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Loi de la rue

Quand les gangs redéfinissent la justice

27 mai 2024, 17:00

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Quand les gangs redéfinissent la justice

Photo illustration.

Au-delà de leur image d’«agents de sécurité», certains de ces «bouncers», membres de véritables gangs, se livrent à des transactions de drogue, participent à des règlements de comptes et s’engagent dans le trafic d’armes à travers le pays. La rixe de Camp-Yoloff est une illustration d’un phénomène qui perdure depuis des années.

Camp-Yoloff a été le théâtre d’une rixe sanglante le 6 mai entre la bande d’Issa Bacsoo et les Khodabux. Un affrontement entre deux gangs qui a tourné au meurtre après le décès de Goolam Khodabux, 60 ans. Cette affaire met en lumière le phénomène des groupes qui agissent souvent au nez et à la barbe des autorités. La majorité des individus appartenant à un gang exerce officiellement comme agents de sécurité. Leur présence est à l’entrée des boîtes de nuit ou ils offrent leurs services pour la protection de VIP ou de politiciens.

Ces gangs imposent leur propre forme de justice, souvent violente et sans pitié. En 2016, l’ombre d’un présumé gang du sud plane avec à sa tête Vishal Shibchurn, habitant de St-Hubert. Ce dernier est arrêté après l’agression sauvage d’Aslam Noursing à Cluny par une vingtaine de personnes cagoulées. Vishal Shibchurn et son présumé gang refont parler d’eux en 2021 lorsqu’il est arrêté avec Senna Budlorun, Yajesh Oogur alias Ronron et Nevill Jumungall pour avoir séquestré et lynché l’internaute Fardeen Okeeb, qui aurait tenu des propos sectaires sur les réseaux sociaux.

Nouvelle arrestation de Vishal Shibchurn et de son fils Mayur en février de cette année pour agression sur Patricia Armandine, 57 ans, habitante de St-Hubert, et séquestration de son oncle d’une soixantaine d’années. Ce dernier avait été embarqué de force dans un 4x4, ligoté et abandonné dans un champ de canne à proximité du parc naturel Le Val. En toile de fond, Patricia Armandine n’aurait pas honoré une dette de Rs 7 000 envers le gros bras Vishal Shibchurn, avec qui elle avait l’habitude de prendre des provisions à crédit.

Yajesh Oogur, connu des services de police et proche de Kusraj Luchigadoo, avait été arrêté une première fois en novembre 2018. Il avait monté une expédition punitive contre un commerçant de Trèfles avec sa bande composée de Vimalsingh Balwant, Munesh Boodhun, Ashish Sagum, Lovish Cathan, Parvesh Canoo et un mineur de 15 ans. Le commerçant avait été agressé sauvagement au sabre.

À Batterie-Cassée, le nom de Jimmy Marthe, alias Colosso, leader d’un groupe de bouncers autrefois appelé «Demolition», fait trembler. En 2012, son nom avait été cité à la suite de l’agression d’un dénommé Franco Edouard, surnommé le Pablo Escobar local. Ce dernier avait témoigné sur le trafic de drogue dans les faubourgs de la capitale, lors d’une émission réalisée par la chaîne française M6. L’accusation a ensuite été rayée, notamment parce que Franco Édouard, appelé à la barre des témoins, n’avait pas confirmé avoir été agressé par Colosso. Franco Edouard avait fait comprendre à la cour qu’il ne se souvenait de rien et voulait en finir avec cette affaire. Il n’avait ainsi pas impliqué Colosso dans son agression. En 2015, ce dernier avait écopé de neuf ans de prison pour entente délictueuse dans le cadre du démantèlement du réseau Gro Derek.

En avril 2014, Yoven Velangany, 24 ans, a été tué à son domicile, situé à St-Pierre, lors d’une bagarre entre des gangs rivaux. C’est son cousin Steven Mootoocurpen qui était visé. Six véhicules bondés de malfrats avaient rallié le domicile de la victime et les gros bras ont ensuite ouvert le feu. Yoven Velangany a été touché et a péri peu après son arrivée à l’hôpital. Dix videurs, dont Robin Saurty et feu Philippe Harel, directeur de Bodyguard Ltd, ont été arrêtés suite à cette fusillade mortelle.

En octobre 2017, Yannick Tour, habitant Roche-Bois, se fait sauvagement agresser par un groupe de videurs sur fond de vengeance alors qu’il était venu assister au concert du chanteur jamaïcain Jah Cure. Sont arrêtés dans cette affaire : Percy Tuyau, domicilié à St-Pierre ; James Rock, un habitant de Tranquebar; Désiré Lafortune, habitant Résidence Barkly ; Vimen Sabapati, un Vacoassien devenu célèbre depuis après une saisie d’héroïne avec lui, et Jacques Clency Jacob, un habitant de Dagotière.

Percy Tuyau, répertorié comme récidiviste par la police, arrêté pour trafic de drogue en septembre dernier, a fait aussi parler de lui en 2008 lorsqu’il a été arrêté à la suite de la disparition de Judex Bhoyroo, âgé de 16 ans, qui aurait été kidnappé, tué et enterré dans une ferme à La Chaumière. Les cousins du mineur, Yanick et Diop Bhoyroo, auraient organisé ce crime en raison d’un désaccord avec la victime. Les jumeaux n’approuvaient pas la relation de Judex Bhoyroo avec leur sœur. Des ossements avaient été retrouvés par la police. Cependant, un retournement de situation est intervenu par la suite dans cette affaire. Les accusations provisoires d’assassinat contre les suspects ont été abandonnées lorsque le médecin légiste, le Dr Sudesh Kumar Gungadin, a révélé que les ossements exhumés appartenaient à un animal et non à un être humain. Le mystère demeure.

Autre décès mystérieux toujours non résolu : celui de Manan Fakhoo. Cet habitant de Beau-Bassin au passé tumultueux avait été tué par balle alors qu’il se trouvait dans sa voiture à proximité de son domicile. La police soupçonne un règlement de comptes entre gros bras.

Mai 2023, apparaît un gang surnommé «lekip van noir» après le meurtre d’Imran Hossenbaccus, 53 ans, dont les membres font la loi et n’hésitent pas à donner des leçons à ceux qu’ils considèrent comme coupables d’avoir commis une faute. C’est d’ailleurs à Phoenix, dans un centre, que les membres de ce groupe s’adonnent à des entraînements. Le quinquagénaire habitant Vallée-Pitot a été kidnappé par des membres de groupe qui l’ont ensuite lynché avant qu’il ne rende son dernier souffle. Le gang voulait lui donner une correction parce qu’il aurait fait des gestes obscènes devant une fillette.

En octobre 1996, l’existence d’un présumé escadron de la mort est tristement lié au triple assassinat de la rue Gorah Issac, à Plaine-Verte.

Les raisons pour lesquelles ces gangs se sentent obligés de prendre la loi en main varient. Dans certains cas, il s’agit de protéger leur territoire des autres gangs ou de venger des attaques subies par leurs membres. Dans d’autres situations, ils interviennent pour régler des conflits locaux que la police ne parvient pas à résoudre. Les méthodes utilisées par ces gangs pour rendre la justice sont brutales et expéditives. Les punitions incluent souvent des passages à tabac et des tortures qui parfois finissent en meurtre.