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Quand Jugnauth transforme Ramgoolam et «Maharaja» en alliés objectifs

3 mai 2024, 09:00

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Alors que son adversaire direct n’est nul autre que Navin Ramgoolam, Pravind Jugnauth, dans un langage offensif, a choisi, contre toute attente, de remettre le «Maharaja» au-devant de la scène, s’attaquant de front au leader de One Moris et à l’épouse de ce dernier. Boosté par ce coup de pub inattendu, Sherry Singh n’a pas tardé à convier la presse hier pour répondre que «ni moi ni mon épouse n’avons des comptes bancaires en milliards à Dubaï». En revanche, l’ancien CEO de Mauritius Telecom lui a adressé trois questions par rapport à des transactions autour de sa maison à Angus Road et d’un appartement à Londres, achetés apparemment avec l’aide d’un homme d’affaires, qui ne serait plus de ce monde.

Le grand gagnant de ce grand déballage entre les anciens partenaires en affaires, en politique et autres ne peut qu’être Navin Ramgoolam, qui pensait qu’il serait bientôt l’objet de fake videos réalisées avec l’intelligence artificielle – celle qui peut gonfler les foules et manipuler les sons et images, sans que l’on s’en rende compte. Dans ce chassé-croisé à trois, où l’on parle trop des femmes de manière peu honorable, Ramgoolam et Singh sont devenus des alliés objectifs qui peuvent acculer leur ennemi commun – le terme «ennemi» n’est pas trop fort si on écoute le ton et les mots utilisés par eux, contre eux. Compliquant l’opposition des ennemis et des alliés, l’«allié objectif» devient celui qui fait le jeu de l’ennemi.

Sherry Singh, descendu de son trône, avait expliqué avoir choisi de démissionner de Mauritius Telecom car il aurait refusé d’exécuter une requête antipatriotique du Premier ministre. Selon l’ancien CEO de Mauritius Telecom, Pravind Jugnauth l’aurait appelé, vers avril-mai 2022, afin qu’il autorise une «third party à accéder au trafic internet» entrant et sortant du pays. Il avait parlé de l’installation de «devices» qu’il n’aurait pas permise. Afin de ne pas dévoiler toutes ses cartes, Singh n’avait pas souhaité répondre s’il s’agissait de l’Inde ou d’Israël, mais il avait expliqué que c’était contre l’intérêt national de Maurice. Sur le radar de l’opinion alors, le cuivre n’était pas aussi visible que le câble SAFE de Baie-Jacotet ou encore l’influence chinoise à travers Huawei.

En raison de sa proximité avec Bruneau Laurette, ou à cause de la taille majestueuse de sa villa «Au bout du monde», le PTr et le MMM n’avaient pas trop voulu s’associer au duo de One Moris, devenu un parti discret… jusqu’à ce que le PM ne réveille d’anciens démons.

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On a souvent posé la question. Sherry Singh s’est-il engagé en politique pour se protéger ou pour combattre la dynastie Jugnauth qui, apparemment, l’aurait lâché avant qu’il quitte la Telecom Tower ? Il est encore difficile de prédire l’avenir politique de Sherry Singh, tant la situation est devenue dynamique ces derniers jours. Ce que l’on peut dire, cependant, c’est qu’il est devenu un persécuté du régime ou comme quelqu’un qui, après en avoir bien profité, a quitté un cercle mafieux avec les conséquences que cela entraîne. Surtout quand l’on brise l’omerta !

Sherry Singh a expliqué son projet personnel : il faudrait effacer «l’erreur de 2019» et s’est dit prêt à soulever, après avoir écouté le peuple, un «tsunami» contre Pravind Jugnauth et Lakwizinn 2.0. Comme réplique semi-officielle du gouvernement, la ministre Kalpana Koonjoo-Shah avait tenté de déstabiliser Sherry Singh en faisant allusion à Duryodhana (NdlR, the villain of the Mahabharata), soit un prince nouveau riche qui aspire à être roi, en piétinant une amitié longue de 15 ans.

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En mai 2014, l’alliance Lepep n’existait pas encore. Sir Anerood, 84 ans, ne digérait pas d’avoir été trahi par Bérenger qui l’avait sorti de sa douce retraite au Réduit pour «déboulonner Ramgoolam». Le gâteau lui était passé de travers. Xavier-Luc Duval, entre deux prix récompensant le meilleur ministre des Finances en Afrique, siégeait, lui, toujours fièrement dans le cabinet de Ramgoolam. Et ce dernier, pris d’une frousse grandissante de fin de règne, perdait souvent son calme et menaçait tous ceux – surtout la presse libre et indépendante – qui ne voyaient pas d’un bon oeil son projet de IIe République et son mandat de sept ans comme président (avec nouveaux pouvoirs et immunité garantie), concocté dans le secret des dieux avec un Paul Bérenger alléché, lui, par le poste de Premier ministre : «Si vous êtes contre les deux plus grands partis historiques du pays, vous êtes contre le progrès. Avec nous, Maurice sera un pays phare.»

Le reste de l’histoire et les résultats des Législatives 2014 sont connus.

L’arithmétique (40 % + 40 %) a non seulement aveuglé Ramgoolam et Bérenger mais les a conduits près du précipice. Et ils ont chuté, sous nos yeux écarquillés... Ils sont tombés de haut tous les deux ! Et au lieu d’aider son partenaire à se relever, Bérenger l’avait piétiné. Seconde trahison du leader du MMM, après celle de SAJ !

Seul contre le MMM et le PTr, l’alliance Lepep de sir Anerood a longtemps savouré sa victoire du 11 décembre 2014 (avec un plébiscite de plus de 50 % de l’électorat et quelque 74 % des sièges parlementaires). Dix ans plus tard, SAJ n’est plus de ce monde et repose au jardin de Pamplemousses. Ramgoolam et Bérenger, eux, ne sont pas prêts à prendre leur retraite. Ils veulent déboulonner Pravind Jugnauth et ont compris qu’il ne faut pas parler de leur projet de IIe République comme en 2014, mais qu’il leur faut mettre l’accent sur 20 mesures phares pour le pays, au lieu de se confectionner des costumes pour eux.