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Agaléens bloqués à Maurice

Océan de désespoir

10 septembre 2023, 16:00

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Océan de désespoir

Plusieurs familles agaléennes n’ont pu prendre place à bord du «Mauritius Trochetia», qui a quitté Maurice hier. Malgré plusieurs semaines de démarches, le bureau de l’Outer Island Development Corporation (OIDC) n’est pas revenu sur sa décision, laissant ces familles venues à Maurice il y a quelques mois pour des raisons médicales ou personnelles dans une situation encore plus précaire. Prises au piège de l’injustice, de l’incertitude et de l’indifférence, certaines de ces familles nous racontent leurs réalités, leurs défis quotidiens et leur quête d’une vie meilleure. Témoignages...

Francesca Menes: «Je quitte mes enfants seuls pour aller travailler»

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Francesca Menes vit actuellement chez sa mère à Rivière-des-Galets. Son époux, ses trois enfants et elle occupent une petite chambre dans la maison maternelle, et elle a droit à une petite cuisine et des toilettes qui se trouvent à l’extérieur de la maison. «On est venu à Maurice car mon époux suit des traitements pour la goutte.Dans sept mois,il a un autre rendez-vous.Depuis que je suis là,je travaille au bureau de l’OIDC à Port-Louis et je quitte la maison tous les jours à 5 h 45 pour retourner après 18 heures.Mon époux travaille aussi. Les enfants restent seuls tous les jours,et je ne peux pas compter sur ma mère pour les garder.Ils ont entre 6 et 12 ans. À Agaléga,au moins,j’avais mon chez-moi, et mes enfants étaient en sécurité», raconte cette maman. Elle se bat au quotidien pour nourrir sa famille et subvenir à leurs besoins essentiels. «On ne sait plus jusqu’à quand il faudra vivre dans de telles conditions,et nous ne comprenons pas pourquoi on ne nous donne pas la place pour partir. La vie est dure», ajoute Francesca, qui espère toujours que l’OIDC trouvera une solution au plus vite.

Jennifer Louis: «Nous vivons à sept dans une chambre»

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Elle n’avait jamais pensé se retrouver dans une telle situation. La famille Louis se retrouve aujourd’hui dans une impasse complexe. Elle loue une chambre depuis le mois de juin pour Rs 6 000 à Lallmatie. «C’est une maison de trois chambres, les deux autres pièces sont occupées par deux autres familles,que nous avons rencontrées à notre arrivée. Nous sommes donc sept à vivre dans une seule pièce. Mon mari, mes deux enfants, ma sœur et ses deux enfants,et moi-même.Savez-vous comment c’est de vivre avec six autres personnes,de dormir dans une seule pièce pendant des mois ?», lâche Jennifer Louis, visiblement à bout.

Elle est arrivée à Maurice en juin en compagnie de sa famille car sa fille devait se faire opérer. L’intervention complétée, elle devait retourner ce mois-ci à Agalega car elle doit reprendre le travail. Son mari et elle travaillent comme general workers à l’OIDC. «C’est dur,nous ne travaillons pas ici et nous sommes à court d’argent. Il faut en trouver pour les dépenses quotidiennes,et là nous n’avons plus de congé. Les salaires vont être coupés.Nous partageons une seule cuisine,une salle de bains et les toilettes à 15 personnes. Ce sont des conditions inhumaines dans lesquelles nous vivons. Nous sommes venus à Maurice parce qu’on n’avait pas le choix. Il fallait que ma fille de six ans se fasse opérer», déplore Jennifer, qui n’en peut plus. Elle concède qu’il n’y a aucune garantie sur la date de retour et craint que les jours à venir ne soient encore plus pénibles.

Steeve Samuel:«Ma femme est venue accoucher à Maurice»

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L’accès limité aux soins de santé étant un problème majeur à Agalega, Melissa Samuel est venue à Maurice en février pour accoucher. Elle est arrivée seule et son mari Steeve l’a rejointe en mai. «Monn bizin fer bel démars pou mo resi vini. Zot pa ti pé les mwa vini aster pa pé kapav réalé»,ironise Steeve Samuel. Le couple vit à Baie-du-Tombeau chez les beaux-parents. «Chaque jour est une bataille pour simplement survivre. Les emplois sont rares, le logement est cher, et nous sommes impuissants. Depuis le mois dernier,nous ne percevons plus l’allocation de Rs 4 000 de l’OIDC. Comment allons-nous faire ?»

Steeve concède qu’il doit cumuler des petits boulots pour se faire un peu d’argent, car étant bloqué à Maurice, il a déjà perdu son travail. La recherche d’emploi se révèle être une tâche ardue à Agalega. Steeve n’a pas reçu de formation professionnelle, et la discrimination à l’embauche à l’égard des Agaléens est un obstacle constant. Le jeune père déplore que les Indiens qui sont sur l’île sont privilégiés pour les emplois, alors que des jeunes couples restent au chômage. «Je travaillais pour Afcons (NdlR, la compagnie indienne chargée des travaux à Agalega) et je ne suis pas sûr de pouvoir y retourner à mon retour. Depuis ma naissance, je vis à Agalega, toute ma famille y est. Là-bas, j’avais mon petit coin et ma famille...». Malgré leur situation désespérée, les Agaléens montrent une incroyable résilience. Ils cherchent toujours à se faire entendre et demandent que le bureau de l’OIDC trouve une solution rapide à leur problème.

Ludovic Louis: «Je suis sans domicile depuis hier»

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La sœur de Ludovic Louis a pu partir sur le Mauritius Trochetia hier. Il habitait chez elle à Lallmatie depuis son arrivée à Maurice en juin, et avec le départ de sa sœur hier, il s’est retrouvé à la rue. «Ma sœur est partie et je n’ai plus de toit.Je suis retourné à l’OIDC,et toujours aucune solution. Où vais-je vivre ? Je me sens perdu,sans aucun endroit où aller», se demande le jeune homme qui a dû faire le déplacement à Maurice pour des raisons personnelles. Ludovic garde tout de même espoir malgré les difficultés...

agalega.jpg Certaines familles dorment à sept dans une pièce... Alors que 15 personnes utilsent les mêmes toilettes et une salle de bains...

Lokater vinn propriéter...

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Marie, Ahwane, Stive, Agathine, Menes et Louis... Retenez bien les noms de ces familles agaléennes. Au moment où, à New Delhi, Jugnauth et Modi discutent des infrastructures militaires indiennes quasi opérationnelles à Agalega (comme le montrent ces photos prises ci-dessous prises vendredi), les locaux, dont ces familles susmentionnées, peuple à part entière de la République, continuent, eux, de pâtir.

Ainsi, 55 ans après l’Indépendance, les Agaléens ne sont pas uniquement privés de services de santé appropriés et accessibles et d’un système éducatif égal à celui du reste de la République, pour ne citer que ceux-là, mais ils sont également laissés sur la touche. Au profit des travailleurs indiens et des fonctionnaires. Pourtant, il ne s’agit que de regagner leur chez-soi dans l’archipel après leur séjour médical sur l’île principale, faute une fois encore, de ces services fondamentaux à Agalega.

La priorité sans équivoque pour le Bureau du PM responsable des îles éparses : la base militaire indienne. Une appellation démentie maintes fois et ouvertement au Parlement par Pravind Jugnauth lui-même alors que pas plus tard que cette semaine, la défense indienne a appelé un chat, un chat, dans un article publié sur son site idrw.org et intitulé «Overseas Indian Military Base at Agalega Island in Mauritius nears completion». Rien de plus déshumanisant !

Indiens, essence et diesel prennent place à bord du Mauritius Trochetia...

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Ils font partie des chanceux qui ont pu prendre place à bord du Mauritius Trochetia, hier matin. Il s’agit des membres des familles Jasmin et Jean-François. Pourquoi eux ? Pourquoi pas les autres ? «Une des familles a trois enfants qui prendront part aux examens dont des jumeaux pour le PSAC et un qui est en Grade 8. Quant à l’autre famille, nous ne savons pas pourquoi elle a été acceptée à bord.Toujours est-il que les autres familles agaléennes attendent toujours dans une angoisse permanente», confie une dame.

Ceux qui se sont rendus à l’Aurélie Perrine Passenger Terminal hier matin ont dès lors tenu à dénoncer le fait que des Indiens de la compagnie Afcons, eux, ont pris place à bord du bateau, au détriment des Agaléens eux-mêmes. Une interlocutrice, venue déposer un colis pour des proches, se dit attristée, choquée, révoltée. «Je peux vous dire que j’ai vu de mes propres yeux plusieurs Indiens et des délégations mauriciennes, des officiels de plusieurs départements gouvernementaux, qui s’apprêtaient à monter à bord. Il fallait privilégier les natifs car nous avons nos vies là-bas.En plus de cela,la situation dans laquelle nous nous trouvons à Maurice est extrêmement difficile.» De plus, selon nos sources, il n’y avait pas «plus de place» pour accommoder toutes les familles en raison de la dangerosité des cargos à bord du Trochetia – de l’essence et du diesel... Et le prochain départ n’est prévu qu’à la fin de cette année.

Une dame faisant partie de la famille Jasmin, qui était du voyage, a brièvement expliqué qu’elle laisse derrière un frère à Maurice, qui n’a pu obtenir de place sur le Trochetia. «C’est chagrinant car mon frère habitait chez moi,maintenant avec notre départ, il devra chercher un endroit où habiter le temps qu’une solution pour son retour à Agalega soit trouvée.»

Pour rappel, dans un premier temps, la possibilité de solliciter le Dornier avait également été envisagée mais l’appareil ne peut accommoder tous les d’Agaléens bloqués à Maurice. Pourquoi ne pas effectuer plusieurs voyages ? Personne n’est en mesure de le dire. En attendant, les autorités chercheraient toujours une solution...