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Quand le berceau devient un cercueil social

31 juillet 2025, 10:11

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La nouvelle parue cette semaine dans la presse parisienne dit tout. En France, entre mai 2024 et mai 2025, les décès ont dépassé les naissances. Une première depuis 1945. Un basculement symbolique et structurel : celui d’une société, qui ne se renouvelle plus, qui se fige dans ses certitudes vieillissantes et qui vacille dans son contrat social. À Paris comme à Port-Louis, ce n’est pas qu’un problème d’état civil : c’est le début d’un effondrement silencieux.

Car chez nous aussi, le seuil critique est franchi. Le taux de fécondité tourne autour de 1,4 enfant par femme. Bien loin du seuil de remplacement de 2,1, comme cela a maintes fois été souligné dans ces colonnes. En 2024, le pays n’a gagné que 346 habitants de manière naturelle. Et cette modeste progression a aussitôt été effacée par une migration nette négative de 3 186 personnes. Résultat : nous perdons des habitants. Nous perdons des forces vives. Nous perdons notre avenir.

La France le dit sans détour : le modèle de retraite par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle, est en péril. Le ratio d’actifs par retraité est passé de 5 pour 1 en 1950 à 1,6 pour 1 aujourd’hui. À Maurice, les chiffres sont moins médiatisés mais tout aussi inquiétants : le ratio de dépendance a atteint 431,7 personnes à charge pour 1 000 actifs. La base productive s’amenuise pendant que les besoins sociaux explosent.

Et que faisons-nous ? Rien. Nous gérons. Nous aménageons. Nous observons ce lent effritement comme on regarde un mur se fissurer – sans intervenir. Pire : nous avons intégré l’idée que la baisse des naissances serait un mal nécessaire, une conséquence des temps modernes. Or, comme l’a très justement souligné Sarah El Haïry, la haute-commissaire française à l’Enfance : «Une société qui ne fait plus d’enfants s’appauvrit et laisse son destin s’éteindre à petit feu.»

Ce n’est pas qu’un enjeu comptable. C’est une question de civilisation. Une société sans enfants est une société sans mémoire en devenir. Sans projection. Sans énergie. Sans vitalité. Les politiques publiques, les modèles économiques, les solidarités sociales sont bâtis sur l’idée que demain existera. Que quelqu’un viendra après nous. Si ce «quelqu’un» n’existe plus, alors à quoi bon ?

Pourquoi fait-on moins d’enfants ? Parce que bien des jeunes ne s’y retrouvent plus. À Maurice, le coût du logement explose, les salaires stagnent, la précarité augmente. La charge mentale, surtout pour les femmes, est écrasante. Le mariage recule, les rêves d’enfants aussi. Ce n’est pas du caprice : c’est de la lucidité. Des jeunes ne veulent pas reproduire un modèle social qui les épuise.

Et pendant ce temps, nos décideurs parlent de croissance. De PIB. De mégaprojets. Mais jamais de berceaux. Jamais d’enfance. Jamais de transmission. La France, elle, commence à peine à se réveiller. Emmanuel Macron évoque un «réarmement démographique». François Bayrou veut réformer le financement de la protection sociale pour qu’il pèse moins sur le travail. À Maurice, nous attendons encore la moindre ambition nataliste.

L’heure est venue d’une réorientation complète. D’un changement de paradigme. Il faut investir dans les enfants. Alléger la fiscalité des familles. Repenser l’urbanisme autour des besoins parentaux. Offrir des congés parentaux dignes de ce nom. Multiplier les crèches, valoriser les métiers de la petite enfance, soutenir les parents isolés. Il faut que les enfants cessent d’être perçus comme un poids et redeviennent ce qu’ils sont : une promesse.

La démographie n’est pas un détail. C’est la colonne vertébrale d’un pays. Si elle se brise, tout s’effondre. La France le comprend enfin, à la lumière brutale des chiffres. Maurice, insulaire et plus vulnérable encore, n’a pas ce luxe du retard. Nous devons agir maintenant.

*** 

Le Finance Bill 2025 acte la fin d’un cycle et pose les bases d’un nouveau contrat social. Un texte de transition lucide face au vieillissement démographique. Derrière la technicité d’un budget de 300 pages se cache une rupture assumée, mais mal explicitée sur le plan de la communication.

Le Finance Bill 2025 engage Maurice dans une ère de rigueur modérée, face à une équation budgétaire et démographique de plus en plus intenable. Il faut le dire : la réforme de la BRP n’est qu’un début. La rigueur budgétaire va frapper surtout ceux qui n’ont ni voix, ni marge, ni fiscaliste. Ce n’est pas un budget pour les gens, c’est un budget pour les courbes.

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