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Banque de Maurice

Quand la répression des employés pousse à la mobilisation syndicale

9 mars 2025, 16:30

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Quand la répression des employés pousse à la mobilisation syndicale

La note interne qui a pris plusieurs de court. La teneur de celle-ci contraste avec le langage de Gérard Sanspeur

Des employés de la Banque de Maurice (BoM) ont relancé, cette semaine, leur syndicat afin de protéger leurs droits face à une administration qu’ils jugent «liberticide». Cette initiative, soutenue par le négociateur syndical Narendranath Gopee, intervient dans un climat de tensions accrues au sein de la BoM, où la liberté d’expression du personnel serait menacée depuis la fuite de certaines informations sur Facebook eu égard à la gouvernance de l’institution.

La Bank of Mauritius Employees Union (BOMEU) avait été mise en sommeil ces dernières années, la direction de l’époque Seegolam ayant cherché à la mettre de côté. Malgré un verdict favorable du tribunal du travail en 2022, qui avait débouté la BoM et confirmé le droit du syndicat à exister, la direction n’a jamais réaccordé de reconnaissance officielle à la BOMEU – restant sourde aux demandes répétées de dialogue. Narendranath Gopee, négociateur de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU), supervise aujourd’hui la relance du syndicat pour rétablir un contrepoids interne en faveur des salariés. Il en appelle aux membres du conseil d’administration de la banque de «revoir cette situation», rappelant que le dialogue entre management et syndicat demeure essentiel au sein de la BoM.

Le nouvel élan syndical fait suite à la divulgation non autorisée d’informations sur la gouvernance de la BoM, événement qui a, selon les employés, entraîné un durcissement de l’attitude de l’administration envers toute voix critique en interne; ce qui est contraire au changement prôné par la nouvelle administration. Les salariés craignent désormais que la moindre prise de parole ou dénonciation de dysfonctionnement ne soit sévèrement sanctionnée. Une telle crainte s’inscrit dans un contexte mauricien plus large, où les autorités ont souvent tendance à «chercher qui est l’auteur d’une fuite, plutôt que de s’attaquer au délit qui a été dénoncé».

Un précédent incident vient étayer ces préoccupations. En 2021, Chidanand Rughoobar, alors président de la BOMEU, qui vient d’être reconduit à ce poste, avait été accusé par la direction d’être la source de fuites d’informations lors d’une audience devant l’Employment Relations Tribunal, pour avoir présenté un document relatif à la gouvernance de la BoM – document qui était pourtant déjà du domaine public. Narendranath Gopee avait à l’époque dénoncé la réaction de la BoM, déplorant la disproportion des mesures prises. Il avait parlé de «répressions» syndicales au sein de l’institution, estimant que le document en question n’avait rien de confidentiel. Le syndicaliste Rughoobar avait même reçu un courriel officiel le sommant de s’expliquer, sous peine de licenciement immédiat. Bien qu’il ait finalement été blanchi de ces accusations, cet épisode a laissé au personnel le sentiment qu’exprimer des griefs, même légitimes, pouvait lui coûter son emploi. Même le staff pensait qu’avec la nouvelle équipe dirigeante, les choses allaient évoluer dans le bon sens..

A cet égard, le Second Deputy Governor de la BoM, Gérard Sanspeur, en charge de l’administration, est directement mis en cause par le syndicat. Selon plusieurs employés, M. Sanspeur – qui, avant son entrée en fonction, n’hésitait pas à critiquer ouvertement l’ancienne administration de la banque sur Facebook (voir ses posts incendiaires ci-dessous) – adopte désormais une posture punitive envers le personnel. Une fois son job et sa berline sécurisés, il a viré son costume de démocrate pour jouer au tyran en tentant d’intimider le staff.

Ils l’accusent surtout d’un comportement jugé contradictoire : celui qui prônait autrefois la transparence et la dénonciation des abus sur les réseaux sociaux se montrerait aujourd’hui peu tolérant face aux critiques internes. Beaucoup d’employés y voient une ironie amère, estimant que M. Sanspeur applique désormais les mêmes méthodes de bâillonnement qu’il dénonçait chez ses prédécesseurs ! Par ailleurs, les travailleurs de la BoM déplorent que les dysfonctionnements révélés par les fuites d’informations n’aient donné lieu à aucune mesure corrective en interne. D’après eux, aucune enquête ni réforme de gouvernance n’a été initiée à la suite de ces révélations ; en revanche, tous les efforts auraient visé à identifier et sanctionner le(s) lanceur(s) d’alerte. Autrement dit, les problèmes soulevés resteraient sans réponse, tandis que leurs auteurs seraient pourchassés – un constat qui motive d’autant plus la résurrection de la voix syndicale au sein de la banque.

Cette situation relance le débat sur la nécessité d’un dispositif formel de protection des lanceurs d’alerte au sein de la Banque de Maurice, et plus largement dans le secteur public mauricien. Le syndicat plaide pour la mise en place de canaux internes sécurisés permettant aux employés de signaler des irrégularités sans craindre de représailles. Cette revendication fait écho à celle de la défunte Commission indépendante anti-corruption (ICAC), qui exhortait déjà les autorités l’an dernier à adopter «un système de protection solide pour garantir le secret et l’anonymat des dénonciateurs» FLO, afin de les mettre à l’abri des menaces ou des mesures de rétorsion. Le défi consiste à concilier une telle protection avec le strict devoir de confidentialité imposé par la loi bancaire, qui sanctionne pénalement toute divulgation non autorisée d’informations. Pour les syndicalistes de la BoM, instaurer un mécanisme interne de whistleblowing s’avère indispensable afin d’encourager, sans peur aucune, un climat de transparence et de confiance, sans lequel aucune amélioration de la gouvernance ne pourra, selon eux, voir le jour.

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Des employés ont démandé à Chid Rughoobar de relancer le syndicat par ce qu’ils ne veulent plus «subir».

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Analyse: L’illusion des profits, la réalité des risques

L’édition 2024 du rapport annuel de la Banque de Maurice (BoM) fait couler pas mal d’encre. L’institution a annoncé un bénéfice de Rs 3,3 milliards, mettant en avant une stratégie d’investissement visant à diversifier les risques tout en optimisant ses revenus. Cependant, une analyse plus approfondie révèle une réalité plus nuancée : ces profits comptables ont été en partie réalisés en maintenant un niveau excessif de liquidité en roupies, en ne valorisant pas à leur juste valeur des actifs illiquides détenus via la Mauritius Investment Corporation (MIC) et en adoptant une approche d’investissement risquée et en contradiction avec le mandat de la BoM.

Contrairement aux banques commerciales, une banque centrale ne doit pas être évaluée uniquement à travers le prisme de sa rentabilité comptable. «Les banques centrales ont pour mission première de garantir la stabilité des prix, d’assurer la stabilité financière et de préserver le pouvoir d’achat des réserves internationales plutôt que de maximiser les profits», souligne Sameer Sharma, ancien gestionnaire des réserves à la BoM. Les banques centrales disposent d’un monopole sur l’émission monétaire et, tant que leurs engagements restent libellés en monnaie locale, elles ne peuvent techniquement pas faire faillite.

Toutefois, une banque centrale affichant des capitaux propres négatifs peut voir sa crédibilité s’effriter si cela remet en cause son objectif de stabilité des prix. «C’est pourquoi la plupart des banques centrales cherchent à maintenir un niveau confortable de capital économique, en fonction des risques figurant à leur bilan», précise Sharma. À Maurice, la BoM est tenue par la loi de maintenir un capital minimum de Rs 10 milliards. Ce seuil, bien qu’arbitraire, vise à éviter toute recapitalisation forcée par l’État et à prévenir une situation de fonds propres négatifs.

Depuis l’adoption d’un régime de ciblage flexible de l’inflation en janvier 2023 avec une cible médiane de 3,5 %, la BoM a échoué à absorber l’excès de liquidité en roupies, ce qui a entraîné un écart significatif entre le taux interbancaire et le taux directeur. Malgré une expansion monétaire bien supérieure à la croissance du PIB nominal depuis 2019, les instruments de politique monétaire émis par la BoM restent insuffisants pour neutraliser cet excès de liquidité.

L’impact de cette stratégie est visible sur le taux de change. Le taux officiel de Rs 46,50 pour un dollar ne reflète pas la réalité du marché, marqué par une forte pénurie de devises. En cherchant à minimiser les coûts pour maximiser des profits comptables, la BoM a aggravé les déséquilibres de taux d’intérêt et de change.

L’ancien premier gouverneur adjoint, M. Kona, a récemment défendu la nouvelle approche de gestion des réserves de la BoM, affirmant qu’elle visait une génération de revenus plus stable et soutenait la notation souveraine de Maurice. Toutefois, cette analyse omet des points fondamentaux. «Tant Moody’s que le FMI ont exprimé leurs préoccupations sur l’indépendance de la BoM et sur l’intégration des actifs de la MIC dans son bilan», met en avant Sharma.

En vertu du cadre comptable actuel, les plus-values de portefeuille et les gains de change sont affectés au Special Reserve Fund (SRF), tandis que les profits restants de Rs 3,3 milliards ont été transférés au General Reserve Fund (GRF). Bien que ces fonds fassent partie des capitaux propres de la banque, leur utilisation reste limitée. En fin de compte, les performances financières de la BoM ne devraient pas être jugées sur des profits comptables, mais sur la gestion globale de ses réserves et sa capacité à préserver la stabilité macroéconomique.

L’un des problèmes majeurs du bilan de la BoM réside dans ses actifs MIC, dont la valorisation pose question. «Entre des obligations convertibles en défaut, des terrains surévalués sur les côtes est et ouest de l’île, et des participations douteuses, la valorisation réelle de ces actifs par un expert indépendant révélerait sans doute des pertes considérables», affirme Sharma.

L’exemple d’Air Mauritius est frappant : la MIC détient une participation dans Airport Holdings, dont la filiale Air Mauritius affiche un déficit de plus de Rs 10,4 milliards en fonds propres négatifs. La manipulation des comptes de la BoM pour masquer ces pertes n’est qu’un symptôme de pratiques comptables visant à embellir artificiellement la situation financière de l’institution.

Le portefeuille de réserves internationales de la BoM semble avoir été géré selon une approche axée sur le revenu, privilégiant des obligations d’entreprise à rendement élevé et des instruments illiquides. Cette stratégie, dictée par la volonté de maximiser le revenu d’intérêt tout en minimisant la volatilité comptable, comporte des risques accrus en termes de liquidité et de crédit.

«L’équipe de gestion des réserves a probablement surpondéré les obligations d’entreprise à rendement élevé, au détriment d’actifs plus liquides tels que les bons du Trésor américain», souligne Sharma. Une telle allocation augmente le risque de crédit et réduit la capacité d’intervention de la banque en cas de besoin. Or, la gestion des réserves doit avant tout garantir la liquidité et la préservation du capital, et non viser un rendement à court terme.

Avec la montée des primes de risque et l’incertitude macroéconomique accrue, cette stratégie semble particulièrement mal adaptée. Les écarts de crédit se creusent, mettant sous pression la valorisation des obligations d’entreprise et exposant la BoM à des pertes potentielles.

La gestion des réserves d’une banque centrale repose sur un cadre rigoureux, axé sur la sécurité, la liquidité et le rendement global, plutôt que sur la génération de revenus. «La BoM doit revoir sa stratégie d’investissement en privilégiant un cadre d’allocation stratégique des actifs cohérent avec son mandat», recommande Sharma.

Certains pays ont réussi à moderniser la gestion de leurs actifs publics via des fonds souverains indépendants. Maurice pourrait s’inspirer de ces modèles en créant une entité distincte, comme la Mauritius National Investment Authority, pour gérer les actifs publics sous des mandats spécifiques et avec des ressources humaines compétentes.

La gouvernance de la BoM doit aussi évoluer pour s’adapter aux réalités des marchés financiers internationaux. L’institution a perdu de nombreux talents, freinée par un manque de compétitivité et une résistance au changement au sein de sa structure hiérarchique. La gestion des actifs publics à Maurice est dans un état préoccupant, et il est temps que les décideurs politiques entreprennent des réformes de fond pour restaurer la crédibilité et l’efficacité de la BoM.

Le rapport annuel 2024 de la Banque de Maurice met en lumière des profits comptables qui ne traduisent pas fidèlement la santé financière de l’institution. Derrière ces chiffres se cachent des pratiques risquées et une gestion des réserves qui s’éloigne de son mandat premier. La stabilité financière de Maurice ne saurait reposer sur des artifices comptables. Une réforme en profondeur est nécessaire pour garantir une gestion des réserves alignée sur les meilleures pratiques internationales, au service de la stabilité macroéconomique du pays.

Floraison des posts de Sanspeur

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