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Questions à…
Pierre Dinan: «C’est le rôle de l’opposition de proposer des mesures qu’elle juge plus favorables»
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Questions à…
Pierre Dinan: «C’est le rôle de l’opposition de proposer des mesures qu’elle juge plus favorables»
Pierre Dinan, Économiste.
Tout en soulignant que les 20 mesures annoncées par l’alliance de l’opposition Parti travailliste-Mouvement militant mauricien-Nouveaux Démocrates vont dans le bon sens, Pierre Dinan, qui décrypte l’économie depuis un demi-siècle, estime qu’il y a lieu d’éclairer les électeurs sur les moyens dont elle disposera une fois au pouvoir pour les appliquer.
Estimez-vous que les 20 mesures, surtout celles liées à l’économie, ont démontré le sérieux d’une opposition parlementaire qui se prépare pour l’alternance au sommet de l’État ?
Les mesures économiques qui sont préconisées se déclinent en des offres monétaires visant au mieux-être de la population. C’est tout à fait le rôle d’une opposition à un gouvernement de venir de l’avant avec des propositions qu’elle juge plus favorables que celles qui sont en vigueur. Cela fait partie du jeu démocratique, lequel permettra aux électeurs d’exprimer leurs choix par rapport à ce qui existe et à ce qui est promis. Toutefois, pour que ce jeu démocratique le soit vraiment – et cela pour le bien de la population tout entière –, il y a lieu d’éclairer les électeurs quant aux moyens, présents et à venir, dont disposera le prochain pouvoir pour honorer ses engagements.
Une bonne partie de ces mesures a trait au pouvoir d’achat des ménages et vise à soulager financièrement ceux au bas de l’échelle, mais aussi la classe moyenne. On pense aux baisses de prix sur l’essence, le diesel, les médicaments et l’électricité, la gratuité du transport en commun, l’abolition de la taxe sur la pension et les revenus annuels de Rs 1 million, entre autres. Comment peut-on qualifier ces mesures : populistes, démagogiques ou du bon sens ?
Votre question contient déjà la réponse : ces mesures vont dans le bon sens, mais puisque chacune d’entre elles comporte soit des abattements fiscaux, soit des offres de gratuité de transport public, soit des baisses de prix de certains services ou biens essentiels, il faut se demander si le Trésor public a les moyens, premièrement, de se passer de ces revenus fiscaux, et deuxièmement, d’offrir à la population tout entière des biens et services essentiels à des prix plus abordables que jusqu’ici.
Le Trésor public doit faire le plein de ses finances afin qu’il puisse honorer ses engagements. À part des dons reçus d’institutions et de pays étrangers, des sommes relativement minimes, le Trésor public compte nécessairement sur les rentrées fiscales, telles que les droits de douane, l’impôt sur les revenus et la TVA. Tout déficit entre les recettes et les débours doit être financé par des emprunts auprès du public, surtout dans des pays étrangers.
Car ce qu’il est important de rappeler, c’est que l’économie d’un pays est bâtie non sur la gratuité, mais sur la production de biens et de services par la diversité de ses composantes, selon leur nature, leurs capacités et leurs aptitudes. C’est pourquoi la question à se poser est la suivante : comment le pouvoir et ceux qui aspirent à le remplacer envisagent-ils de mettre à pleine contribution toutes les ressources de ce pays, notamment celles de la population active, les ressources marines et terriennes, sans oublier les particularités de notre climat ensoleillé ?
Je persiste à dire que l’objectif doit être d’atteindre un produit intérieur brut (PIB) plus élevé que maintenant. Produisons d’abord, partageons ensuite ! Telle devrait être la caractéristique de tout gouvernement qui entend gouverner un pays pour le bien durable de tous ses citoyens.
Si nous refusons de nous conformer à cette inéluctable vérité, nous devenons de plus en plus dépendants des importations pour assurer nos besoins domestiques ; notre stock de devises étrangères s’amenuise, et nous voilà obligés de les vendre à bas prix, ce qui nuit à la valeur de la roupie et alimente l’inflation importée. Cela a un nom : c’est le cycle infernal et il est le résultat de notre imprévoyance, celle de dépenser sans nous soucier des revenus à produire d’abord afin d’en trouver les moyens !
Face aux premières critiques du gouvernement et des spécialistes de la finance sur le coût financier de l’exécution de telles mesures, l’opposition réplique qu’il y aurait des économies par milliards à réaliser sur le train de vie de l’État, et sur des abus et autres largesses relevés chaque année par le directeur de l’Audit. Que pensez-vous ?
Faisons confiance au directeur de l’Audit et à son équipe de professionnels. Leur signalement annuel sur une utilisation inconsidérée, sinon abusive, des ressources publiques en dit long sur leur jugement de la gouvernance publique dans notre République. L’opposition a précisé ce qu’elle envisage d’offrir aux électeurs. Elle a maintenant le devoir de préciser ce qu’elle envisage de faire pour mettre fin aux abus perpétrés par la présente gouvernance. Les rapports annuels du directeur de l’Audit leur seront d’une grande aide. Les électeurs seront heureux d’obtenir les précisions quant aux mesures de redressement et/ou d’économie envisagées par l’opposition.
Peut-on déjà chiffrer les implications fiscales de ces mesures ?
La question est pertinente, mais elle doit être posée à ceux qui proposent ces nouvelles mesures. Toutefois, ce qui est indéniable, c’est que certaines d’entre elles entraîneront des débours additionnels à partir des finances publiques, alors que d’autres constitueront des réductions de ces mêmes recettes par rapport à la présente situation. Pile, je gagne ; face, tu perds.
En gros, donc, moins de revenus pour les finances publiques, d’où le point de vue exprimé ci-dessus à l’effet que toutes les ressources mauriciennes soient déployées le plus efficacement possible, résultant en un PIB plus conséquent que l’existant, ce qui permettra automatiquement un accroissement des revenus publics et la possibilité aussi bien de réduire des taxes que d’accroître des largesses à ceux qui le méritent. Autrement dit, la population tout entière doit mériter toute amélioration de son sort, selon ses capacités et ses moyens.
Une des mesures porte sur le congé maternité d’une année, avec paie. Estimez-vous qu’elle peut être à terme une solution à la crise démographique qui devrait être une réalité en 2056 à Maurice, selon des experts ?
Un congé maternité prolongé va dans le bon sens, dans l’espoir qu’il entraînera une hausse de la natalité, laquelle est nécessaire pour contrebalancer le nombre croissant de personnes âgées, résultant de la prolongation de l’espérance de vie dans le pays. Si le nombre de personnes âgées s’accroît, cela représente davantage de ressources d’aide à mettre à leur disposition. Ces ressources ont un coût et elles affectent inévitablement le Trésor public. Et recommence alors la chasse à des revenus accrus pour faire face aux dépenses plus élevées.
On ne peut que souhaiter que le profil démographique de notre pays évolue vers le modèle d’une tour reposant sur une base solide et large, pour s’élancer vers un sommet de moindre dimension. Il faut en finir avec le modèle actuel, qui est celui d’un arbre plein de branches et de feuilles à son sommet, mais émergeant d’une base frêle et restreinte.
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