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Analyse

Pourquoi comprendre l’économie

3 juillet 2024, 11:22

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«Economics is a study of mankind in the ordinary business of life.» Ainsi commençait le manuel du grand économiste britannique Alfred Marshall, «Principles of Economics». Cette définition de l’économie est aussi vraie aujourd’hui qu’elle l’était en 1890, date de parution de l’ouvrage. La discipline répond aux questions les plus simples de la vie humaine. Comment payer mes factures ? Devrai-je acheter aujourd’hui ou demain ? Aurai-je une sécurité financière à ma retraite ?

Pour répondre à leurs préoccupations quotidiennes, les Mauriciens s’intéressent pourtant beaucoup plus à la politique qu’à l’économie, la première prenant une place prépondérante dans les journaux et les programmes de radio. Pour le meilleur ou pour le pire, la société mauricienne est devenue plus politique, même si elle est moins politisée qu’avant. Les gens expriment leur opinion sur la politique plus souvent et plus bruyamment que sur l’économie. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas un avis sur la situation économique du pays, loin de là.

À trop écouter les radios privées matin, midi et soir, on pourrait croire que Maurice compte un million d’économistes, soit le nombre de personnes inscrites sur le registre électoral. Tout le monde se montre expert en économie, mais dès qu’on lui fait un peu de pédagogie économique, il trouve cela «théorique». Pour être décerné du titre d’économiste ou d’«observateur économique», il suffit d’accepter de parler aux journalistes : ainsi du comptable qui s’attarde sur l’économie, ainsi de l’entrepreneur qui débite des lieux communs sur la croissance et l’inflation. Tout l’art consiste à balancer des chiffres, ce dont raffolent les journalistes pour faire une manchette. L’économiste est devenu un produit médiatique. Car les journalistes, tant de la presse écrite que parlée, doivent avoir un interlocuteur pour accoucher d’un article, d’un reportage, d’une émission sur l’économie. Il faut les comprendre : l’économie mauricienne est trop minuscule, pas assez diversifiée, pour générer des nouvelles économiques tous les jours.

Ceux qui se prennent pour des économistes sont des charlatans. Le charlatanisme économique ne prêterait pas à conséquence si nous n’avions pas un gouvernement aussi interventionniste en économie dans un environnement très politique. Il importe peu que l’homme de la rue pense que la mécanique quantique est un canular : les physiciens peuvent continuer leurs recherches sans l’approbation du citoyen lambda. En revanche, si la plupart des gens croient que les hausses salariales vont résoudre l’inflation, ou que des taux d’intérêt bas vont vaincre une récession ou contrer le cycle économique (qui traduit les fluctuations de l’activité économique, comme celles de l’emploi et de la production), alors les économistes professionnels auront du mal à convaincre les décideurs politiques, si sensibles à leur cote de popularité, des méfaits que de telles politiques infligent sur l’économie.

C’est pourquoi il faut apprendre les principes économiques. La deuxième raison de les étudier est qu’ils vous font comprendre le monde dans lequel nous vivons. La troisième est que vous aurez une meilleure compréhension des politiques économiques, ce qui vous permettra de mieux exercer votre droit de vote aux élections nationales. Et la quatrième est que la boîte à outils de l’économiste, si elle ne suffit pas à vous rendre riche, donne un cadre qui vous aide à analyser vos plans et à prendre des décisions, faisant de vous un participant éclairé de l’économie.

L’Histoire est le laboratoire des économistes

Il existe une cinquième raison, et elle est capitale : la science économique est, avec la philosophie morale, de loin la discipline la plus importante à connaître pour façonner vos convictions politiques. D’autres domaines sont certes aussi essentiels aux enjeux politiques, mais la science économique est vitale en tout. Par exemple, si la virologie a certainement aidé les gouvernements à concevoir la meilleure réaction au Covid-19, elle ne peut pas évaluer l’impact d’un confinement national sur l’économie, ni nous dire comment arbitrer entre la valeur de liberté et celle de limiter la propagation du coronavirus. De même, répondre au changement climatique nécessite une double connaissance de la climatologie et de la science économique. Grâce à l’approche économique, nous arrivons à effectuer des arbitrages entre des objectifs qui entrent en conflit.

On dit que l’économie est une science parce que ses lois sont objectives. Cela ne signifie pas que les économistes font des expérimentations. Les lois économiques ne sont pas testables, elles ont été découvertes à travers un raisonnement mental. Les expériences offertes par l’Histoire sont pour les économistes un substitut aux expériences de laboratoire.

En tant que scientifiques, les économistes ont à la fois une approche positive de l’économie (décrire le monde tel qu’il est) et une approche normative (illustrer le monde comme il devrait être). Pour appréhender le monde comme les économistes, on n’est pas obligé d’épouser le formalisme des théories économiques, ni de jongler avec des statistiques. Un homme, une femme, n’est pas un chiffre ni une statistique. C’est la nature humaine qu’il faut prendre en compte.

Il n’est pas nécessaire que tout le monde devienne un économiste. Mais il est important que chacun apprenne à penser comme un économiste.

(Extraits du livre «Penser comme un économiste» qui paraîtra demain)