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Interview de ...Rachna Bhoonah
Pour des villes éponges…
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Interview de ...Rachna Bhoonah
Pour des villes éponges…
Rachna Bhoonah, ex-lauréate et chercheuse
Rachna Bhoonah, ex-lauréate du Mahatma Gandhi Secondary School Solférino, est chercheuse en pollution environnementale et en impacts sur la santé du vivant à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) en France. Elle a fait son doctorat sur la qualité de l’air intérieur et l’écoconception du bâtiment à Mines Paris-PSL. Même si elle reste toujours en France en raison notamment de ses études, elle voudrait bien coopérer au bien-être des Mauricien(ne)s et de leur environnement.
On débattait récemment de nos lauréats qui, après l’obtention d’une bourse et de leurs études, ne reviennent plus au pays. Mais vous, vous voulez bien contribuer au pays, même de loin, n’est-ce pas ?
Après avoir fait des études et vécu longtemps en France, j’y ai construit une vie. Aussi, mon domaine de recherche reste, malheureusement, pas très développé à Maurice. Mon but est donc de créer et d’entretenir des liens avec des universités et autres acteurs dans le domaine du développement durable pour collaborer sur des projets.
Vous suivez de la France tout ce qui se passe ici. Et il y a un sujet, ou plutôt deux qui vous interpellent : les inondations et le manque d’eau…
C’est à la fois triste et alarmant de voir les effets des pluies torrentielles ou les périodes de manque d’eau étroitement liés au changement climatique.
Vous proposez une solution : la création de villes éponges. Expliquez-nous d’abord ce que c’est.
Une ville éponge (Sponge City en anglais) est une ville capable d’absorber les eaux de pluies afin d’éviter des inondations. L’absorption se fait à travers des matières poreuses ou de la rétention dans des bassins.
Quels sont les autres avantages de la ville éponge mis à part la prévention des inondations et de pertes d’eau ?
Sa capacité de stockage d’eau permet aussi de réduire des périodes de stress hydrique (sécheresse) et de réguler la température pour éviter notamment les îlots de chaleur urbains. De plus, les structures naturelles ou artificielles absorbantes vont aussi filtrer l’eau, améliorant ainsi sa qualité. Des structures naturelles vont permettre, de plus, à la biodiversité de proliférer.
Le concept est-il praticable chez nous ?
Tout à fait, et ce serait même fortement conseillé pour lutter contre les dégâts et améliorer notre qualité de vie.
Selon une étude de D.S. Hammond et al., en 2017, il semble que Maurice figure parmi les pays avec des surfaces imperméabilisées les plus élevées au monde, soit 9 % comparé à la moyenne mondiale de 0,25 %. Vos commentaires ?
Je pense que ce chiffre ne choquerait personne, compte tenu des éternelles constructions et de la rapidité avec laquelle l’île continue à être bétonnée, au détriment des espaces verts… C’est un triste constat, nos ressources naturelles étant limitées.
**Quels sont les moyens de réduire l’imperméabilité du sol tout en conservant des surfaces dures pour les routes et parkings, etc..? **
Des matières perméables peuvent être utilisées pour les trottoirs, parkings et allées. On devrait introduire des espaces permettant de stocker ou d’absorber de l’eau dans toutes les villes, surtout les plus artificialisées : des fossés gazonnés/noues en bords de route, bassins de biorétention, parcs, surfaces de bâtiments végétalisées et jardins de pluie chez soi. Surtout, il faut protéger les quelques espaces verts qu’il nous reste encore…
Que pensez-vous des drains en béton qui font l’objet d’un véritable culte à Maurice ? Sont-ils efficaces contre les inondations ? Les noues ne sont-elles pas à privilégier là où l’espace le permet ?
De fait, on observe (durement) que ces drains ne sont pas suffisants… Ils perturbent en plus le cycle de l’eau : tout est redirigé vers la mer. Aussi, cela ne permet pas la régulation de la température. Celle-ci est possible par l’évaporation de l’eau stockée dans les sols et le végétal. Par exemple, des surfaces absorbantes comme des noues redirigeront l’excédent d’eau vers des bassins de rétention, mais vont en même temps l’absorber. Sa vitesse de propagation et le risque de flash flood sont ainsi réduits.
Et quid de l’eau qui est perdue avec les drains ? Ne devrait-elle pas être captée au plus près de l’endroit où elles touchent le sol ?
Effectivement, on a tant besoin de stocker plus d’eau, sachant qu’on est très sujet à des périodes de sécheresse à Maurice ! Les méthodes moins bétonnées de stockage (perméabilité du sol) permettent en plus de la filtrer et d’améliorer sa qualité.
L’eau qui se jette dans nos lagons, au lieu de s’infiltrer et être filtrée dans le sol avant, ne contribue-t-elle pas à leur pollution ?
L’eau de pluie balaie sur son passage tous types de polluants sur terre : du plastique, du carburant, des composés toxiques (par exemple, provenant de détergents, même domestiques ou d’usine), des fertilisants et des pesticides issus de l’agriculture. Cette pollution a une conséquence très lourde sur la biodiversité marine.
L’eau dans les nappes phréatiques est moins sujette à l’évaporation. Or, les surfaces bétonnées et bitumées n’empêchent-elles pas leur alimentation ?
Certainement !
Quels sont les autres avantages des nappes phréatiques ? L’eau passe à travers différentes couches dans le sol (plantes, terre, agrégats), et se retrouve ainsi filtrée et de meilleure qualité
Beaucoup de Mauriciens n’aiment pas les arbres et la verdure. Est-ce en raison de la théorie des miasmes qui les influence toujours ?
Je suis étonnée d’apprendre cela – je n’en avais pas conscience. Mais je pense que c’est une attitude qui change aussi beaucoup, à la fois avec la découverte de la nature belle et inégalée de Maurice (montagnes, rivières, lagons, cascades…) et avec une conscience écologique grandissante parmi les jeunes.
Il y a aussi la peur qui subsiste chez certains des arbres qui peuvent tomber sur leur maison, durant les cyclones notamment. N’y a-t-il pas d’arbres qui résistent aux coups de vent ?
Je pense bien que oui, et qu’il faudrait des arbres ayant des racines résistantes et profondes. Mais je ne connais pas assez les espèces d’arbres.
«Les principaux obstacles à la mise en œuvre de la ville éponge sont la mentalité statu quode l’ingénierie des infrastructures ainsi que l’ensemble du cadre juridique établi qui préserve des pratiques d’urbanisme obsolètes (le tout-àl’égout – le tout tuyau)», dit-on. Comment faire ?
Il est important d’écouter ce que disent les études/chiffres. On ne peut pas faire de la politique avec ses sentiments. Une approche systémique est nécessaire : comment un projet affectera la société, la santé, la nature, l’économie générale (pas que son portefeuille à soi) ? Ces questions sont essentielles, et les groupes d’expert.e.s sont nécessaires pour y répondre: scientifiques, sociologues, travailleur. euses dans le domaine ayant l’expérience terrain...
«Déconstruire pour reconstruire ?» Tel est le titre d’une émission à laquelle vous avez participé en France. Vous y abordiez surtout le problème de gaspillage d’énergie pour le chauffage et pour la clim en France. Pensez-vous qu’il nous faille y réfléchir concernant, du moins, la clim ? En tant qu’architecte, quels sont les conseils que vous avez pour les Mauriciens ?
C’est un cycle de conférences, lors duquel j’ai participé à une table ronde. En tant que chercheuse en écoconception des bâtiments (à l’époque), j’ai parlé du fait qu’il était parfois mieux de rénover (donc, déconstruire de vieilles structures pour mieux les reconstruire) afin de lutter contre les températures extrêmes (froid ou chaud). À Maurice, on est évidemment touchés, surtout par les fortes températures. Certaines personnes se permettent la clim, mais ceci engendre un effet rebond : on refroidit dedans, mais le ventilateur à l’extérieur rejette de la chaleur – il fait ainsi plus chaud dehors (comme un réfrigérateur). Les climatiseurs accentuent ainsi les îlots de chaleur urbains. Le problème avec les maisons à Maurice, c’est qu’elles n’ont pas été conçues pour bien isoler (moins de conduction de chaleur vers l’intérieur). De plus, les dalles de béton au toit vont avoir un effet d’inertie indésirable : elles vont beaucoup chauffer sous le soleil et continuer à restituer cette chaleur même la nuit quand il fait plus frais.
Il est donc important d’ajouter des couches d’isolation et d’augmenter l’effet d’albédo. On peut, par exemple, utiliser des peintures à fort albédo ou installer de la végétation de surface pour mieux isoler et rafraîchir le toit à travers l’évaporation de l’eau par les plantes. Une autre idée, comme on le voit dans certains hôtels à Maurice, serait d’installer du chaume au toit : on aurait ainsi toujours l’impression d’être en vacances !
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