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Qui gouverne qui ?

15 juillet 2025, 05:19

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Le duel en cours entre Rama Sithanen et Rundheersing (Manou) Bheenick est loin d’être un simple désaccord de technocrates. C’est une lutte pour l’âme économique de la République. Et c’est Navin Ramgoolam, seul maître du tempo, qui aura à trancher entre ses deux nominés politiques.

Car derrière la technicité des mots – fit and proper, policy divergence, legal advice – se cache une lutte de pouvoir à plusieurs étages : entre deux hommes qui se connaissent trop, entre deux philosophies économiques, entre deux conceptions du rôle de l’État dans la régulation du capital, mais aussi entre deux clans politiques au sein du Parti travailliste.

Leur histoire commune commence dans les années 90, à l’époque où Rama Sithanen posait les jalons d’un ministère des Finances plus orthodoxe, plus rigoureux, en rupture avec les largesses populistes. Manou Bheenick, lui, évoluait déjà dans les cercles du pouvoir technocratique, à la croisée du politique et du stratégique. Leur confrontation devint inévitable : en 1995, Bheenick aurait artificiellement gonflé un déficit pour discréditer la gestion précédente de Sithanen. Le «trou de Rs 700 millions» reste, à ce jour, une balafre dans les annales budgétaires.

Et en 2006, lorsque Ramgoolam impose Bheenick à la tête de la Banque centrale malgré les réserves de Sithanen, la rupture est consommée. Le gouverneur impose un agenda plus interventionniste, se heurte au comité de politique monétaire, et finit par cristalliser autour de lui l’opposition successive de tous les ministres des Finances – y compris Xavier-Luc Duval. Pas un mince exploit.

Rama Sithanen incarne, dans l’opinion, une économie disciplinée, rationnelle, quasi-macronienne : orthodoxie monétaire, maîtrise de la dette, attrait pour les modèles singapouriens. Il croit en un État stratège mais non dispendieux, en une devise flexible mais non manipulée. Il n’a jamais eu de tendresse pour les aventures bancaires douteuses.

Manou Bheenick, lui, revendique une vision keynésienne, quasi gaullienne : Maurice ne peut sortir de l’ornière qu’à coups d’investissements massifs dans l’éducation, l’innovation et la souveraineté économique. Il pense que la Banque centrale n’est pas un comptable, mais un acteur du développement. Il ne craint ni d’heurter les dogmes, ni d’en payer le prix.

Le conflit actuel autour de sa nomination à la présidence de la SBM n’est que le dernier épisode d’une série d’affrontements larvés. Le blocage ne vient pas d’une absence de qualifications – personne ne remet en question ses compétences. Il découle d’un refus idéologique, d’une tentative de verrouillage par le haut, et d’une volonté, chez certains, de solder de vieux comptes sous couvert de légalisme.

Mais la crise dépasse les deux hommes. Le duel Sithanen–Bheenick a fissuré l’édifice institutionnel. Le gouverneur Sithanen gère en parallèle un conflit interne avec Gérard Sanspeur qui, contrairement à Rajeev Hasnah, ne partagerait pas son avis sur Bheenick. Des lettres confidentielles ont fuité, des procédures contournées, des avis juridiques ignorés. Un air de déjà-vu pour ceux qui ont connu les secousses de la BoM Tower.

Le Premier ministre le sait : il ne pourra éternellement différer l’arbitrage. Soit il soutient son gouverneur, quitte à prolonger une crise institutionnelle dommageable pour la crédibilité financière du pays. Soit il tranche en faveur de Bheenick, et assume les risques politiques et médiatiques d’un retour controversé.

Mais peut-il vraiment s’offrir le luxe de ne rien faire, alors que la confiance des marchés chancelle, que les agences de notation scrutent nos décisions, et que la MIC, toujours opaque, commence à faire l’objet d’enquêtes plus serrées ? Peut-il ignorer que, derrière la posture technocratique, c’est toute une vision de la souveraineté économique qui est en jeu ?

L’alliance au pouvoir, si elle veut survivre, devra cesser de faire de ses institutions des terrains d’affrontements d’anciens rivaux. Il est temps d’inventer une République où la compétence n’est pas soumise aux rancunes, où les postes-clés ne sont pas figés par des calculs de revanche, et où l’intérêt national prime sur la guerre des ego. Il est temps, surtout, que le panel de sélection tant promis commence à exister.

Le pays attend un sursaut. Pas une répétition de tragédie. Aux dernières nouvelles, un compromis aurait été trouvé au niveau de la Banque centrale. On anticipe le feu vert de la FSC, dont le président est… Rama Sithanen.

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