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Prêt logement : le zéro intérêt en question

11 septembre 2024, 09:00

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Prêt logement : le zéro intérêt en question

Personne ne s’attendait à cette annonce. Celle qui est venue choquer les esprits, le 5 septembre, à Olivia, lors de la livraison des premières unités de logements sociaux de la New Living Social Development Ltd (NLSD). Une nouvelle mesure du Premier ministre qui fait miroiter aux jeunes de 18 à 35 ans des prêts logement sans intérêt, si sa majorité sortante obtient un troisième mandat à l’issue des prochaines élections générales.

À première vue, il y a lieu de se réjouir de cette annonce, tant elle frappe l’imagination collective de la population, surtout les principaux concernés qui se verraient soulagés d’un fardeau financier conséquent pour acquérir aujourd’hui une résidence, un appartement ou carrément construire une nouvelle maison.

Mais à y regarder de près, cette mesure est perçue comme un cadeau électoral, si n’est pour séduire, voire berner, une frange importante de l’électorat. Ces jeunes, qui, après l’Independence Scheme, une subvention unique de Rs 20 000 accordée l’année dernière et, plus récemment, l’Internet gratuit (18 à 25 ans), pourraient, sous un prochain gouvernement Jugnauth 3.0, disposer d’un prêt logement auprès d’une institution financière sans avoir à débourser une seule roupie d’intérêt. Qui dit mieux ?

Pour autant, cette annonce suscite des interrogations. Des observateurs et autres spécialistes financiers cherchent à comprendre son modus operandi. Pourquoi ?

Tout simplement parce que les modalités pour bénéficier d’une telle facilité n’ont pas été explicitées par Pravind Jugnauth, davantage soucieux de l’effet d’annonce et du dividende politique qu’elle pourrait engranger auprès des potentiels bénéficiaires, près de 250 000 jeunes, représentant un réservoir de votes non négligeable, estimé à 25 % de l’électorat. À Olivia, le Premier ministre s’est contenté de préciser qu’une étude a été réalisée sur cette proposition et, fort probablement, sur son coût d’exécution, s’appuyant sur la crédibilité de ses actions politiques du passé et sur la réalisation des mesures populaires, voir électoralistes, annoncées depuis 2019.

Si l’octroi d’un prêt ne se limite pas à l’âge du demandeur, à condition qu’on soit un salarié dépassant 18 ans, le fait demeure que la valeur et la capacité de remboursement dépendent strictement des revenus qu’il engrange à la fin du mois.

«Un jeune qui a mis fin à sa scolarité à 18 ans n’aura droit qu’à un salaire minimum de Rs 20 000. Ce qui l’autorise à être éligible à un prêt logement inférieur, d’environ Rs 1,5 million, largement insuffisant pour se lancer dans la construction d’un logement nécessitant au bas mot Rs 3 millions aujourd’hui», explique l’économiste Eric Ng. Or, selon lui, même si les intérêts sont pris en charge par l’État, reste la question de la capacité de remboursement du demandeur. «En cas d’un défaut de paiement, qui va rembourser le prêt, soit le capital, même si c’est rattaché à une hypothèque ? Est-ce qu’avec cette mesure, le gouvernement sortant n’est pas en train d’encourager le crédit d’une façon irresponsable ?» s’interroge l’économiste. Il se demande si «les banques ne courent pas le risque d’être fragilisées avec une possible accumulation des créances douteuses au niveau des prêts logement».

D’autres experts financiers portent plus loin leurs réflexions. Ils y voient des risques de contagion dans d’autres secteurs, impactant négativement sur le système financier. «On peut se poser la question de savoir si, avec cette mesure, le gouvernement n’est pas en train de prendre un gros risque et de le lier avec le secteur bancaire. Si demain il chute, il entraînera ce dernier à subir des secousses financières, avec des prêts non performants qui pourraient s’évaluer à des centaines millions de roupies», analyse un spécialiste qui a souhaité parler sous l’anonymat. Il ajoute qu’avec un taux zéro sur les prêts logement et comme il n’y a pas «no such thing as a free lunch» pour le gouvernement, il reviendra aux contribuables de passer à la caisse de la Mauritius Revenue Authority, à travers des recettes fiscales en hausse, dopées par une roupie qui continue à se déprécier depuis 2019.

Booster le secteur de la construction

Pessimistes ou réalistes, les spécialistes ne trouvent pas, par contre, d’échos favorables auprès des promoteurs qui se frottent au contraire les mains, anticipant un boost du secteur de la construction et de l’immobilier avec cette mesure. «C’est une incitation aux jeunes professionnels et aux couples se situant dans cette tranche d’âge de pouvoir enfin devenir propriétaires d’un appartement ou d’une résidence en toute propriété», clame un promoteur qui commercialise actuellement des appartements à Ébène. «Je ne demande pas comment le gouvernement va financer cette annonce de zéro intérêt pour les prêts logement. Je note cependant qu’un jeune couple souhaitant acquérir un appartement, peut emprunter Rs 5 millions, par exemple, et ne rembourser que Rs 15 000 ou Rs 16 000 mensuellement sans intérêt au lieu de Rs 30 000 avec intérêt pour une période de 25 ans. C’est un soulagement certain pour cette catégorie de gens, des jeunes de 25 ans à 35 ans, qui sont plus nombreux à emprunter auprès des banques pour investir dans un bien immobilier dont la valeur sera appelée à s’apprécier au fil des ans.»

En attendant, les banques commerciales, comme les compagnies d’assurances et d’autres institutions de «deposit taking» sont dans l’expectative de connaître les contours de cette mesure. Si elle est peut-être électoralement payante, n’empêche qu’elle interpelle sur son financement comme tant d’autres mesures, les unes plus séduisantes que les autres, annoncées ces dernières semaines. Est-ce que la majorité sortante espère pouvoir arracher de l’administration américaine ce pactole de Rs 120 milliards, estimé comme étant le loyer pour la location à bail de la base militaire de Diégo Garcia, ou à défaut, d’obtenir un engagement ferme à cet effet ? Si tel s’avérait le cas, on pourrait comprendre cette distribution tous azimuts de cadeaux électoraux à tour de bras à toutes les franges de la population. Personne n’a été oublié, alors qu’on prévoit au Sun Trust d’autres surprises avant la dissolution du Parlement.

Toutes hypothèses électorales mises à part, la dure réalité est que peu importe le locataire qui s’installera à l’Hôtel du gouvernement, le redressement économique exigerait une tâche herculéenne avec un état des lieux qui pourrait réserver de surprises.

Arrivé au 10 Downing Street en juillet, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a hérité d’un trou de 22 milliards de livres dans les comptes de l’État après 14 ans de pouvoir des conservateurs. Ce qui, du coup, a contraint sa ministre des Finances, Rachel Reeves, à revoir certaines mesures, dont le ciblage des aides pour les factures destinées aux retraités en fonction de leurs revenus.

Sans dresser un parallèle, on n’espère pas qu’un tel scénario se reproduise à Maurice. Comme on espère être rassuré qu’il n’y aura pas de squelettes dans le placard… !