sous leurs pieds… quand elles osent descendre sur le terrain sans gardes du corps, ni casques intégraux ni gilets pare-roches — comme disait Bhagwan.

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