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Prompts et pièges : vers une République algorithmique ?

29 mai 2025, 05:19

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Le Blueprint for Mauritius – Digital Transformation 2025-2029 débarque dans notre paysage comme une promesse de modernité tous azimuts. Cloud, IA, STEM, économie circulaire, gouvernance des données, tout y est. Le ministre de la Technologie, Avinash Ramtohul, déroule, ces jours-ci, un plan séduisant, assez structuré, et visionnaire même. Mais entre jargon digital et terrain mauricien, il y a un monde qui n’est pas virtuel – celui des bugs politiques, des lenteurs administratives et des inégalités sociales trop bien ancrées.

Oui, Maurice a du retard. Oui, la digitalisation est nécessaire. Mais comme le reconnaît le ministre luimême, le véritable défi est d’en faire une révolution inclusive. Digitaliser pour digitaliser ne sert à rien si cela exclut les Rodriguais, les aînés ou ceux qui ne disposent même pas d’une connexion stable. Qui va accompagner, former, vulgariser ? Car transformer un État, ce n’est pas seulement déployer des chatbots, c’est aussi déverrouiller les mentalités.

François Mark et son initiative ReUse REVAMP montrent une voie intelligente : celle de l’écologie numérique. Réutiliser, former aux outils, développer des compétences nouvelles comme le prompt engineering, créer un véritable écosystème circulaire. Mais ces bonnes idées resteront anecdotiques si l’État ne les intègre pas dans une stratégie systémique, dotée de moyens et d’un suivi rigoureux.

Autre angle mort du Blueprint : la souveraineté numérique. Tandis que Meta s’apprête à utiliser nos données pour entraîner ses IA, en catimini, qui protègent les Mauriciens ? Gouverner les données, ce n’est pas juste sécuriser des serveurs, c’est éduquer les citoyens, les outiller, leur garantir des droits clairs dans un monde algorithmique qui avance à toute vitesse.

Ce Blueprint a du potentiel. Mais il ne sera crédible que si l’exécution suit. Pas en mode pilot project, mais avec une volonté réelle de transformer le pays.

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Face à l’essor de l’IA et à son impact croissant sur les conditions de travail, des syndicats, à travers le monde, montent au front pour exiger un dialogue social structuré et anticipatif. Car si l’IA fascine par ses promesses, elle inquiète aussi par ses menaces silencieuses : déshumanisation des métiers, pression algorithmique, emplois condamnés à l’obsolescence.

La réflexion devra s’articuler autour de trois piliers : éducation, formation, investissement. L’usage de l’IA à l’école impose une révision en profondeur des pédagogies : élèves et enseignants doivent apprendre à «prompter» efficacement, mais aussi à détecter les abus. Pour cela, encore faut-il que l’État, les rectorats et les instituts de formation acceptent de se mettre à jour.

Autre priorité : l’indépendance technologique. Alors que les États-Unis, portés par les GAFAM et les 500 milliards de dollars de Trump, caracolent en tête, l’Europe reste dépendante, sous-équipée et incapable de garder ses propres licornes.

Derrière les mots-clés (souveraineté, éthique, régulation), se pose une question plus vaste : comment encadrer une technologie aussi énergivore, aussi opaque, et déjà massivement déployée ?

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Quand Geoffrey Hinton, le «parrain de l’IA», quitte Google pour alerter sur les dangers des machines qu’il a lui-même aidé à créer, on ferait bien d’écouter. Ce n’est pas un lanceur d’alerte lambda. C’est l’homme qui a entraîné les neurones artificiels bien avant qu’ils ne rédigent nos mails ou créent nos vidéos.

Aujourd’hui, il sonne l’alarme : l’intelligence artificielle apprend trop vite, trop bien, et souvent sans que personne ne comprenne comment. Elle peut désinformer, manipuler, décider. Et pourtant, on continue de la déployer comme un jouet de foire. Maurice, comme bien d’autres pays, regarde cela de loin. Ici, on parle de chatbots, de Blueprint et de transformation digitale. Mais pendant ce temps, Meta aspire nos contenus pour entraîner ses modèles, sans nous le dire franchement. Souveraineté numérique ? Absente.

Les trois piliers de Hinton sont clairs : éthique, régulation, éducation. Chez nous, l’éthique est un mot de rapport, la régulation un vague projet, et l’éducation peine déjà à comprendre comment enseigner à l’ère des prompts. Qui, à Maurice, sait ce que veut dire «alignement de l’IA» ? Qui protège les données de nos enfants ?

Ce n’est pas la technologie qui est en cause. C’est l’absence de vision. L’IA n’est pas un gadget, c’est un pouvoir. Et comme tout pouvoir, elle doit être encadrée. Hinton ne dit pas :«Stoppons l’IA.» Il dit :«Maîtrisons-la avant qu’elle ne se retourne contre nous.»

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