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Judiciaire
Opacité et frustrations de magistrats transférés
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Judiciaire
Opacité et frustrations de magistrats transférés
Les transferts et promotions dans le judiciaire, orchestrés chaque année par la «Judicial and Legal Service Commission» et validés par la cheffe juge, soulèvent interrogations et frustrations parmi les concernés. Ces déplacements de magistrats et d’officiers du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) vers la magistrature ou le bureau de l’«Attorney General» (AG) se font sans le consentement explicite des personnes affectées et la décision est incontestable.
L’inquiétude grandit avec la perception que ceux impliqués dans la gestion de dossiers sensibles ou «brûlants» ont été les premiers à être relocalisés alors qu’ils ne figuraient pas dans le groupe qui devait être transféré. Des magistrats récemment transférés expriment ainsi une vive frustration, et soulignent l’impact significatif de ces changements sur leur travail et leur performance. La pratique de solliciter formellement l’acceptation des magistrats dans leur lettre de transfert, tout en qualifiant la décision d’incontestable et de finale, met en exergue une dissonance entre l’apparence de choix et la réalité de l’obligation. La formule «inform whether you accept» dans la lettre de transfert semble offrir une ouverture au dialogue et à la prise en compte des souhaits individuels, mais la réalité est toute autre.
L’absence de transparence et de communication autour des critères et raisons du transfert alimente un climat de méfiance et d’insécurité parmi de nouveaux magistrats. Ce manque de clarté donne lieu à des perceptions de favoritisme ou de sanction déguisée. Certains qui se trouvaient dans la cohorte devant être transférée bien après ont déjà été mutés à la magistrature. Des avocats du bureau du DPP, qui ont reçu leur lettre de transfert il y a un mois, ont tenté de faire part de leur réticence à déménager à la cheffe juge. Cependant, il leur a été clairement dit que, sauf s’ils pouvaient fournir des preuves appuyant une «raison valable» pour leur refus, ils n’avaient pas d’autre choix que d’accepter.
«On nous a fait comprendre qu’on n’a pas le droit de refuser, car ce serait de l’insubordination. Si on avait des contacts, peut-être qu’on aurait pu le faire. Il est insoutenable de perpétuer le système actuel où l’on peut passer d’avocat du bureau du DPP à magistrat ou encore de magistrat à avocat au bureau de l’AG, puis à avocat au DPP. Il devient impératif d’établir des parcours distincts : un pour ceux aspirant à devenir magistrats et juges, un pour ceux orientés vers l’élaboration de politiques, notamment au bureau de l’AG, et un autre pour ceux qui souhaitent continuer leur carrière d’avocat de la poursuite», soutiennent ceux concernés.
Moins performant
Des jeunes magistrats expriment leur mécontentement face au fait que des décisions soient prises à leur égard sans que les raisons ne leur soient jamais communiquées. Ils soulignent également que certains magistrats, transférés au bureau du DPP il y a quelque temps, sont retournés à la magistrature. Ils s’insurgent en remarquant que les raisons de ces retours seraient clairement liées au fait que certains n’auraient pas réussi à assurer leurs responsabilités en tant qu’avocats de la poursuite ou alors qu’ils auraient bénéficié de privilèges non justifiés. Ces transferts, disent-ils, entraînent des répercussions négatives sur la performance et l’efficacité du système judiciaire. «Des magistrats placés contre leur gré dans des positions où ils se sentent moins compétents, moins engagés, ou sont tout simplement mécontents,sont susceptibles d’une moindre performance. De plus, cela peut affecter la perception publique de l’impartialité et la compétence du système judiciaire, éléments clés de la confiance de la population dans la justice.»
Amalgame entre judiciaire et exécutif
Ces professionnels sont catégoriques que chaque avocat ne peut pas devenir magistrat, soulignant que chacun a sa vocation spécifique. Ils considèrent que les transferts ne représentent pas une promotion mais plutôt une rétrogradation forcée. Travailler dans un environnement qui ne correspond pas à leurs aptitudes et aspirations engendre la frustration, et a un impact négatif sur la qualité du travail. Cela explique, selon eux, pourquoi certains magistrats rencontrent des difficultés à rédiger des jugements de qualité. Ils insistent sur le fait que ce n’est pas une question de compétence, mais plutôt le résultat des différences dans la formation et la vocation entre un magistrat et un avocat. «La séparation des parcours peut aider à maintenir l’intégrité et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle minimise les conflits d’intérêts qui pourraient survenir lorsque des individus alternent rôles de jugement et positions où ils représentent l’État ou poursuivent des affaires contre des individus ou entités.» Ils font d’ailleurs ressortir que «l’amalgame entre le judiciaire et l’exécutif est dangereux car il peut donner l’apparence d’un conflit d’intérêts. Un avocat de la défense peut trouver ambigu le fait qu’un magistrat examine un procès mené par l’un de ses anciens collègues de la poursuite».
Retards et incompréhensions
Le fait que ces avocats transférés abandonnent des dossiers complexes qu’ils géraient au bureau du DPP pour reprendre à zéro, une fois à la magistrature, pose un problème majeur. Cela entraîne un retard considérable dans la gestion des affaires. D’autre part, ils abandonnent les dossiers sur lesquels ils travaillaient au bureau du DPP et ces cas sont souvent laissés entre les mains de nouveaux venus qui doivent se familiariser aux détails et aux subtilités de chaque dossier. «Certains dossiers en cours nécessitent une compréhension approfondie des faits et des procédures antérieures, et le changement d’effectif peut entraîner retards et incompréhensions, au détriment des parties impliquées dans ces affaires. Il y a des affaires qui durent depuis plus de huit ans parce que les magistrats ont été changés à plusieurs reprises.»
Ces jeunes professionnels résignés soulignent l’importance d’établir un mécanisme indépendant d’examen des décisions de transfert afin de leur offrir une voie de recours objective. Cela, insistent-ils, contribuerait à renforcer l’équité du système et à réduire le sentiment d’impuissance face aux décisions unilatérales. Les instances de gouvernance judiciaire devraient adopter une approche plus participative et transparente dans la gestion des carrières des state lawyers. Les frustrations exprimées par ces magistrats transférés doivent donc être prises au sérieux, comme un signal nécessitant une réévaluation des pratiques actuelles.
Départs non remplacés au bureau du DPP
Alors que plusieurs avocats du bureau du DPP sont mutés à la magistrature chaque année, le contraste avec le recrutement au sein de ce bureau est frappant : aucun nouveau recrutement d’avocat n’a été effectué depuis plus de deux ans, malgré les départs. Cette disparité crée une pression accrue sur ceux restant, qui se retrouvent souvent à gérer un nombre de dossiers croissant, sans avoir été renforcés en personnel pour faire face à cette charge supplémentaire. La situation est également problématique pour ceux qui quittent la magistrature pour rejoindre le bureau du DPP. Souvent, ils se retrouvent mal à l’aise et manquent de compétences spécifiques pour mener à bien des dossiers épineux en tant qu’avocats de la poursuite. Il est impératif de pourvoir les postes vacants au bureau du DPP par le recrutement de nouveaux professionnels juridiques pour réduire la pression sur le personnel existant et améliorer la qualité des services. Il importe aussi de souligner que le DPP n’a aucun mot dans ces transferts bien qu’il s’agisse de son personnel, avec qui il travaille souvent conjointement sur des affaires.
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