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Ex-parlementaires

Pension à vie, pour avoir servi la nation ?

29 juin 2025, 14:00

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Pension à vie, pour avoir servi la nation ?

Pension des ex-parlementaires : privilège justifié ou système à revoir ? Les anciens membres de l’Assemblée nationale peuvent bénéficier d’une pension après deux mandats, même si ces mandats ne sont ni complets ni consécutifs. Montants élevés, cumul possible avec d’autres revenus, choix entre pension complète ou lump sum… Le dispositif intrigue, divise et ravive la question de l’âge de la retraite, un sujet au cœur du débat mauricien. Plongez dans les rouages d’un régime de retraite pas comme les autres.

Les bénéficiaires de la pension accordée aux ex-membres de l’assemblée nationale

Reaz Chuttoo, président de la CTSP, explique au sujet de la pension des ex-membres de l’Assemblée nationale : «Li konsern zot tou». Les bénéficiaires de la pension des ex-parlementaires sont les députés, les ministres, le Premier ministre, le Premier ministre adjoint, les junior ministers, le Speaker, le Deputy Speaker, le leader de l’opposition, ainsi que les parlementaires nommés (comme l’Attorney General), à condition d’avoir siégé en tant que membre de l’Assemblée nationale pendant au moins deux mandats.

Cas hypothétique : Rs 96,2 millions de pension parlementaire sur 30 ans ?

Prenons le cas hypothétique de Monsieur X, devenu ministre lors de son deuxième mandat. Il gagne Rs 370 000 par mois et contribue 6 % de son salaire à sa pension parlementaire :

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Après seulement deux mandats complets, Monsieur X a droit à une pension à vie de Rs 246 667 par mois – soit deux tiers de Rs 370 000. En supposant une espérance de vie de 30 ans après son mandat, il recevrait :

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🔴 Conclusion : Rs 96,2 millions perçus pour une cotisation d’environ 2 millions seulement. Bernard Yen, actuaire, nous donne son analyse : «De manière générale, ça a l’air très généreux, beaucoup plus généreux que ce qui est pratiqué dans le secteur privé. Cela dit, la pension à laquelle une personne a droit dans le cadre de son emploi fait partie intégrante de son package. Et donc, parfois, il faut aussi regarder au-delà de cela : est-ce compétitif ou non ?» Il fait toutefois remarquer:«C’est vrai que l’exemple proposé a l’air d’être très favorable à l’ex-parlementaire. C’est un cas peut-être un peu extrême et très rare.» Il pousse la réflexion plus loin : «Mais si ce cas de figure existe, cela veut vraiment dire qu’il faut quand même faire une réflexion : Est-ce que c’est juste ? Est-ce que c’est normal ?»

Bernard Yen attire l’attention sur un point important : «Prenons un autre exemple : quelqu’un qui redevient député et touche donc son salaire de député, sans la pension. Quelle différence y a-t-il entre cette personne et une autre qui n’est plus réélue, qui a fait deux mandats, et qui reprend un travail ? Pourquoi est-ce qu’on arrête la pension pour celui qui redevient député alors qu’une autre personne qui n’a pas été réélue touche la pension tout en percevant un salaire ailleurs ?»

Il conclut en évoquant la question de l’âge de la retraite, un sujet au cœur du débat mauricien : «Cette pension devrait être versée uniquement à partir de l’âge normalement prévu pour la retraite, soit au-delà de 60 ans, ou à partir de 50 ans en cas d’invalidité.»

Pension complète ou lump sum + pension réduite ?

La législation offre deux possibilités. La première consiste à toucher une pension à vie sans percevoir de capital initial. La seconde permet de recevoir une somme forfaitaire à la fin du mandat, en contrepartie d’une pension mensuelle réduite.

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Le Président de la République

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Un président de la République, dans l’exercice de ses fonctions, perçoit-il, en plus de son salaire mensuel, sa pension d’ex-ministre ou d’ex-député, sa pension de vieillesse, ainsi qu’une pension liée à sa carrière professionnelle ? Sollicité à ce sujet, le président de la République, Dharam Gokhool, n’avait pas encore donné suite à nos questions à l’heure où nous mettions sous presse.

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Réactions

Gavin Glover

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Lors du débat budgétaire du 24 juin 2025, l’Attorney General, Gavin Glover, a apporté plusieurs précisions concernant le régime des pensions accordées aux anciens membres de l’Assemblée nationale : «Il convient de noter que les pensions des ex-membres de cette Assemblée sont régies par la loi intitulée National Assembly (Retiring Allowances) Act de 1976. Un ex-membre a droit à une pension s’il a siégé en tant que membre pendant au moins deux mandats.» Poursuivant son explication, il a ajouté un point important concernant les cas de réélection : «Lorsqu’un ex-membre est à nouveau élu comme membre de l’Assemblée, il cesse de percevoir cette pension, mais recevra une allocation en tant que membre de l’Assemblée.»

Cette règle connaît cependant une nuance, qu’il a pris soin de souligner : «Dans le cas où son allocation en tant que membre est inférieure à la pension qu’il percevait, ce membre recevra la différence entre la pension et son allocation.» Il a également tenu à clarifier : «Il n’est pas nécessaire de compléter un mandat entier de cinq ans pour avoir droit à cette pension.» Et d’illustrer ce propos par un exemple concret : «Si, par exemple, une personne a exercé la fonction de Speaker […], et ce seulement pendant quelques mois, cette personne a droit à cette pension, quoique de manière proportionnelle.»

Reaz Chuttoo

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Reaz Chuttoo, président de la CTSP, s’exprime sur la nécessité d’une réforme : «Ena enn demann popiler parski pansion bann ex-parlmanter tro zenere.»

Il avance deux arguments. Premièrement, la présence des parlementaires au Parlement: «Zordi enn parlmanter, li kapav vinn parlman, li kapav pa vini, me so prezans marse. Ena parlmanter, enn mwa pa trouv zot !» Il pose la question :«Sa larzan ki zot pe gagne-la, eski vremem zot pe travay pou sa ?» Deuxièmement, il aborde le cumul de plusieurs emplois:«Zot gagn larzan kontribiab (lapey parlmanter avek tou so benefis), plis zot kapav kontinie exers zot metie.» Il explique qu’on ne peut pas d’un côté avancer l’argument de «pei dan bez» alors que d’autres profitent. Il cite George Orwell : «All animals are equal, but some animals are more equal than others», estimant que la différence de considération n’est pas normale. Il réitère le besoin de réforme mais aussi de transparence, en offrant l’exemple de la Scandinavie : «Ninport ki sitwayen si li al lor Internet, li kapav kone ki parlmanter (ouswa minis), ki li finn depanse avek kart ki finn donn li pou bann depans ofisiel. Bizin ena transparans.»

Shirin Aumeeruddy-Cziffra

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Contactée pour savoir si elle bénéficie toujours de la pension destinée aux ex-membres de l’Assemblée nationale, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, speaker de l’Assemblée nationale, nous a répondu avec franchise : «Ma pension de députée est gelée en ce moment, ce qui est le cas de tout ancien député réélu, ceux de la majorité, comme ceux de l’opposition.On ne peut pas toucher en même temps une pension et un salaire. Ce n’est pas possible.»

Elle aborde aussi le Family Pension Scheme à Maurice - en lien avec l’Assemblée nationale, régi par la Civil Service Family Protection Scheme Act – un régime qui prévoit des pensions pour les conjoints survivants et les enfants des membres décédés de l’Assemblée nationale, des fonctionnaires et de certains employés. Elle nous explique que cette législation n’était pas en vigueur en 1991. À cette époque, les femmes députées étaient désavantagées : «Je vous signale que la loi concernant cette pension était au détriment des femmes députées élues comme moi. En effet, le Family Pension Scheme n’existait pas encore à notre époque et si j’étais décédée, mon époux n’aurait pas touché un sou de ma pension.»

Avant la réforme, seule une contribution au Widows’ and Orphans’ Pension Fund était prévue, sans équivalent pour les hommes. Comme l’a souligné la speaker : «Il y avait une contribution au Widows’ and Orphans’ Pension Fund. Mais un Widowers’ and Orphans’ Pension Fund n’existait pas.» Elle dénonce ainsi une «discrimination flagrante sur le genre».

L’ancienne Widows’ and Children’s Pension Scheme Act (loi n°16 de 1969) a été renommée Civil Service Family Protection Scheme Act (loi n°28 de 1993).

Nando Bodha

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Nando Bodha nous explique que c’est un système qui est là depuis quelque temps: «Je pense que le moment est arrivé d’avoir une réforme des pensions. Il faut revoir la pension de tous les dignitaires – le Président, le vice-président, le Premier ministre, les ministres, les députés, et maintenant les junior ministers. Il faut revoir complètement le système.»

Il ajoute : «S’il y a un effort de solidarité nationale, je pense que les députés, les anciens ministres, les anciens dignitaires devraient contribuer à cette solidarité nationale. Pendant le Covid, le gouvernement où j’étais ministre avait décidé qu’il y ait une contribution […]. C’était très symbolique, dans le sens où l’exemple doit venir d’en haut.L’exécutif reflète le train de vie de l’État et s’il y a des moments de solidarité, il faudra que l’exécutif puisse contribuer comme cela se doit.» Il reconnaît néanmoins qu’il y a plusieurs députés qui n’ont fait qu’un mandat et qui n’ont jamais eu de pension :«Tout est à revoir.»

Tout en étant d’accord avec l’idée de réforme, Nando Bodha conclut : «L’exemple doit venir d’en haut et il faut qu’il y ait une solidarité.»

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Pension dorée pour d’anciens ministres pendant que la BRP fait débat

Alors que le gouvernement s’active sur la réforme de la Basic Retirement Pension (BRP), qui touche plus de 240 000 personnes âgées, un document en circulation met en lumière les pensions généreuses perçues par d’anciens membres de l’Assemblée nationale.

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Le Prime Minister’s Office (PMO) ne confirme pas la véracité du document, mais reconnaît bien les chiffres révélant que plusieurs ex-ministres et députés, aujourd’hui hors du Parlement, encaissent des pensions mensuelles pouvant dépasser les Rs 100 000 – soit plus de six fois la BRP actuelle fixée à Rs 15 000.

La question qui revient sur toutes les lèvres : pourquoi les élus peuvent-ils percevoir leur pension sans condition d’âge, quand les citoyens ordinaires doivent attendre 65 ans ?

N. F. & K. S.

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