Publicité

«Stag Party» à Grand-Bassin

Rajanah Dhaliah démissionne comme PPS mais reste député

29 août 2023, 19:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Rajanah Dhaliah démissionne comme PPS mais reste député

Rajanah Dhaliah au rassemblement des jeunes membres du MSM, au Sun Trust, le 12 août 2023. © Kiranchand Sookrah

Cette demi-démission comme «Parliamentary Private Secretary» (PPS) aura servi à épargner celle comme député qui aurait ouvert la voie à une partielle. Et surtout, à épargner Maneesh Gobin qui est non seulement ministre de l’Agro-industrie mais qui occupe le très important poste d’«Attorney General».

Rajanah Dhaliah refusait de répondre à la convocation de l’Independent Commission against Corruption (ICAC) concernant l’affaire stag party. Ce qui aurait poussé le Premier ministre (PM), samedi, à déclarer que lorsqu’une institution convoque quelqu’un du gouvernement, il doit s’y rendre. Le PM aurait même cité le cas Dhaliah qui, certes, était à Rodrigues ce jour-là. Et si le PPS devait rendre visite aux enquêteurs de la commission anticorruption, il est logique qu’il doive démissionner d’abord comme PPS. On attendait la réaction du principal concerné après son retour à Maurice. Il a donc soumis sa démission, dimanche, mais conservera son siège de député, tout comme Yogida Sawmynaden. Et l’on ne doit donc pas s’attendre à un grand remue-ménage après ce départ, sauf une probable redistribution des postes de PPS.

Toute cette affaire a commencé le 8 mars 2023 lorsque l’express révélait que le bail du terrain de chasse Dayot et Mangin, près du lac sacré Grand-Bassin, où Franklin organisait des concerts, a été accordé à Eco Deer Park Association contre le paiement d’un pot-de-vin de Rs 4 millions, comme initialement demandé. Et qu’un ministre s’était même rendu sur ce terrain, dont le bail était à ce moment-là résilié, pour participer à une petite fête bien arrosée et bien servie de cerf. Nous racontions même comment le ministre avait de plus pris en cadeau un cerf entier, fraîchement abattu et dépecé pour lui.

L’ancien PPS en compagnie de ses colistiers lors de l’inauguration d’un terrain de football à Plaine-des-Papayes, le 19 juillet..jpg L’ancien PPS en compagnie de ses colistiers lors de l’inauguration d’un terrain de football à Plaine-des-Papayes, le 19 juillet. © Sumeet Mudhoo

Le lanceur d’alerte entre en scène

Ayant lu cet article, un certain Ajay Jeetoo, le lanceur d’alerte, a fait une déposition à l’ICAC qui, dès lors, ne pouvait plus prétendre n’avoir pas pris connaissance de notre article. Après cette déposition, l’engrenage s’est mis en marche. Shaan Kumar Choolun, alias Mithun, président d’Eco Deer Park Association, est arrêté par l’ICAC pour blanchiment d’argent. Le 28 mars, c’est Keegan Etwaroo qui est convoqué au Triangle de Réduit et il corrobore la déclaration de Jeetoo, à savoir qu’il y a bien eu remise de pot-de-vin de Rs 3,5 millions au conseiller d’un ministre, en plusieurs tranches. Le conseiller ne serait autre que Rajesh Ramnarain. Il est inspecteur au Registrar of Associations et président du Sugar Investment Trust, dont il démissionnera en avril 2023 après ses difficiles convocations par l’ICAC, la première ayant lieu le 17 avril, soit presque un mois après les dénonciations de Keegan Etwaroo. Ramnarain gardera jalousement son droit au silence. On ne sait pas si Ramnarain est toujours au Registrar of Associations. En tout cas, il est «libéré» le 10 mai 2023, bien qu’en fait, il n’ait pas passé un seul jour en cellule policière mais est resté à l’hôpital durant son «arrestation».

À noter que Keegan Etwaroo a failli être arrêté par l’ICAC pour le délit présumé de blanchiment – le nouveau dada de la commission – par rapport à l’origine de l’argent payé comme «bribe». Cela, alors que ceux accusés d’avoir reçu le pot-de-vin n’avaient même pas encore été interpellés. Heureusement pour lui, il a pu prouver la provenance licite de ses revenus.

L’ancien PPS lors de la présentation du discours budgétaire 2023-2024 par Renganaden Padayachy, le 2 juin 2023..jpg L’ancien PPS lors de la présentation du discours budgétaire 2023-2024 par Renganaden Padayachy, le 2 juin 2023. © Kiranchand Sookrah

Selon Keegan Etwaroo et Ajay Jeetoo, le pot-de-vin aurait été sollicité par Rajesh Ramnarain et Rajanah Dhaliah pour être remis au ministre Maneesh Gobin. Et au moins une partie de cet argent aurait été remise à Rajanah Dhaliah au bureau même de celui-ci à Port-Louis. Ils confirmeront la présence de Dhaliah à la stag party. La suite logique à l’arrestation, entre guillemets, de Rajesh Ramnarain allait être la convocation de Dhaliah. Convocation qui pourrait avoir lieu très prochainement après sa démission comme PPS.

Que fera Rajanah Dhaliah quand et s’il est convoqué par l’ICAC? S’il parle, dira-t-il qu’il a remis l’argent, du moins en partie, à Maneesh Gobin ? Ou prendra-t-il tout sur lui en disant qu’il a gardé le magot pour lui ? C’est pour cela que l’on pense qu’il gardera plutôt le silence comme son compère Ramnarain, si ce n’est que pour gagner du temps, sachant qu’un silence face aux enquêteurs peut jouer contre lui lors d’un procès éventuel.


Les arguments «Légaux» de Rutnah

Dans cette affaire, et concernant Rajanah Dhaliah, on peut dire que la commission anticorruption fait de son mieux, ou semble le faire, même si l’avocat de l’ancien PPS, Me Ravi Rutnah, l’a traitée d’incompétente lors de sa conférence de presse du 24 août. Pourquoi l’avocat parle-t-il d’incompétence? Parce que, selon Rutnah, l’ICAC n’a pas convoqué son client promptement, en mars, et aurait ainsi laissé la presse «que je n’achète ni ne lis jamais», a-t-il souligné, faire le procès de Rajanah Dhaliah. Certes, les médias ont parlé de la stag party depuis mars, mais c’était surtout dans le cadre de la Private Prosecution déposée par Vivek Pursun, «qui se prend pour un prêtre hindou», a précisé Rutnah, et celui de la convocation de Rajesh Ramnarain. L’avocat ne comprend donc pas pourquoi Dhaliah n’a pas été appelé par l’ICAC après l’interrogatoire de Ramnarain.

Ravi Rutnah évoque une deuxième raison qui l’a poussé à conseiller à son client à refuser de se rendre à l’ICAC – car il avoue avoir lui-même donné ce conseil. C’est parce qu’entre-temps, dit-il, Vivek Pursun a déposé une Private Prosecution contre Dhaliah. «À quoi va répondre mon client ? À la Private Prosecution ou à l’ICAC ? C’est pour cela que j’ai demandé à l’ICAC de rechercher l’avis du bureau du DPP (NdlR, Directeur des poursuites publiques) à ce propos. Mais elle a refusé», s’est indigné Rutnah. Il ajoute un troisième argument imbattable au refus de Dhaliah de se rendre à l’ICAC: depuis que lui, Ravi Rutnah, a interjeté appel de la décision de la Cour suprême de ne pas lui accorder une injonction contre la convocation de son client par la commission anticorruption, l’affaire Dhaliah est devenue «sub judice». C’est-à-dire que, selon lui, même l’ICAC doit interrompre son enquête.

L’avocat a présenté un quatrième argument lors de sa conférence de presse du 24 août pour que Dhaliah ne réponde pas à la convoc de l’ICAC : l’accusateur Keegan Etwaroo n’est pas un «good character» car il aurait fait l’objet d’allégations parues dans la presse – cette même presse qui fait le procès de son client Dhaliah et qui déballe des «mensonges» – de culture de cannabis, en 2016, et encore une fois, récemment, et de tentative d’agression d’un policier. Alors que son client Dhaliah est un professionnel, ex-haut cadre du privé, etc. Cela, alors que le même Rutnah reconnaît que tout le monde doit jouir de la protection égale de la justice.

Cinquième argument de Rutnah : les allégations proférées contre Dhaliah reposent sur des ouï-dire venant de Keegan Etwaroo, même si les dires de ce dernier corroborent ceux du lanceur d’alerte Jeetoo. Car, pour Ravi Rutnah, la corroboration de différentes dépositions ne devrait pas apporter plus de poids à ces mêmes dépositions, mais est au contraire suspecte !

Rutnah allait-il inclure tous ces points dans son appel au Privy Council ? Ce qui est sûr, c’est que les amis de Dhaliah auraient recommandé à celui-ci de changer de tactique et surtout d’avocat. Mᵉ Rutnah aura réussi la prouesse de provoquer une réaction en écrit de l’ICAC par ses propos venimeux à l’encontre de l’institution qui accuse Rutnah de «s’embarque[r] dans des delaying tactics, à travers un argumentaire frivole depuis que son client a été convoqué au mois de juillet». La réaction du PM a également été prompte et pourrait faire que tout l’argumentaire, qu’il soit «frivole» ou pas, de Mᵉ Rutnah n’aura servi à rien.