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Quand la machine se retourne contre ses maîtres
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Quand la machine se retourne contre ses maîtres

Le MSM, né au cœur du pouvoir en 1983, s’effrite aujourd’hui comme un vieux temple rongé par les affaires. Dans les couloirs déserts du Sun Trust, il ne reste que la poussière des certitudes d’hier et l’écho d’un nom qu’on hésite à prononcer.
Pravind Jugnauth et son Attorney General, figures naguère intouchables, traînés dans les dédales de la justice comme de simples fraudeurs. La chute est brutale, mais pas surprenante. On ne bâtit pas un royaume sur la peur sans en payer le prix. Au Parlement, c’est un Best Loser, sauvé par une mécanique électorale plus que par un peuple, qui s’improvise chef de l’opposition. Il avance à pas comptés, évitant le Sun Trust comme on évite une maison hantée, refusant de porter seul le poids d’un héritage qui s’effrite entre ses mains.
La déchéance de Pravind Jugnauth n’est pas celle d’un homme, mais celle d’un système tout entier. Un système d’intimidations froides, de clientélisme méthodique, de manipulations cousues au fil blanc. Ce qui tombe aujourd’hui, c’est la façade. Derrière, il reste les ruines d’un État captif, livré pendant une décennie à la voracité d’un clan. Mais la justice elle-même vacille. Car lorsque la politique s’invite au tribunal, c’est la justice qui en sort. Si Navin Ramgoolam veut briser cette malédiction mauricienne, il lui faudra rester sourd aux chants de vengeance. Gouverner, ce n’est pas solder des comptes ; c’est éviter que le pays entier devienne un champ de règlements de comptes.
Et pourtant, au fond de la fosse où gît le MSM, un souffle persiste. Quelque 25% d’un électorat fidèle par habitude plus que par conviction. Ils regardent vers leur chef tombé, faute d’horizon. Il y a, dans cette fidélité, quelque chose de la soumission des champs, celle qui lie la terre aux hommes sans leur laisser d’autre choix. Mais un parti sans colonne vertébrale ne marche pas longtemps. Jugnauth fils n’a jamais appris la solitude du vrai chef. Il a toujours été l’ombre de son père, le jouet de ses courtisans. Il tombe sans comprendre, comme une cabane rongée par la pluie.
En face, le gouvernement Ramgoolam avance. Triomphant, mais inquiet. La justice taille dans l’ancien régime, mais ce spectacle ne distraira pas longtemps. Car la vérité, la seule qui compte, est inscrite dans les chiffres et les comptes publics. Une croissance rachitique, une dette qui s’envole comme un cyclone sur les champs de canne, un déficit budgétaire abyssal, un commerce extérieur qui saigne le pays jour après jour. Ce n’est plus une crise. C’est une pente savonneuse, une descente inexorable si rien n’est fait.
Le prochain Budget de Ramgoolam ne sera pas une simple lecture de chiffres. Ce sera un acte de rupture. Il faudra rompre avec cette douce illusion que l’État peut tout donner sans rien demander. Il faudra dire au peuple ce que personne n’ose dire : la gratuité a un prix. La fête est finie. Il faudra taxer, couper, brider. Il faudra serrer la ceinture jusqu’à sentir les os. Et Ramgoolam, revenu des limbes politiques, devra prouver qu’il est plus qu’un phénix. Il devra être ce chef capable d’imposer l’effort à ceux qui l’ont applaudi, capable de dire la vérité aux visages fatigués qui l’attendent.
Le vrai test viendra aux municipales. Là, dans les quartiers où la politique s’écrit en créole, entre une varangue et une gargote. Là où chaque maire devient le porte-voix d’un peuple qui n’a plus la patience d’attendre. Si le PTr et le MMM chancellent dans les faubourgs, alors Ramgoolam saura que son pouvoir repose sur du sable. Et si, dans un dernier sursaut, le MSM participe et arrive à sauver quelques bastions, alors même son agonie prendra une pause.
Dans ce théâtre, les petits partis rêvent de gloire. Valayden, Bhadain, Bodha et les autres, silhouettes agitées au bord de la scène, espérant une place sous la lumière. Mais l’histoire mauricienne ne retient que les locomotives. Les wagons solitaires finissent au dépôt, oubliés dans la rouille. S’ils refusent les grandes alliances, ils ne seront que des notes de bas de page, des souvenirs éphémères dans la mémoire d’un pays qui oublie vite.
Et pendant ce temps, le pays vieillit. Et la relève tarde. Quelques femmes tentent d’avancer, mais la porte reste étroite. Dans ce vide, un fantôme attend. Pravind Jugnauth, déchu mais vivant, sait qu’à Maurice, aucun dirigeant ne meurt vraiment. Il sait que si l’économie s’effondre, si l’austérité dérape, si la colère monte, alors même les fantômes peuvent reprendre forme...
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