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Interview
Professeur Donald Ah Chuen : «Aujourd’hui, il y a plus de 500 Porsche sur nos routes»
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Interview
Professeur Donald Ah Chuen : «Aujourd’hui, il y a plus de 500 Porsche sur nos routes»

Professeur Donald Ah Chuen, Directeur du groupe ABC.
Malgré une économie stable et une main-d’œuvre qualifiée, Maurice peine à attirer les investissements étrangers. C’est ce qu’affirme Donald Ah Chuen, «Group Director» d’ABC Group. Dans cet entretien réalisé après l’introduction d’ABC Holdings à la Bourse de Maurice, il revient sur les défis auxquels l’île fait face pour se positionner comme une destination d’investissement incontournable. Il évoque également les sujets auxquels le groupe tient, à l’instar des énergies renouvelables et de la politique énergétique. Il dresse de plus le chemin parcouru de l’entreprise, de l’alimentaire au secteur automobile.
Le Groupe ABC est un acteur majeur dans plusieurs secteurs à Maurice. Comment gère-t-il la diversification de ses activités – notamment dans les secteurs automobile, bancaire, alimentaire et logistique – tout en maintenant une cohésion et une vision stratégique commune ?
À nos débuts, nous étions exclusivement dans le secteur alimentaire, un domaine dans lequel nous avons évolué progressivement : d’un simple magasin à une activité de grossiste, puis d’importateur à distributeur. La gestion était alors plutôt verticale. Avec le temps, nous avons professionnalisé notre organisation. Des réunions de management ont été instaurées, suivies de la création d’un Planning and Monitoring Committee (PMC), chargé à la fois de la planification du développement et du suivi opérationnel. Aujourd’hui, avec l’ensemble de nos concessions et entreprises, il est essentiel non seulement de bien gérer l’existant, mais aussi d’anticiper les opportunités à venir et d’explorer de nouveaux secteurs.
Comment assurez-vous le suivi opérationnel des différentes filiales tout en encourageant l’autonomie des équipes ?
Chaque entreprise du groupe dispose de son propre conseil d’administration et de sa management team. Ces conseils intègrent des membres de la famille et des administrateurs indépendants, ce qui permet de garantir une bonne gouvernance et un équilibre dans les prises de décision. Des réunions sont organisées chaque semaine pour examiner les performances et résultats financiers mensuels, ainsi que les recommandations du management des différentes entreprises. Si des orientations sont bien sûr données au niveau stratégique, nous attachons aussi beaucoup d’importance aux initiatives qui émanent directement des équipes dirigeantes. Lorsqu’un potentiel de développement ou des pistes d’amélioration sont identifiés, les propositions sont présentées au conseil, qui peut alors les approuver, les ajuster ou décider de les reporter en fonction du contexte.
Dans ce processus de planification, intégrez-vous des enjeux comme le changement climatique ou les exigences réglementaires ?
Absolument. Nous suivons de près les recommandations liées au changement climatique et aux engagements internationaux que Maurice a pris. Nous devons évaluer leur impact sur nos opérations. Le comité de planification du groupe agit en dehors du board, avec une vision d’ensemble du groupe, pour s’assurer que notre stratégie soit cohérente et que les différentes entités avancent dans la même direction. Dans ce contexte, chaque compagnie présente périodiquement au PMC ses principaux points d’attention, en dehors de son propre conseil d’administration. Cela nous permet d’avoir une lecture transversale, notamment sur les risques majeurs ou les défis pouvant affecter l’ensemble du groupe.
Quels bénéfices voyez-vous pour Maurice en matière d’environnement et d’économie ?
L’arrivée des voitures électriques est une excellente nouvelle pour Maurice. Elle permettra de réduire considérablement les émissions toxiques, surtout avec le nombre grandissant de véhicules en circulation sur l’île. On le voit déjà avec la disparition progressive des autobus très polluants. Sur le plan économique, c’est aussi un gain important : en diminuant notre dépendance aux carburants importés, on économise en devises étrangères et on devient plus résilients face aux fluctuations du marché pétrolier.
Pensez-vous que Maurice a pris suffisamment d’avance en matière de politique énergétique et de fiscalité pour accompagner cette transition ?
Il aurait été souhaitable que le Central Electricity Board s’engage plus tôt dans le développement de fermes solaires. La transition vers la voiture électrique était prévisible, et une réduction plus rapide des taxes sur ces véhicules aurait permis d’accélérer cette évolution. Si des mesures importantes ont enfin été prises, notamment l’élimination de la taxe, elles auraient gagné à être mises en œuvre plus tôt. Une volonté politique plus affirmée, portée par une vision à long terme, aurait permis d’anticiper davantage ces changements nécessaires.
Vous avez souvent insisté sur l’importance de l’énergie solaire. Comment voyezvous l’évolution de la production énergétique, notamment en ce qui concerne la transition vers les énergies renouvelables ?
À l’heure actuelle, les énergies renouvelables représentent moins de 20 % de notre production énergétique, et pourtant, l’objectif affiché est d’atteindre 60 % d’ici 2030. Pour y parvenir, il est impératif d’accélérer le développement de projets d’énergie solaire à grande échelle.
Conscients de cet enjeu, nous avons créé il y a quelques années une entreprise dédiée à l’accompagnement des ménages et des entreprises dans l’installation de panneaux solaires par notre groupe. Le potentiel est immense : de nombreux bâtiments pourraient encore être équipés de ces solutions durables, mais malheureusement les autorités n’ont pas agi d’une façon positive et urgente durent les dix dernières années, surtout a la suite de la COP15 pour organiser, promouvoir et faire avancer cette transformation d’énergie renouvelable. En ce qui me concerne, je m’investis activement pour que la mise en place d’une ferme solaire se concrétise rapidement. C’est une nécessité stratégique et environnementale. L’élimination progressive du charbon doit aussi être une priorité. Nous avons la chance de bénéficier d’un ensoleillement abondant et constant de par notre position géographique – une ressource gratuite, que bien d’autres pays n’ont pas. Réduire notre dépendance au fioul, c’est aussi réaliser des économies significatives à moyen et long terme, tout en renforçant notre autonomie énergétique.
Comment avez-vous réussi à surmonter les défis initiaux liés à l’arrivée de Porsche à Maurice, notamment les scepticismes de la part de la maison mère, et quel a été le facteur clé de votre succès dans ce partenariat ?
Il est vrai que le bureau de la région subsaharienne de Porsche n’était pas très positif, doutant de la capacité du marché mauricien à absorber une telle marque de luxe. Cependant, notre stratégie d’adaptation et notre collaboration avec Porsche France ont été déterminantes. L’un des principaux facteurs de notre succès a été notre capacité à innover et à répondre aux besoins du marché local. En établissant des relations solides avec Porsche France et en prouvant notre performance, nous avons pu obtenir la confiance de la maison mère en Allemagne et finir par travailler directement avec elle. Bien que je fusse sceptique au début concernant les ventes, aujourd’hui, il y a plus de 500 Porsche sur nos routes. Nous avons obtenu la concession de Porsche en 2007 et après seulement un an de collaboration avec Porsche France, notre performance a été reconnue. En 2010, nous avons commencé à travailler directement avec la maison mère en Allemagne, ce qui a marqué une étape importante dans notre partenariat.
Aujourd’hui, nous sommes fiers de notre partenariat avec Porsche, qui a permis de démontrer la capacité d’innovation de Maurice et de renforcer notre position sur le marché des véhicules de luxe.
Vous avez mentionné plusieurs efforts pour encourager l’épargne et attirer les investisseurs étrangers à Maurice. Selon vous, quels sont les principaux obstacles à l’attraction d’investissements internationaux, malgré les avantages que le pays offre, et que faudrait-il changer dans la stratégie actuelle pour améliorer cette situation ?
Maurice a mis en place plusieurs initiatives pour encourager l’épargne et attirer les investisseurs étrangers. Cependant, malgré les avantages indéniables que le pays offre, certains obstacles persistent dans l’attraction des investissements internationaux. Il y a quelques années, lors de la création d’ABC Banking Corporation, nous avons lancé des campagnes publicitaires pour sensibiliser le public à l’importance de l’épargne, ce qui a permis de récolter Rs 500 millions d’épargne. Ces efforts ont été essentiels pour positionner Maurice comme une juridiction internationale reconnue.
Cependant, plusieurs défis subsistent. Il y a un manque d’efforts publicitaires au niveau des instances internationales, notamment en Afrique. De plus, l’image de Maurice doit être remodelée pour mieux attirer les investisseurs étrangers. La liste grise a également eu un impact négatif sur notre attractivité.
Pour améliorer cette situation, il est crucial de renforcer les services offerts aux investisseurs, notamment en les conseillant sur les meilleures options pour placer leur argent. Il est également nécessaire d’augmenter les contacts internationaux, en particulier au niveau des ambassades et de promouvoir la vente de produits mauriciens dans les pays où nous sommes représentés. Enfin, il est primordial de faire connaître Maurice comme une juridiction fiable et attractive, à l’instar de Dubaï ou du Luxembourg.
L’expansion internationale, avec des bureaux à Hong Kong et à Dubaï, fait partie de la stratégie du Groupe ABC. Quels défis et opportunités le groupe rencontret-il en cherchant à élargir sa présence à l’échelle mondiale ?
L’ouverture de bureaux à Hong Kong et à Dubaï s’inscrit pleinement dans notre stratégie d’internationalisation, avec pour ambition de positionner Maurice comme une destination fiable et attractive pour les investissements.
Ce type de développement représente un investissement conséquent, en particulier au départ, puisque nous faisons le choix d’y déployer des collaborateurs mauriciens afin de poser les premières bases dans des environnements encore peu familiers. Cette démarche engendre naturellement des coûts liés à la mobilité – billets d’avion, hébergement, loyers – ainsi qu’une certaine rotation du personnel, inhérente aux projets d’implantation à l’international.
Progressivement, nous structurons nos équi- pes en recrutant localement, ce qui favorise un ancrage plus durable et une meilleure compréhension du marché.
Parallèlement, nous avons étendu nos opérations aux Seychelles, où nous gérons une Management Company. Ce marché présente également ses spécificités, notamment en matière de coût de la vie et de disponibilité de la main-d’œuvre.
Ces implantations régionales et internationales offrent des opportunités stratégiques : elles nous permettent d’élargir notre réseau, de renforcer notre visibilité, et de mieux accompagner nos partenaires dans des marchés clés.
Le groupe ABC a une forte présence dans l’importation et la distribution de produits alimentaires. Quelles sont les tendances actuelles du marché local et comment le groupe répond-il aux défis liés aux importations et à la concurrence accrue ?
Nous explorons actuellement de nouvelles perspectives d’exportation, notamment vers l’Afrique et d’autres régions à fort potentiel. Dans ce cadre, un conseil d’administration a été mis en place pour superviser à la fois la stratégie export et l’évolution de notre production locale.
Nous réévaluons régulièrement les capacités de production à Maurice afin d’identifier les segments où une valeur ajoutée locale est possible. Certaines opérations, comme le conditionnement ou la transformation de produits importés, sont déjà en place, et d’autres pistes sont à l’étude, toujours dans le respect des normes sanitaires les plus strictes.
Nous sommes également très attentifs à l’évolution des habitudes de consommation. Les Mauriciens recherchent de plus en plus des produits pratiques, adaptés à un mode de vie actif. Grâce à notre réseau logistique, nous assurons une distribution quotidienne, ce qui nous permet de rester proches des attentes du marché.
Enfin, l’innovation reste au cœur de notre démarche. Lors de nos réunions internes, nous encourageons activement les responsables de départements à proposer de nouveaux produits ou services, afin de mieux répondre aux besoins des consommateurs tout en anticipant les tendances de demain.
Avec la récente introduction en Bourse de ABCB Holdings, quels sont les principaux avantages que le groupe attend de cette décision, et quelles nouvelles opportunités de financement compte-t-il explorer pour soutenir sa croissance future ?
Avec l’introduction en Bourse de ABCB Holdings, le groupe vise à diversifier ses activités et à explorer de nouvelles sources de financement pour soutenir sa croissance future. Bien que la banque soit limitée à ses activités bancaires, l’acquisition de plusieurs bâtiments a ouvert la voie à une diversification dans le secteur immobilier.
Pour cela, nous avons opté pour la création d’un holding, avec la banque comme filiale. Le holding n’étant pas soumis à la régulation de la Banque de Maurice, il nous offre plus de flexibilité. Ainsi, la banque pourra transférer certains de ses bâtiments à une nouvelle filiale, ABC Properties, qui émettra des obligations publiques pour financer l’acquisition de ces actifs. En retour, la banque recevra des liquidités, ce qui lui permettra de renforcer sa capacité à réaliser de nouvelles transactions financières.
La banque continuera de payer un loyer pour les bâtiments, et les dividendes générés par les obligations seront versés aux investisseurs, renforçant ainsi l’attractivité du modèle pour les parties prenantes tout en soutenant la croissance du groupe.
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