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Pouvoir d’achat et précarité

Quand certains comptent leurs millions, d’autres comptent chaque roupie

1 août 2025, 17:00

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Quand certains comptent leurs millions, d’autres comptent chaque roupie

Pendant que les salaires à six, voire sept chiffres font la Une, des milliers de Mauriciens doivent, eux, compter chaque roupie pour simplement joindre les deux bouts. Lors du Budget 2025-26, le gouvernement a annoncé le revenu mensuel garanti de Rs 20 000 pour tous les employés à temps plein. Ce montant est-il réellement suffisant pour couvrir les besoins essentiels et assurer une vie décente ?

Selon une enquête récente menée par Analysis, filiale de Kantar, l’indice de confiance des consommateurs a chuté de façon significative en juin, reflétant une perception persistante de la hausse des prix. Pendant ce temps, les commerces déplorent une baisse des ventes. Cette situation tend à creuser l’écart entre revenus et dépenses, rendant la vie quotidienne de plus en plus difficile pour ceux qui doivent vivre avec des salaires modestes. Sur le papier, Rs 20 000 peuvent sembler suffisantes. Dans la réalité, quand il faut régler la facture d’électricité, faire les courses ou payer un loyer en constante hausse, chaque dépense devient un défi. Loyer, alimentation, transport, scolarité : tout pèse lourd et le budget se tend.

Ces difficultés s’inscrivent dans un contexte économique complexe. Le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, a rappelé au Parlement, le 15 juillet, que l’inflation avait atteint un pic de 11,3 % en février 2023, tandis que la roupie avait perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar entre 2014 et 2024. Toutefois, il a également souligné que la situation s’améliore : le taux d’inflation est tombé à 2,9 % en juin 2025 et devrait rester sous la barre des 4 % d’ici la fin de l’année. Cette accalmie est le résultat de mesures fortes : hausse du taux directeur à 4,5 %, régulation du marché des changes, baisse des prix des carburants, suppression de la TVA sur certains produits essentiels et création d’un fonds de stabilisation.

Pourtant, malgré ce contexte globalement rassurant, la vie quotidienne reste très difficile pour beaucoup. Le secrétaire de la Consumers’ Eye Association, Claude Canabady, observe que «Pour une personne seule, tout dépend des obligations. Si elle vit chez ses parents et ne paie pas de loyer, ce revenu peut juste permettre de garder la tête hors de l’eau. Mais Rs 20 000 restent très difficiles, même pour une personne seule.» Et pour une famille ? «Pour un couple avec deux enfants, si une seule personne travaille, c’est impossible. Les charges sont trop nombreuses: électricité, eau, gaz, nourriture, transport et surtout le loyer. Aujourd’hui, même un logement basique peut coûter plus de Rs10 000. Les loyers à Rs 5 000 n’existent plus. Avec deux salaires, on peut se serrer les coudes et finir le mois, mais sans marge de manœuvre.»

Claude Canabady relève que ce revenu limité a également un impact sur la vie sociale. «Ces familles n’ont pas les moyens de se payer des loisirs. À part aller à la plage – où il faut prendre le transport et où l’on apporte ce qu’on a de la maison – cela devient une sortie. Même regarder les vitrines dans les centres commerciaux est devenu une forme de distraction.»

Il fait ressortir que les mesures comme la gratuité du transport ne changent pas fondamentalement la situation. «Cela ne soulage pas vraiment le petit peuple, d’autant plus que beaucoup reçoivent déjà une allocation transport.»

Manger sainement, un luxe pour beaucoup

Pour Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice, la situation est encore plus inquiétante : «Aujourd’hui, il est difficile de manger sainement et d’avoir une alimentation équilibrée. Fruits, légumes, poissons, viande, tout est cher.»

Il rappelle que le salaire minimum avait été décidé par un comité réunissant secteur public, privé, syndicats et associations de consommateurs. «Oui, il y a eu des augmentations et des allocations. Mais avec la perte du pouvoir d’achat, est ce suffisant ? Pour un ménage de quatre personnes avec un seul revenu, ce n’est pas viable.»

Face à la hausse du coût de la vie et à des revenus souvent insuffisants, de nombreux ménages n’ont d’autre choix que de chercher des solutions temporaires pour boucler leur budget. L’une des plus répandues reste le recours au crédit. «Les ménages aux revenus modestes ont souvent recours au crédit, parfois au-delà de leurs capacités de remboursement. D’autre part, pour ceux payés à la semaine, l’achat à crédit chez le boutiquier du coin est redevenu une pratique courante.» Selon lui, retirer la TVA sur certains produits ou limiter les marges commerciales pourrait aider, «mais cela ne change pas grand-chose pour les ménages les plus pauvres».

Le revenu garanti de Rs 20 000 représente une avancée sociale pour certains. Mais pour Pierre, père de deux enfants, la réalité reste un combat de chaque jour.«Je travaille à plein temps, ma femme à temps partiel. Heureusement, nous n’avons pas de loyer à payer; sinon, ce serait tout simplement impossible. Rien que pour les courses, il nous faut environ Rs 18 000 par mois. Nous avons réduit nos achats, limité les petits plaisirs des enfants et nous cuisinons tout à la maison pour éviter de manger à l’extérieur.»

Face à cette situation, Pierre refuse de tomber dans le piège du crédit. «C’est déjà assez difficile comme ça, je ne veux pas m’endetter. Nous nous serrons la ceinture autant que possible. Mo pe ser mo mem kompletman!» Son constat est amer. «Je travaille de lundi à dimanche juste pour joindre les deux bouts et nourrir ma famille. Nous payons nos impôts, l’argent des contribuables est dépensé partout… mais rien de concret pour vraiment nous soulager.»

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