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Sir Keir Starmer
Quand le Parti travailliste devient sa propre opposition
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Sir Keir Starmer
Quand le Parti travailliste devient sa propre opposition

© Time Magazine Top 100 2025
Sir Keir Starmer n’a pas été élu pour improviser. Il a été élu pour gouverner. Et, en bon ancien procureur, il s’était promis de rétablir le respect de la loi, de la rigueur et de l’équilibre budgétaire au cœur du pouvoir britannique. Un an plus tard, la promesse a fondu sous les projecteurs cruels de Westminster. Sir Keir voulait ressembler à Tony Blair. Il nous rappelle plutôt Gordon Brown sous anxiolytiques.
En cette semaine marquant sa première année de règne, le Parti travailliste se déchire autour d’un projet de réforme du système d’allocations pour personnes handicapées — un chantier budgétaire devenu une tragi-comédie politique. L’une des plus grandes volte-face de l’histoire récente de la gauche britannique. Trois reculs successifs en moins de sept jours. Un projet vidé de sa substance. Une majorité parlementaire maltraitée. Et un leadership questionné jusque dans les couloirs de Downing Street.
Le Welfare Bill, censé symboliser la «responsabilité économique» de ce gouvernement post-Corbyn, est devenu l’emblème de son désordre. Ce devait être le grand acte I de la stabilité selon Starmer. Ce fut l’acte II du chaos britannique.
Les chiffres sont connus : 49 députés travaillistes ont voté contre le projet malgré les concessions. 19 se sont abstenus. Liz Kendall, la ministre du Travail et des Retraites, a tout tenté — jusqu’à sacrifier en direct à la Chambre des communes l’essentiel du texte. Et le résultat final ? Une réforme qui ne réforme rien. Un trou budgétaire de plusieurs milliards. Et la probabilité désormais quasi certaine d’une hausse d’impôts dès cet automne.
La chancelière de l’Échiquier, Rachel Reeves, regarde les projections économiques avec la grimace d’un urgentiste sans défibrillateur : le Royaume-Uni glisse lentement mais sûrement vers l’inévitable. Plus de dépenses sociales. Moins de recettes. Des marges de manœuvre réduites. Et un électorat qui, lui aussi, commence à comprendre que Starmer n’est ni providentiel, ni particulièrement courageux.
Mais ce qui a vraiment mis le feu aux poudres, ce n’est pas seulement le contenu de la réforme, mais la manière : précipitée, hésitante, opaque. Pendant que les députés travaillistes s’arrachaient les cheveux devant un projet qu’on leur demandait de défendre un jour… pour l’enterrer le lendemain, le Premier ministre, lui, regardait ailleurs.
«J’étais concentré sur l’OTAN, les Chagos et le Moyen-Orient», a-til dit à la presse, en guise d’explication. Traduction libre : j’étais occupé à jouer au diplomate pendant que le feu prenait à la maison. Pas sûr que les militants de base — ni les électeurs à revenus modestes — acceptent longtemps ce genre d’alibi.
D’autant que sa politique étrangère, elle aussi, commence à montrer ses limites. Un grand journal conservateur britannique, qui n’est pourtant pas le porte-voix de l’anticolonialisme militant, s’est même fendu d’une critique acide, accusant Starmer d’«hypocrisie stratégique». Il n’est pas allé jusqu’à dire qu’il valait mieux Boris Johnson… mais la comparaison est dans tous les esprits.
Résultat : Keir Starmer a réussi l’exploit de se mettre à dos les syndicats, une partie de son propre groupe parlementaire, l’aile gauche du Labour, les défenseurs des droits des personnes handicapées, les diplomates du Commonwealth… et même une frange croissante de la presse. Tout cela en un an.
Certains députés travaillistes s’en amusent à moitié : «On a soutenu trois versions différentes du même texte en moins d’une semaine. C’est du jamais vu. Même Theresa May aurait eu honte de ce cirque», a soufflé un élu à la BBC. D’autres, plus lucides, parlent déjà de «reset». Mais quand on en est à chercher un bouton «reset» après douze mois, c’est que le logiciel était mal programmé dès le départ.
Car le vrai problème n’est pas tant dans les textes, que dans le style Starmer. Un style qui hésite. Qui calcule. Qui ménage les centres de pouvoir — au détriment de la clarté politique. Le Premier ministre ressemble parfois à un chirurgien qui connaît parfaitement l’anatomie… mais qui a peur d’inciser.
Et ce manque de tranchant, dans la vieille Europe comme dans l’Indo-Pacifique, se paie cher. Si Keir Starmer veut espérer incarner une nouvelle ère, il devra cesser d’être le Premier ministre de la gestion molle. Il lui faudra assumer ses décisions. Expliquer ses choix. Et, surtout, ne plus fuir les débats de fond derrière des conférences de presse sur l’Ukraine ou des réunions de crise sur Gaza.
Il reste quatre ans à Starmer pour redresser le navire. Mais l’année de grâce est finie. Le capitaine est désormais jugé à la barre.
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