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Kronik KC Ranzé
Où est notre poney?
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Kronik KC Ranzé
Où est notre poney?
L’histoire qui suit a été racontée par Ronald Reagan au début de son mandat présidentiel.
Une famille dans le Midwest des États-Unis est désespérée de ses jumeaux, des garçons de 7 ans. L’un est un éternel pessimiste et l’autre, est tout le contraire, un optimiste invétéré. Tout ce qu’ils tentent comme parents pour les faire converger, y compris des passages chez des psys, n’y change rien. Les parents décident donc une manoeuvre désespérée. Pour la Noël, les parents remplissent la chambre du premier, le pessimiste, d’une foultitude de cadeaux, les uns plus intéressants que les autres. Pour le second, on remplit sa chambre de fumier de cheval…
Au matin de Noël, les parents vont d’abord dans la chambre du pessimiste pour constater l’effet de leur générosité, mais ils y retrouvent essentiellement le même petit bonhomme pessimiste : «Ce camion de pompier est bien, mais je suis sûr que la pile électrique ne va pas durer» ou encore, en soupirant : «Ce jeu de Lexicon paraît attirant, mais il y a bien trop de mots à chercher !»
Un peu interloqués, ils se dirigent vers la chambre de l’autre jumeau et y trouvent un enfant hurlant de joie, fouillant le fumier avec allégresse, en jetant même de grandes poignées vers le plafond. «Qu’est-ce qui se passe, Tommy ?» dit la maman, après un moment de stupeur et Tommy de hurler : «Père Noël m’a apporté un poney ! Père Noël m’a apporté un poney !»
Reagan voulait ainsi illustrer son profond optimisme sur la vie, bien sûr, et c’est ce qui a peut-être aidé dans son dialogue avec Gorbachev et a mené à la chute du mur de Berlin, mais comme toutes les histoires illustratives, elle n’est finalement pas totalement appropriée puisqu’en fin de compte… il n’y a PAS de poney !
Je me suis remémoré cette histoire en pensant aux divers Budgets du ministre des Finances. Loin de moi l’idée de comparer certaines avancées sociales comme le salaire minimum ou la pension de vieillesse plus décente, à du fumier. Quand on pense à la vie de ceux qui sont au bas de l’échelle, on ne peut qu’approuver les initiatives qui tentent d’aider à une vie plus décente et moins difficile. Cependant, dans un contexte plus large, des aides éparpillées, disparates et non intégrées dans un plan d’ensemble, ne mèneront pas à des avancées durables et solides, comme seul peut le faire un plan basé sur de la rigueur et de solides gains de productivité ! Donner des roupies ‘compensatoires’, cela veut tout dire en plus : le gouvernement compense ceux qui sont au bas de l’échelle… pour le désordre et les dégâts dont il est lui-même d’ailleurs largement responsable.
Pour sûr, il y a eu le Covid et l’effet des lockdowns. Pour sûr, il y avait des décisions à prendre ; mais n’oublions pas que les finances budgétaires étaient déjà compromises avant la pandémie, le dernier Budget pré-électoral du ministre des Finances en poste en 2019, Pravind Jugnauth n’ayant alors, par exemple, même pas trouvé de la place pour augmenter la pension par plus que Rs 500, (à Rs 6 710). Ce Budget a pourtant été suivi, quelques mois plus tard, après la fringale électorale, par des pensions de Rs 9 000 ! Avec Rs 13 500 alors à l’horizon ! Qui allaient être financées comment ? Par la ‘payroll tax’ qu’est la CSG et qui sera insuffisante pour honorer même les promesses pré-Budget 2024 ? Le gouvernement n’est-t-il pas aussi responsable d’avoir fermé nos portes au tourisme beaucoup plus longtemps que la concurrence ? N’y a-t-il pas eu des gaspillages et des détournements de fonds en faveur de p’tits mignons, au prétexte de Covid ? Le gouvernement n’a-t-il pas alors profité pour pomper, de la planche à billets de la Banque centrale, jusqu’à Rs 73 milliards vers son Budget, ce qui, avec les Rs 25 milliards de plus qu’il siphonnait indirectement de la MIC pour Airport Holdings, aidait à faire glisser la roupie, alimentant l’inflation, mais lui permettait de financer «l’avenir» grâce à une TVA se droguant avidement d’inflation ?
Le vrai test du dernier Budget et de la politique gouvernementale dont il fait partie, c’est dans les supermarchés, les pharmacies et généralement dans tous les points de vente du pays que cela se passera…
Je n’ai pas de doute que le couple de ‘cleaners’ cité par Xavier-Luc Duval au Parlement existe bien et qu’il faut se réjouir de l’amélioration de son niveau de vie. Mais puisque nous sommes dans l’anecdotique, qu’est-ce qui s’est passé, en parallèle, avec le couple de classe moyenne qui touchait déjà aussi Rs 44 500 ? Il bénéficie de Rs 1 500 de plus ? Ce qui nous mène inévitablement à toutes les conséquences du réalignement des salaires qui arrive, pour ‘respecter’ les différentiels qui existaient «préalablement» et qui vont, dans le cas le plus logique, coûter extrêmement cher et peut-être générer une spirale inflationniste incontrôlable par ‘cost-push’ ! Les apprentis-sorciers voient-ils seulement les conséquences de leurs décisions ?
En parlant de quoi, le gaz ménager qui baisse c’est bien, mais cela ne pesait, avec l’électricité et les carburants divers, que 4,7 % au CPI …
A contrario du gouvernement actuel qui nous vend de l’optimisme (du fumier ?) de poney, celui de Singapour qui, pourtant, plus de huit fois plus riche que notre pays en PIB/tête, prône de la mesure et de la prudence, et récuse ce que son président, Tharman Shanmugaratnam, appelle le ‘magical thinking’ (*) de nombreux gouvernements qui dépensent sans prévoir pour l’avenir. Certains esprits coquins ont volontiers cité le ratio dette/PIB de Singapour de 167,8 % pour vanter celui, nettement plus bas de Maurice, même avec les ajustements quasi fiscaux de… Rs 153 milliards provenant de la BoM et de la MIC (95 % du PIB**). Ce qu’ils oublient de signaler c’est que le portefeuille d’investissements productifs de Singapour est nettement supérieur à son endettement… Sur une base nette, ils ne doivent RIEN. C’est loin d’être le cas mauricien !
Puisque, en fin de compte, chez nous, nous cachons, de honte, nos défaites sur le plan des énergies renouvelables hors du Budget (pas étonnant puisque la part du renouvelable a encore baissé de 19,2 % en 2022 à 17,2 % en 2023, alors qu’on a promis 60 % en 2030 !) ; que nous sommes bien en retard sur les 12 000 logements sociaux promis ; que nous n’avons absolument rien fait pour l’économie bleue (à moins que l’allocation de mauvais temps compte ?) ; que nous pouvons nous permettre Rs 1,9 milliard de compensations à Neotown, Rs 5,7 milliards à Betamax et l’on ne sait pas encore la somme finale pour la BAI, après diverses décisions intempestives. Puisqu’en plus notre port est 369ᵉ mondial en termes d’efficience, se classant même toujours derrière les Bourbonnais (320ᵉ) ou les Malgaches ( 300ᵉ) ; que 24/7 se perd toujours en fuites ; que le secteur de la pharmacologie et des vaccins qui nous promettait tant n’est même plus mentionné dans le Budget, comme ne le sont plus d’ailleurs ni la Fintech, la crypto, l’agritech, la biotech, l’Intelligence Artificielle ( il s’agit de ‘Deep’ AI avait-t-il été précisé…), etc. ; autant de mots ayant plutôt valeur de mode et d’effet d’annonce, pourrait-il nous sembler, au vu des résultats obtenus ; demandons logiquement : OÙ EST DONC NOTRE PONEY économique ?
Il ne s’agit pas d’esquinter quiconque quand déjà affaibli, mais notre économie n’est pas au mieux (sauf pour la finance, le tourisme et… la consommation), alors même que le chômage est au plus faible. L’État-providence que nous avons créé n’est pas supportable à moyen terme, sans des réformes majeures et douloureuses, notamment au niveau de la pension universelle et de la CSG. Notre économie ne produit pas assez de devises lourdes pour couvrir les besoins d’achats du pays, en conséquence de quoi, nous devons emprunter en devises et prier que l’offshore continue à être rassuré par… notre gestion économique. Nous n’avons sûrement pas de réserves suffisantes pour faire face à la prochaine catastrophe qui VA nous arriver. La conséquence des déficits du Budget (au moins 6,6 % en 23/24 et 4,9 % en 24/25) et de la balance des comptes courants (12 % du PIB, si l’on met de côté les chiffres potentiellement folâtres du ‘Global Business’) va mettre encore plus de pression sur la roupie, la rendre plus rare sur le marché bancaire et alimenter une inflation des prix qui pourrait éventuellement devenir incontrôlable… Comme en Argentine ou au Venezuela ?
Est-ce bien justifié tout cela, pour seulement gagner des élections ?
(*) YouTube l No magical thinking
(**) L'express.mu l The 24-25 Budget: Heading for disaster
P.S : Dans la Kronik du 9 juin, une mauvaise interprétation de lecture me faisait écrire que l’équivalent de 15 % du PIB, c’était Rs 180 milliards, plutôt que Rs 90 milliards. Mes excuses !
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