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Quelle nouvelle grammaire économique face aux illusions perdues ?

20 mai 2025, 08:00

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Il y a dans l’odeur du coton moisi et du métal refroidi quelque chose d’un adieu. À Star Knitwear, ce ne sont pas que des machines qui se taisent avec la coupure d’électricité, ce sont des existences qui s’interrompent. Des visages fatigués, des mains calleuses et des voix que la colère n’arrive même plus à porter. Reza Uteem, lors de sa conférence de presse du 16 mai, a parlé de chiffres, de dettes, de crédits refusés. Mais les chiffres, souvent, camouflent des tragédies humaines.

Ce n’est pas un fait divers. C’est un signal social. Celui d’un pays qui perd peu à peu le fil de sa cohésion, pris en tenaille entre les dettes d’hier et les promesses de demain. L’usine ferme. Les collectivités licencient. Les travailleurs pleurent. Et le ministre des Finances, Navin Ramgoolam, se prépare à parler devant la nation avec peu de marge en poche, surtout que le Deal Chagos semble ne plus être pour demain. Il dira, sans doute, que tout est sous contrôle. Que la transition est difficile, mais finira par payer. Que les caisses sont vides, mais que l’espoir est encore permis…

Le pays a traversé une décennie de gouvernance où l’on a troqué la sueur contre des slogans, la prudence contre la facilité, l’équilibre contre les dépenses électoralistes. Que reste-t-il après l’ivresse des pensions gonflées et des salaires compensés ? Une économie qui s’essouffle, une dette publique qui tangue à 90 % du PIB et une société qui, sans le dire, commence à douter des promesses politiciennes. Par exemple, avec quel argent va-t-on payer 3 000 travailleurs au sein des collectivités locales ?

Il faudra pourtant du courage. Du vrai. Pas celui de flatter les attentes populistes, ni de justifier les nominations ou autres recrutements çà et là. Mais celui de redonner à ce pays une capacité de produire, d’exporter, d’innover. Car entre les exonérations fiscales offertes à quelques-uns, les Smart Cities fantômes, les voitures de luxe qui saignent nos devises et l’abandon des travailleurs licenciés sans ménagement, c’est tout un modèle social qu’il faut réécrire.

Oui, il faudra une nouvelle grammaire politique – et économique surtout. Et peutêtre que cela commence par un geste : reconnaître que la justice sociale ne peut pas être un alibi budgétaire. Elle doit être un pilier. Elle doit inclure ceux qu’on n’entend plus. Les ouvriers de Star Knitwear. Les jeunes désabusés. Les employés municipaux sacrifiés sur l’autel d’un recrutement électoral et d’un règlement de comptes prébudgétaire.

Le Budget du 5 juin sera peut-être un moment charnière. Il dira si ce gouvernement a choisi d’affronter la réalité, ou de se bercer d’illusions. Il dira si le mot «changement» n’était qu’un slogan ou un serment. Ce pays a besoin d’un pacte. Pas d’un pansement ni de quelques panadols.

Et dans ce pacte, il faudra réapprendre. Réapprendre à travailler, à produire, à partager. Réapprendre à croire que la dignité ne se mesure pas en roupies, mais dans la manière dont on traite les plus fragiles.

Car c’est surtout dans les silences des machines éteintes et dans les regards perdus des travailleurs qu’on mesure la grandeur d’une nation.

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