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Allégations de comptes à l’étranger
Peut-on compter sur le secret bancaire ?
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Allégations de comptes à l’étranger
Peut-on compter sur le secret bancaire ?
C’était lors de son rassemblement à Phœnix dimanche. Pravind Jugnauth a allégué haut et fort que Navin Ramgoolam, leader du Parti travailliste, détiendrait un compte bancaire au sein de la Development Bank of Singapore. Le Premier ministre sortant est allé jusqu’à révéler le présumé numéro de compte ainsi que des détails sur les transactions supposées qui y ont transité, suscitant des questions autour du respect du secret bancaire et de l’éventuelle illégalité de cette divulgation. De son côté, Navin Ramgoolam a, lors d’une conférence de presse, fermement nié posséder un quelconque compte à l’étranger. Des «relevés bancaires» qui circulent laissent penser le contraire mais restent à être authentifiés. Le leader de l’Alliance du changement a souligné que les autorités singapouriennes sont très strictes, surtout concernant les «politically exposed persons».
Mais Ramgoolam n’est pas le seul à faire les frais de telles allégations. Au cours des derniers jours, d’autres «documents», pas authentifiés, circulent sur les réseaux sociaux, qui tendent à faire croire que d’autres personnes détiendraient elles aussi un compte ou des comptes à l’étranger, tant du côté du pouvoir que d’opposants. L’article 64 de la Banking Act de 2004 est pourtant clair à ce propos. Il interdit aux directeurs et employés des institutions financières régies par la Banque de Maurice de divulguer des informations sur les affaires de leurs clients sans consentement explicite.
Cependant, Me Siv Potayya, avocat, souligne une «zone grise» car le compte présumé se trouve dans une banque étrangère non régie par la Banque de Maurice, ce qui rend complexe l’application stricte de l’article 64 de la Banking Act mauricienne. Toutefois, ce qui intrigue davantage l’avocat, c’est la manière dont les autorités mauriciennes auraient pu obtenir de telles informations bancaires de Singapour. En l’absence d’une enquête officielle en cours ou de soupçons de fraude ou de blanchiment d’argent contre Navin Ramgoolam, il semble difficile de justifier légalement l’accès à ces données. «Y a-t-il eu un ordre de la Cour suprême pour obtenir des informations sur ce compte ?» s’interroge l’avocat.
Ordre de la cour
Il est interdit de divulguer, rappelons-le, sans l’accord du client, toutes les informations liées aux dépôts, emprunts, transactions ou tout autre renseignement personnel ou financier. La divulgation de telles données sans autorisation légale pourrait constituer une infraction grave et porter atteinte à la réputation du système bancaire. La Banking Act prévoit qu’en cas de besoin légitime, certaines autorités mauriciennes, telles que la Financial Crimes Commission (FCC), la Financial Intelligence Unit (FIU), ou encore le commissaire de police, peuvent solliciter des informations bancaires sous condition de l’obtention d’une ordonnance du juge en référé.
Cependant, rien n’indique qu’une telle procédure ait été respectée dans le cas de Ramgoolam. Pourtant, lors de son cours, Pravind Jugnauth l’a bien précisé : «Les autorités singapouriennes l’ont confirmé aux autorités mauriciennes.» Les procédures «ont-elles été suivies et quelles sont ces autorités mauriciennes qui ont fait une telle demande et sur quelle base», se demande Me Potayya. Il importe de souligner que pour que les institutions mauriciennes demandent des informations auprès de celles de l’étranger, il doit y avoir une sorte d’accord entre eux. Me Potayya explique que, même si une personne possède des comptes bancaires à l’étranger, cela ne constitue pas en soi un délit, à condition que ses obligations fiscales soient respectées dans son pays de résidence.
Y avait-il une infraction ?
L’avocate Me Anshi Pillay Cootthen abonde dans le même sens. Elle souligne que «la législation est depuis intervenue en traitant expressément la situation où, dans l’intérêt public et pour la détection des infractions, la divulgation d’informations détenues par une banque est requise. Cependant, toute information de ce type ne peut être obtenue que par une ordonnance judiciaire et dans le respect des conditions strictes énoncées dans la Banking Act». Me Cootthen explique que dans l’affaire Stanford Asset Holdings Ltd v Afrasia Bank Ltd, le Conseil privé avait clarifié qui peut demander une disclosure order (ordonnance de divulgation). Seuls certains responsables peuvent faire cette demande, notamment : le Directeur général de la FCC, le directeur de la Financial Services Commission, le commissaire de police, le directeur général de la Mauritius Revenue Authority, l’autorité de l’application de l’Asset Recovery Act, ou toute autre autorité compétente, à Maurice ou à l’étranger, ayant besoin d’informations d’une institution financière sur les transactions et comptes d’une personne.
Cependant, précise l’avocate, dans le jugement, le Conseil fait aussi ressortir que toute personne ne relevant pas de l’article 64(9) peut également solliciter une ordonnance de divulgation auprès du tribunal via le mécanisme du Norwich Pharmacal Relief, en vertu des articles 15-17 de la Courts Act. Mais là aussi, poursuit Me Cootthen, pour obtenir ce recours, quatre conditions doivent être remplies : une infraction reconnue en droit doit être établie ; le répondant doit être impliqué dans l’infraction ; il doit être en possession des informations nécessaires, et ; la divulgation doit être appropriée et proportionnée dans les circonstances.
À noter que le secret bancaire est également protégé par la législation de Singapour, régie par l’article 47 de leur Banking Act, qui impose de lourdes sanctions en cas de fuite d’informations. Une violation du secret bancaire pourrait ainsi entraîner une amende pouvant atteindre 250 000 dollars singapouriens. Si les informations partagées par Pravind Jugnauth s’avèrent, les autorités singapouriennes prendront-elles position pour mener leur propre enquête pour déterminer l’origine de la fuite ? Bien que Singapour ait cessé de faire appel au Judicial Committee du Conseil privé de Londres en 1994, le pays reste attaché aux principes de confidentialité et de protection des données bancaires ainsi qu’aux jugements rendus par les Law Lords dans ce sens.
Les règlements imposent qui plus est aux institutions bancaires de rapporter toute transaction suspecte – à travers le Suspicious Transaction Report – à la Financial Intelligence Unit. Dans ce cadre, toute banque mauricienne, consciente d’une transaction douteuse, a l’obligation d’en informer la FIU dans les cinq jours ouvrables suivant la découverte de la transaction. Même dans ce cas, ces rapports sont confidentiels et ne doivent pas être divulgués en dehors des autorités concernées, toute communication externe constituant un «tipping off», ce qui constitue une infraction criminelle.
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