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Interview
Ramesh Caussy: «L’enjeu, c’est de parvenir à gérer l’avènement des technologies en préservant l’équilibre de notre société»
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Interview
Ramesh Caussy: «L’enjeu, c’est de parvenir à gérer l’avènement des technologies en préservant l’équilibre de notre société»
Ramesh Caussy, Franco-mauricien et inventeur de produits technologiques.
Alors que l’intelligence artificielle (IA) fait beaucoup parler d’elle tant à Maurice qu’à l’étranger, en 2015, Ramesh Caussy, ce Français d’origine mauricienne, a contribué à donner une grande visibilité à cette technologie innovante. Cela, avec la présentation par la France du robot Diya One, dans le cadre des travaux du 21e volet de la conférence annuelle des Nations unies sur les changements climatiques. Pourquoi Diya One ? C’est parce qu’il est le premier robot doté d’une IA bio inspirée, qui a reçu 27 prix d’innovation sur les cinq continents, y compris le prix européen. Ramesh Caussy n’a qu’un désir : faire profiter au pays de son patrimoine technologique. Il est prêt à rencontrer les décideurs locaux à cet effet.
Qu’est-ce que Maurice doit entreprendre pour amorcer dans la sérénité sa transition vers un nouveau monde où les technologies innovantes, en particulier l’IA, vont jouer un rôle déterminant ?
Il lui faut mettre en place une structure d’innovation soutenue par un leadership éclairé dans le domaine des technologies et qui permettra d’envisager la création de nouvelles valeurs économiques avec l’appui de la technologie. Une démarche indispensable pour faciliter la transition du pays vers de nouvelles possibilités économiques et sa renaissance dans ce nouvel environnement. Il est hors de question de prendre du retard sur de plan. L’organisation imminente des prochaines élections générales fait partie d’un ensemble d’occasions uniques pour évoquer la nécessité de doter le pays d’une telle structure. Il faut créer une institution qui porte l’IA et les nouvelles technologies au service de l’économie.
C’est un appel que je fais. Je préfère avoir l’occasion de réfléchir avec les décideurs et de voir avec eux quelle orientation choisir. Il faut réunir les compétences dont on dispose pour favoriser la transition du pays vers ce nouveau monde sous un bon leadership. Je ne suis pas d’avis qu’on puisse se dire que ce leadership éclairé est présent dans le pays. Les acteurs du pays ont été plutôt efficaces pour avoir pris des décisions qui ont abouti à l’émergence du monde que nous connaissons actuellement. Et ce monde nous permet d’ailleurs de vivre une situation dont il faut toujours se rappeler et ne jamais oublier. Maintenant, pour ce monde qui se dessine, la transition n’a pas encore été correctement faite, parce que nous n’avons pas su mettre dans les bonnes cases les hommes avec les bonnes compétences et qui ont le leadership voulu pour développer ces projets complexes.
Le pays est-il prêt pour faire ce grand saut ?
En vue d’assurer une bonne transition vers une ère où l’IA va désormais entrer dans les moeurs, il faut prendre les bonnes décisions et le faire en soutien au gouvernement. Il faut bien avancer sur ce terrain. Malheureusement, on n’avance pas. Il y a au moins une quinzaine d’années qu’on en parle. Être un peu trop neutre : une telle posture ne contribue pas toujours à faire avancer les choses. Pour être franc, l’attribution par la France du statut de Chevalier d’honneur, l’exposition du robot Diya lors de la dernière édition de la COP21 aux représentants du Groupe des vingt qui proviennent des 19 économies les plus avancées de l’Union européenne et de l’Union africaine, des brevets, des papiers de recherche ou encore mes 27 prix d’innovation sont autant de facteurs qui montrent que je suis suffisamment connu dans le domaine de la technologie dans le monde.
L’heure est venue pour que je puisse faire profiter au pays de ce que j’ai récolté ailleurs en m’implantant à Maurice. Il ne faut absolument pas que je sois ici pour être reconnu. Je ne le pense pas. Par contre, je pense pouvoir être utile à Maurice. Il y a un temps pour tout. Il y a aussi un temps où vous arrivez à un moment – je n’ai plus 20 ans – où se manifeste le souhait de vouloir laisser un héritage et un patrimoine après son départ de cette vie.
Quelles sont les décisions qu’il va falloir prendre pour que toutes les mesures que vous préconisez puissent se matérialiser ?
L’IA se développe. Il faut créer une institution qui porte l’IA et les nouvelles technologies au service de l’économie. On constate des usages qui prennent le pas. Dans toutes les entreprises, on a besoin de sécurité, de mieux gérer les données, et de créer de la valeur économique à partir des documents et des données dont on dispose. La gestion de données dans l’entreprise est un enjeu appuyé par l’IA. Les documents ont le potentiel de reprendre et de créer de la valeur économique. Il est important pour les entreprises de bien gérer leur processus informationnel et de numériser leur flux d’information pour pouvoir créer de la valeur économique et répondre notamment aux besoins de données de qualité en matière de décarbonation, de création de nouveaux services et de produits pour les clients.
Si jusqu’ici, selon vous, il y a eu une sorte d’hésitation de la part des décideurs à s’engager à fond dans des projets où l’IA joue un rôle considérable, n’est-ce pas la posture qu’il fallait absolument adopter en raison des conséquences que cela entraînerait en cas d’erreur ?
Dans ce domaine, il faut accepter l’idée de se tromper et de prendre des risques pour grandir. C’est à ce niveau stratégique que Maurice doit apprendre à se situer, c’est-à-dire faire des erreurs, apprendre de ses erreurs, mais être déterminé à construire sa structure d’innovation, laisser un héritage de connaissance pour que nos hommes puissent s’en inspirer et faire grandir le pays. Et c’est cela l’enjeu qui, bien souvent, est mal cerné par des gens trop occupés à servir le présent, à donner des poissons plutôt que de construire des cannes à pêche. Tous les pays s’activent et ont déjà pris de l’avance dans ces domaines. Maurice ne pourra plus se contenter de se concentrer sur le tourisme et les industries traditionnelles. Trop de temps a été perdu dans ce domaine. On ne peut pas le rattraper. Mais on peut essayer d’aller plus vite.
L’enjeu, c’est de parvenir à gérer l’avènement des technologies en préservant l’équilibre de notre société. Il s’agit d’un objectif que l’on ne peut atteindre que si on est entouré de gens qui ont les bonnes compétences pour assurer la mise en place de projets complexes. Le gouvernement a pris des initiatives dans le domaine de l’IA. Il faut l’en féliciter. Mais, il est temps d’accélérer parce qu’on ne rattrape pas le temps perdu. On ne rattrape pas chaque jour qui passe en matière de développement technologique et il faut accélérer à travers des projets ambitieux qui vont utiliser des intelligences artificielles qui vont aider à structurer l’avenir économique de Maurice.
En dépit de ses attraits, fort séduisants d’ailleurs, l’IA n’est pas un outil que l’on peut utiliser les yeux fermés. Quels sont les dangers que cette technologie entraîne dans son sillage ?
L’IA pose un grand problème d’éthique et de conformité. Cela peut donner naissance à des fake news. Les informations occasionnées par l’IA sont extrêmement violentes car elles sont extrêmement efficaces avec de fausses images, de faux messages, des vidéos. Et puisqu’on sait que les gens ont tous un smartphone qui est devenu leur jumeau en termes d’usages. Ces smartphones sont plus que des outils maintenant. Ce sont une sorte de frères et de soeurs auxquels nous sommes connectés, et pour lesquels nous sommes des jumeaux sur lesquels nous puisons des informations et auxquels nous sommes très vulnérables. C’est une porte d’entrée directe sur notre cerveau et cela permet aux intelligences artificielles de faire des processus d’informations, des fake news et aux gens qui contrôlent ces processus-là de nous orienter vers des routes parfois très dangereuses.
Que préconisez-vous pour se prémunir contre les dangers inhérents à l’IA ?
Pour prévenir de tels phénomènes, il est important d’avoir et de bâtir sa propre infrastructure technologique, de retrouver sa souveraineté numérique et technologique, et de la construire progressivement. Maurice, ce n’est ni Singapour ni les États-Unis ni la République populaire de Chine. Maurice a un atout. Il dispose d’hommes qui sont prêts à apprendre. Cependant, il est temps d’orienter cela vers de bons projets et de développer une ambition pour la mise en place des projets de nature complexe dont la réalisation peut prendre beaucoup de temps. Des projets qui vont nous permettre de récolter des marges d’autonomie et de développement économique, et de faire partie de ce monde qui se dessine par des acteurs qui détiennent des atouts et ces clés technologiques. Il faut que le pays arrive à développer son indépendance et sa capacité décisionnelles dans ce processus dont la complexité est palpable ou complexe. Essayer de convaincre et d’embarquer des jeunes sur le développement durable est une bonne chose. Cependant, il est urgent d’avoir un encadrement de ces jeunes pour construire un leadership nécessaire à la condition de Maurice et de ses spécificités. Sinon, on va instrumenter des jeunes, tenter de reproduire des programmes inadaptés et, finalement, reproduire une caste de néo-politiciens de l’environnement au lieu de saisir la possibilité de créer un secteur de l’économie verte profitable. On ne peut pas demander aux jeunes d’être jeunes et expérimentés. Il y a des sujets qui demandent de la profondeur dont seul le temps et les réalisations permettent de disposer. Il nous faut aider les jeunes à construire leurs immunités technologiques.
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