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Kronik KC Ranzé

Plonger dans les élections

9 juin 2024, 08:21

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Plonger dans les élections

Il y a comme un petit vent d’enseignements dans les élections qui se sont tenues à travers le monde ces derniers jours.

En Inde, le BJP de Modi n’aura, malgré les avantages d’être en poste, les agréments d’une politique d’État-providence favorisant les labharti, et quelques bonnes poignées de méchancetés faites à l’opposition, finalement pas connu le triomphe espéré. Le BJP et ses alliés auront perdu 67 sièges au Lok Sabha. Inclus à Faizabad où est situé Ayodha ! L’opposition en aura gagné 115. Principalement en milieu rural. Pourquoi donc ?

Les théories sont nombreuses, mais la chaîne de télévision India Today a peut-être la meilleure explication en proposant que l’électeur «silencieux» a enfin été... entendu ! Par-là, les commentateurs voulaient dire que ceux qui ne venaient pas à la télé pour faire les louanges du BJP ; ceux qui refusaient de déclarer leurs vraies intentions dans les sondages, craignant d’être lésés, voire «punis» ; ceux qui n’allaient pas aux rassemblements orange, pourtant monstres et dont les images alimentaient ensuite la machinerie de propagande super sophistiquée du BJP sur les réseaux sociaux et la télévision ; se sont enfin exprimés avec leur vote. Avec force! Silencieusement ! Une dernière confirmation de ce vote «sous-marin» ? Le décalage effarant entre les résultats prédits par les exit polls où l’électeur, prudent, est à visage découvert et le vote véritable dans le secret de l’isoloir…

Certains exit polls prédisaient environ 400 sièges à la coalition BJP. Ils en ont récolté seulement 293.

J’ai souvent suggéré dans ces colonnes qu’un gouvernement népotique qui favorise «sa bande» plutôt que le pays entier, équitablement, va, à la longue et mathématiquement, créer plus d’insatisfaits que de satisfaits. C’est la leçon principale de ce recul du BJP qui, en conséquence, n’a plus de majorité au Parlement et devra désormais dépendre des béquilles de ses partenaires pour gouverner, ce qui va sans doute rendre ces partenaires plus gourmands. Le phénomène est connu. Autant les subsides sont pour tous. Autant les transferts cash sont pour tout le monde (ou presque…) ; les contrats pour des travaux publics sont souvent ciblés (demandez à Kistnen !), la possibilité d’importer des médicaments, des masques ou des respirateurs sous une loi d’urgence n’est pas accordée à tout le monde, les emplois publics sont souvent à nou bann et les chances d’être interpellé par la police semble anormalement réservées à ceux qui refusent d’intégrer la liste des chatwas. L’électeur qui voit d’autres progresser plus vite que lui-même, sans plus d’effort ou de mérite que ses seules fréquentations pouvoiristes, a le choix de, soit sauter dans le wagon à cadeaux ou se rebiffer (ceux qui sont déjà dans le wagon ayant tendance à vouloir y rester, sans partager avec les nouveaux, bien sûr). Mathématiquement, puisque l’on ne peut plaire à tous, nombreux sont ceux qui se rebiffent, qui se cambrent et qui veulent changer la donne. Dans ce contexte, offrir 1 500 nouveaux postes de management support officers (avec accent sur le mot management possiblement ?), dans le gouvernement alors qu’il y a sans doute des dizaines de milliers qui souhaitent un emploi pépère et protégé à vie et qui seront déçus ; n’ajoute probablement pas de votes nets ? Et engendre d’autres «sous-marins» ?

En Afrique du Sud, même la lutte de l’ANC menée par Mandela contre l’apartheid a fini par perdre de sa superbe face à la corruption, le népotisme et l’incapacité du gouvernement à assurer même les services décents les plus basiques comme l’électricité et l’eau. En Ramaphosa, l’ANC avait pourtant trouvé un gestionnaire apparemment aguerri, puisque cet ancien «militant» avait bien su faire fortune pour son propre compte. Cependant, les progrès nationaux sont restés maigres. En conséquence de quoi, le parti au pouvoir a, pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, reçu moins de 50 % des voix, soit 40.2 % seulement, ce qui va forcer l’ANC à une coalition. Les trois schémas possibles lui seront tous difficiles à avaler. La Democratic Alliance, qui a mobilisé 21.8 % des voix, même si aujourd’hui bien plus diversifié racialement, a toujours une image «blanche» alors que les blancs ne représentent plus que 7.3 % de la population nationale… Le MKP, le parti créé il y a 6 mois par Jacob Zuma, avec 14.6 % des voix, veut la tête de Ramaphosa, par vengeance, et paraît avoir peu de chance d’intégrer le gouvernement. L’EFF de Julius Malema, 9.5 % des votes, qui veut toujours nationaliser les terres, a besoin de convaincre d’autres petits partis comme l’IFP, pour assurer plus de 50 % à l’ANC…Trois improbabilités donc et l’ANC devra choisir l’équation la moins improbable et là plus à même de faire tourner l’économie, créer de l’emploi et assurer le progrès d’une majorité de la population ! Ce ne sera pas du gâteau ! L’ANC commence avec encore plus difficile : le gouvernement d’unité nationale !!!

L’autre leçon de ces élections sud-africaines c’est le taux de participation. Si l’espoir euphorique menait à un taux de participation de 87 % en 1994 et même 90 % en 1999, ce taux avait baissé à 66 % en 2019 et a été de seulement 59 % cette année. Ce n’est donc pas tellement que l’électorat a plus voté pour l’opposition, mais aussi que ceux qui votaient précédemment pour l’ANC ont exprimé leur exaspération en restant à la maison…

Un parti gouvernemental a pourtant gagné une élection ces derniers temps. Mieux ! Ce parti augmentait sa récolte de votes de 54.7 % à 59 % ! C’était au Mexique ou Mme Sheinbaum, 61 ans, prenait le relais de M.Obrador, 70 ans.

Quelle leçon en tirer ?

La leçon la plus évidente est qu’une bonne partie de la politique d’Obrador avait été bien reçue, mais que le changement de leader a bien aidé, éliminant du coup tout ce que l’on pouvait associer et reprocher à Obrador. Une femme, une scientifique, une plus jeune, même juive, c’est du renouvellement et une promesse de changement dans la continuité. Cela a marché au Mexique. Ici, à Maurice, on a toujours les mêmes patronymes depuis des décades et le renouvellement attendra encore… Tant que les caisses des partis demeureront entre les mains des leaders ?

Je ne parlerais pas du Budget aujourd’hui, préférant prendre un peu de recul avant de tenter de le commenter de manière raisonnable. Car la fumée s’épaissit autour des finances du pays. Sur l’essentiel, je vais répéter ce qui a déjà été dit et écrit ici même et ailleurs :

(1) Nous vivons au-dessus de nos moyens, ne produisant pas en adéquation avec nos appétits.

(2) L’État-providence que nous avons créé n’est pas supportable à moyen terme, sans des réformes majeures et douloureuses, notamment au niveau de la pension universelle et de la CSG.

(3) La balance des comptes courants, sans l’«ajustement» des apports de l’offshore est, à 12 % du PIB, insoutenable et explique sans doute les difficultés d’accès aux devises lourdes chez les banques qui vous offrent désormais, comme palliatif, des découverts en dollars, avec leurs risques de change généreusement intégrés, bien évidemment…

(4) Si les mesures économiques pour faire rebondir l’économie ont été saluées par le FMI, celle-ci note, dans le même souffle, que nos réserves sont esquintées, et notre endettement national lourd, alors même que nous en masquons la relativité en dopant, grâce à Statistics Mauritius – mais non pas à la BoM – le PIB par environ 15 %, en s’appuyant sur un apport jamais comptabilisé jusqu’ici de l’offshore (Rs 180 milliards en 2022 et 2023) (*). Sans explication. Même pas du FMI d’ailleurs.

(5) Si une économie de Rs 1 trillion en 2029 sonne triomphalement chouette, il ne faut pas oublier que la croissance impliquée pour y arriver est nominale plutôt que réelle, la différence provenant de l’inflation à 50 %, est-il estimé (**). L’illusion (monétaire) comme solution a sûrement ses limites, non ? J’ai peu de doutes quant à la futilité de faire comprendre à l’ensemble de notre électorat labharti, les dangers qui nous guettent sur les plans budgétaire et économique. Il est cependant nécessaire que les citoyens responsables en tiennent sérieusement compte et tentent de faire de la place pour plus de production exportable, grâce à une meilleure productivité et une éthique du travail améliorée. Les salaires qui augmenteront alors en conséquence, ne seront, dans ces conditions, pas avalés par l’inflation (**). Le renouvellement de la classe politique étant, par ailleurs, ratée, nos élections prochaines seront déterminées par le taux de participation des sympathisants des deux grands blocs politiques, la capacité des «nouveaux partis» à siphonner le vote des partis parlementaires, le vote des «satisfaits» qui espèrent encore plus, ainsi que la capacité du gouvernement à convaincre les déçus divers de ses deux derniers mandats (scandales, népotisme, corruption, atteintes à la démocratie, services publics insatisfaisants, opacité chronique, favoritisme…) que leur avenir serait «more of the same thing», malgré leur frayeur à s’exprimer.

Je postule que, comme en Inde, de nombreux sous-marins exaspérés vont faire surface…

(*) L'express l The IMF Imparts Strong Guidance

(**) L'express l Rajeev Hasnah: «On a dépensé pour l’équivalent de 5 mandats d’un gouvernement en un seul»