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12 Mars
Rappel Historique

■ 2 mars 1968 : un petit pas pour sir Seewoosagur Ramgoolam et sir John Shaw Rennie, un grand pas pour Maurice
Un pays qui ne parvient pas à sortir une partie importante de ses citoyens, issus majoritairement d’un même groupe ethnique, de la misère et de l’exclusion est loin d’être une nation.
🟦Décolonisation politique
Le 12 mars 1968, Maurice, après avoir été une colonie britannique depuis 1810, accéda au statut d’État indépendant, avec pour Premier ministre Sir Seewoosagur Ramgoolam, reconnu dès lors comme Père de la Nation. Auparavant, Maurice fut tour à tour colonie hollandaise, portugaise puis française.
■ Sir Raman Osman, le premier Mauricien à avoir été nommé Gouverneur général.
L’Indépendance de Maurice, toutefois, ne mit pas fin à sa colonisation. De 1968 à 1992, nous étions une monarchie démocratique : le chef de l’État mauricien était la reine d’Angleterre, représentée à Maurice par un gouverneur général. Les premiers gouverneurs généraux furent d’ailleurs Anglais. Le premier Mauricien nommé gouverneur général en 1970 fut Sir Raman Osman, ancien Senior Puisne Judge de la Cour suprême.
Ce n’est qu’en 1992 que notre Constitution a été amendée par l’Assemblée nationale pour faire de Maurice une République, avec un fils du sol comme président, garant de notre Constitution, au-dessus des clivages et politiquement neutre. La «décolonisation politique» devenait alors une réalité.
■ 1967 : de nombreux Mauriciens émigrent pour l’Australie à bord du «Patris».
🟦La duperie de la «Blonde Albion»
Cependant, au terme des négociations en vue de notre indépendance, la Grande Bretagne, puissance colonisatrice, nous joua un très mauvais tour. On pourrait même parler de duperie de la part des Anglais. Notre territoire fut démembré, en violation des résolutions des Nations unies : les Britanniques se sont donc rendus coupables d’actes illégaux. Ils se sont approprié l’archipel des Chagos, composé d’une soixantaine de petites îles, dont les plus connues sont Peros Banhos, Salomon et Diego Garcia. Ils ont rebaptisé l’archipel «British Indian Ocean Territory» (BIOT), créant ainsi une nouvelle et dernière colonie britannique, et ont expulsé la population indigène de ces îles : certaines familles ont été envoyées aux Seychelles, tandis que la majorité fut déplacée à Maurice, sous prétexte que l’île principale, Diego Garcia, allait être transformée en station de communication.
Or, en réalité, ils ont mis Diego Garcia à la disposition des États-Unis d’Amérique pour la construction et l’installation d’une base militaire sophistiquée et redoutablement meurtrière. Aujourd’hui, Diego Garcia est considérée comme la base américaine la plus importante au monde.
La lutte pour la décolonisation de Maurice n’est donc toujours pas terminée. Elle le sera lorsque nous aurons retrouvé notre souveraineté sur l’ensemble de notre territoire, c’est-à-dire l’archipel des Chagos, mais aussi l’île de Tromelin, que nous disputons à la France. De plus, la décolonisation ne pourra être complète que lorsque nous aurons réussi à faire démanteler la base militaire américaine sur l’île de Diego Garcia.
■ 1968 : des soldats britanniques venus rétablir l’ordre et la paix.
🟦Le paradoxe mauricien
La particularité de notre lutte pour l’indépendance – ou ce que l’on pourrait appeler le paradoxe mauricien – réside dans le fait que la puissance coloniale, l’Angleterre, était disposée à nous accorder l’indépendance, alors qu’une moitié du pays refusait cette liberté et était prête à rester sous le joug colonial, nourrissant l’illusion d’une association avec la «Blonde Albion». Ainsi, la lutte anticoloniale se résumait en réalité à un affrontement fratricide entre Mauriciens, partagés entre partisans et opposants de l’indépendance.
■ Mars 1972 : la reine Elizabeth, alors Chef de l’Etat mauricien, effectuant une visite à Maurice.
Durant la période préélectorale, Maurice fut le théâtre d’un combat épique, sans merci, marqué par des attaques virulentes et des empoignades verbales et physiques parfois violentes. Après les élections d’août 1967, qui virent la victoire des partis indépendantistes – le Parti travailliste de Sir Seewoosagur Ramgoolam, l’Independent Forward Bloc de Sookdeo Bissoondoyal et le Comité d’Action Musulman de Sir Abdul Razack Mohamed – ainsi que la défaite du Parti Mauricien Social Démocrate de Sir Gaëtan Duval, le pays sombra dans des affrontements intercommunautaires. Ces violences opposèrent principalement Créoles et Musulmans, causant des dizaines de morts dans les deux camps.
Un an plus tard, les adversaires d’hier devinrent alliés du jour : une grande coalition réunissant les partis politiques pro et anti-indépendance vit le jour et forma un gouvernement d’unité nationale, dont fut toutefois exclu l’Independent Forward Bloc de Sookdeo Bissoondoyal. Quelques mois plus tard, le Club des étudiants mauriciens émergea et se transforma rapidement en un mouvement politique, le Mouvement militant mauricien (MMM), avec Paul Bérenger à sa tête.
L’euphorie de la naissance de l’État mauricien s’estompa rapidement, laissant place aux divisions, à l’intolérance, à la méfiance et aux tensions attisées par certains politiciens. Cette période fut également marquée par un exode sans précédent de l’élite mauricienne vers l’Europe, l’Afrique du Sud et l’Australie, ainsi que par une migration interne due aux violences intercommunautaires de janvier 1968. Maurice, pays divisé et privé d’une partie de ses meilleurs cerveaux, était alors en proie à une insécurité grandissante. Les investisseurs, notamment les propriétaires fonciers et les industriels sucriers, s’inquiétaient des lendemains incertains, tandis que la démographie galopante et la pauvreté croissante laissaient présager un État en crise, menacé de déliquescence et de faillite.
■ 7 mars 1981 : Manifestation de Chagossiens, qui a viré à l’affrontement avec les membres de la Riot Unit, à Port-Louis.
🟦Un parcours impressionnant
Aujourd’hui, 57 ans après, nous avons toutes les raisons d’être fiers de notre parcours. Ne soyons donc pas trop modestes ! Le chemin parcouru depuis ce 12 mars 1968 historique est impressionnant à tous points de vue.
D’une petite île au destin incertain – voire même vouée à la perdition, selon les prévisions les plus sombres d’économistes de renommée mondiale – Maurice a, contre toute attente, réussi en un demisiècle à sortir du sous-développement pour devenir un pays à revenu intermédiaire. En 1968, notre population, jeune, comptait 800 000 habitants ; aujourd’hui, elle atteint 1,3 million, bien que vieillissant rapidement.
Les progrès économiques et sociaux sont remarquables : notre Produit intérieur brut (PIB) par habitant est passé de 260 USD en 1968 à 9 770 USD, tandis que le taux de chômage, estimé à 39 % à l’Indépendance, est aujourd’hui réduit à 6,32 %. De plus, l’espérance de vie s’est allongée, passant de 59 ans à 73,5 ans.
Certains parlent d’un «miracle mauricien», comme si une mystérieuse alchimie avait transformé le plomb en or. Cette explication est bien sûr réductrice et illusoire. Le succès mauricien est avant tout une œuvre humaine, fruit de la vision et de la détermination des hommes et des femmes – dirigeants et exécutants, patrons et ouvriers – qui ont forgé leur propre destin.
Les profondes transformations économiques et sociales mises en place dès les premières années de l’Indépendance ont permis au pays de se libérer de sa dépendance quasi-totale à la canne à sucre. Cette réussite repose sur une stratégie économique pragmatique et réaliste, axée sur la diversification et l’ouverture au monde, tout en veillant à une meilleure justice sociale à travers l’éducation, la santé et la protection sociale pour tous.
■ 2 mars 1992 : Prestation de serment du premier président de la République de Maurice, sir Veerasamy Ringadoo, au Champ-de-Mars.
🟦Nation, division ou mosaïque ?
On pourrait se poser la question : Maurice, quelle nation ? Tout comme pour notre développement économique, la diversité mauricienne est souvent érigée en modèle par les étrangers. On parle de coexistence pacifique, de mosaïque de races et de couleurs…
Or, en 1968, nous avons hérité d’un pays divisé, fragmenté et meurtri. Certains politiciens de l’époque et leurs agents ont largement contribué à créer un climat malsain qui a conduit aux bagarres communales dont je viens de parler. Cette année-là, nous avons connu un déferlementde violence inouï, des actes de barbarie indescriptibles et des scènes de tueries effroyables. Pendant longtemps, ces événements ont terni l’image d’un peuple pourtant réputé pour son amour de la paix et de la tolérance. Il a fallu l’intervention des troupes britanniques pour rétablir l’ordre, nous ramener de force à la raison et nous réapprendre à vivre en harmonie avec nos voisins.
Quarante ans plus tard, en 1999, nous avons failli revivre les mêmes heures sombres après le décès en cellule policière du chanteur seggae Kaya. Cet événement a déclenché une émeute qui a très vite pris une tournure inattendue, opposant les membres de deux communautés – hindoue et créole – et menaçant notre unité nationale. Les forces de l’ordre étaient dépassées, et sans l’intervention décisive des hommes de bonne volonté, nous aurions pu revivre un nouveau 1968.
La principale force de notre modèle de diversité réside dans la volonté de vivre ensemble, avec ou malgré nos différences, et dans le respect de l’autre dans sa singularité.
Cette diversité est d’abord le fruit d’un accident de l’histoire : les Mauriciens sont tous des enfants d’immigrés. Nos ancêtres – Hollandais, Français et Anglais – sont venus sur cette île à différentes périodes au cours des 400 dernières années, comme colonisateurs. Certains sont repartis, d’autres ont choisi d’y rester.
D’autres populations sont arrivées sous des conditions bien différentes : les esclaves d’origine africaine (Mozambique, Sénégal, Madagascar) ont été amenés de force. Après l’abolition de l’esclavage, eux et leurs descendants n’avaient d’autre choix que de rester. Et les travailleurs engagés venus d’Inde, de Chine et d’autres régions d’Asie ont immigré volontairement ou sous contrat. Certains ont choisi de repartir, mais la majorité a élu domicile à Maurice à la fin de leur engagement.
Au fil des ans, le peuplement de Maurice a façonné sa diversité ethnique, culturelle, linguistique et religieuse. Cette pluralité est aujourd’hui une richesse.
■ Février 1999 : véhicules calcinés, maisons incendiées, pillages… des émeutes qui ont mis le pays en émoi.
🟦Enfin une nation ! Oui… mais
Que devons-nous faire, et que n’avons-nous pas encore accompli, pour devenir enfin une nation à part entière et non une nation en devenir ? Où avons-nous péché ?
Il ne suffit pas d’avoir un drapeau et un hymne national. Il ne suffit pas non plus de partager une langue, le créole mauricien, forgée à l’origine par la nécessité de communication entre maîtres et esclaves, et que nous considérons aujourd’hui comme notre langue maternelle, du moins pour la grande majorité des Mauriciens. Il faut en être fier, lui accorder la place qu’elle mérite au sein de notre Assemblée nationale et à l’école, promouvoir la littérature mauricienne écrite ou traduite dans notre langue, l’utiliser sans complexe, ici ou ailleurs.
Les séquelles de l’esclavage sont encore visibles dans notre société et nous regardent droit dans les yeux. Ne faisons pas à l’autruche ! En voulant nous cacher la tête, nous ne ferons qu’exhiber davantage un corps couvert de plaies purulentes. Des familles entières, enfants compris, vivent encore dans des conditions inhumaines et inacceptables, dans des environnements insalubres, ignorées et rejetées. La grande majorité de ces familles sont d’ascendance africaine et restent exclues de ce développement socio-économique que l’on cite souvent en exemple. Certaines vivent dans l’ombre, et c’est uniquement lorsque la nature se déchaîne – lors des cyclones ou des inondations – que leur détresse éclate au grand jour. Alors, et alors seulement, nous faisons preuve de solidarité et de générosité. Mais bien vite, ces familles retombent dans l’oubli, jusqu’aux prochaines colères de la nature. Un pays qui ne parvient pas à sortir une partie importante de ses citoyens, issus majoritairement d’un même groupe ethnique, de la misère et de l’exclusion est loin d’être une nation.
■ Février 1999 : le cardinal Jean Margéot et le président de la République Cassam Uteem appellent au calme.
Le modèle de développement que nous avons choisi et que nous poursuivons doit être repensé. Tant de «déchets humains» – grande pauvreté, misère et exclusion – sont inacceptables. Une politique d’inclusion est essentielle pour parvenir à la cohésion sociale. Pour cela, nous ne devons pas hésiter à recourir à la discrimination positive, à mettre en place un vaste programme d’aménagement du territoire et de relogement qui ferait disparaître à jamais ces poches de misère et de honte, coexistant avec les nouvelles poches de richesse et d’indécence, les Integrated Resort Schemes. Les préjugés ont la vie dure, nos réactions stéréotypées sont ancrées dans notre subconscient. Nous devons nous en libérer si nous voulons créer une vraie nation.
La société mauricienne continue d’être minée de l’intérieur par le communautarisme, exacerbé lors des campagnes électorales. En vertu de la loi électorale censée consolider notre démocratie, le Mauricien, en tant qu’individu, n’existe pas. Pour être candidat aux élections, la loi ne reconnaît que les quatre communautés – hindous, musulmans, chinois et population générale – mais pas le Mauricien en tant que citoyen. De quelle nation mauricienne parlons-nous alors ?
■ 9 septembre 2024 : Célébration de la Journée internationale des personnes âgées au SSVIC à Pailles.
L’école exclut et ne garantit pas l’égalité des chances aux enfants. Un boursier-lauréat issu d’une famille pauvre «stéréotypée» est une exception qui ne fait pas le printemps. Il est urgent de mettre en place des mesures pour que les besoins essentiels des enfants vivant dans la misère soient pris en charge et qu’ils puissent, comme leurs camarades issus de familles plus aisées, bénéficier pleinement de l’enseignement. Les préjugés, nous l’avons dit, ont la vie dure. Tant que nous n’introduirons pas, dès l’école primaire, une histoire authentique et non tronquée de notre pays, soulignant la contribution de toutes les communautés au développement de Maurice, nous ne surmonterons jamais ces préjugés. Une nation forte, fière et riche de sa diversité ne peut se construire sans cette reconnaissance.
■ La diversité mauricienne est souvent érigée en modèle.
Voilà, en quelques mots, mon interprétation des dernières décennies de notre histoire politicoéconomique. Non exhaustive, partielle et, je l’admets, souvent subjective, je vous la livre pour alimenter votre réflexion et vos recherches sur cette période cruciale de notre histoire.
Vive Maurice, indépendante et républicaine !
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