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Budget 2025-2026
Réconcilier les Mauriciens avec le travail productif : Un défi national
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Budget 2025-2026
Réconcilier les Mauriciens avec le travail productif : Un défi national

Alors que l’économie mauricienne envoie des signaux contradictoires, un défi structurel majeur persiste : le manque de main-d’œuvre qualifiée dans les secteurs productifs. Du textile à l’agriculture, en passant par le bâtiment, la mécanique ou la maintenance industrielle, les appels à l’aide se multiplient. Face à ce paradoxe – chômage persistant d’un côté, pénurie de main d’œuvre de l’autre – les experts appellent à une réforme ambitieuse du système de formation et à une revalorisation culturelle du travail manuel. À la veille du Budget 2025-2026, la question devient centrale.
Maurice fait face à une inadéquation persistante entre la formation des jeunes et les besoins du marché. Si des cohortes entières sortent chaque année des établissements secondaires ou universitaires, une grande partie reste sans emploi stable. «On a une jeunesse qualifiée, mais surqualifiée pour les postes disponibles ou orientée vers des filières sans débouchés», analyse un expert du ministère de l’Éducation.
À l’inverse, les secteurs dits «productifs» – agriculture, construction, pêche, industrie, hôtellerie – peinent à recruter. Résultat : une dépendance accrue à la main-d’œuvre étrangère, venue principalement d’Asie ou de Madagascar. Ce modèle atteint ses limites, tant sur le plan social que sur celui de la souveraineté économique.
Ce déséquilibre ne date pas d’hier. Il est le fruit d’un imaginaire collectif qui, depuis des décennies, valorise avant tout les carrières tertiaires, les bureaux climatisés, les diplômes universitaires. Le travail manuel, perçu comme pénible, peu rémunérateur et socialement dévalorisé, est souvent considéré comme un échec. «On doit faire un travail de fond pour revaloriser les métiers techniques. Il faut que les jeunes puissent être fiers d’être électriciens, boulangers, mécaniciens ou cultivateurs», insiste Jean René, maçon expérimenté.
Parmi les propositions phares figurant sur la table du gouvernement : la réforme de l’orientation scolaire dès le Grade 9. Il s’agirait de casser la logique hiérarchique entre filières générales et techniques, en introduisant des stages en entreprise, des modules pratiques et des lycées professionnels d’excellence dans chaque région.
Le modèle allemand du système dual, combinant formation théorique et apprentissage en entreprise, est régulièrement cité en exemple. Maurice pourrait adapter cette approche avec des partenariats public-privé et des incitations f iscales aux entreprises formatrices.
Les centres de formation technique existants souffrent d’un manque criant de pertinence. Contenus obsolètes, encadrement inadéquat, débouchés faibles : l’offre actuelle ne répond pas aux réalités de l’industrie moderne. La réforme attendue devra reposer sur une cartographie actualisée des besoins du marché et l’introduction de modules en robotique, domotique, énergies renouvelables, mécatronique.
Un Plan national pour la main-d’œuvre est réclamé par de nombreux acteurs. Il serait placé sous l’égide du Bureau du Premier ministre et rassemblerait syndicats, patronat, universités et collectivités locales. Objectif : anticiper les besoins à 5, 10 et 20 ans, et orienter la formation en conséquence.
Transition démographique : une urgence silencieuse
Le vieillissement de la population mauricienne est un autre facteur d’alerte.
D’ici 2040, la baisse du taux de natalité et l’allongement de la vie active entraîneront une contraction du vivier de main-d’œuvre. Il faudra miser sur le maintien en emploi des seniors, la reconversion professionnelle, le tutorat intergénérationnel et le retour au travail de certaines franges de la population.
Parallèlement, une meilleure inclusion des jeunes en milieu rural et des femmes peu qualifiées dans les filières productives constitue un axe fort du futur plan. Cela passerait par la mise en place de formations mobiles, de coopératives artisanales et de structures d’accueil spécifiques.
L’industrie 4.0 comme levier d’attractivité
Pour séduire une jeunesse technophile, les métiers productifs devront se réinventer grâce aux nouvelles technologies : robots industriels, réalité virtuelle, intelligence artificielle, impression 3D. «Il faut casser l’image du métier manuel archaïque. Travailler dans une usine aujourd’hui peut signifier manipuler des capteurs intelligents ou piloter des machines numériques», explique un formateur industriel.
Des Fab Labs régionaux pourraient servir de catalyseurs pour cette transition technologique, tout en stimulant l’innovation artisanale locale. La réussite d’un tel chantier repose aussi sur l’implication pleine et entière des syndicats et du monde de l’entreprise. Ces derniers doivent devenir des partenaires actifs, en contribuant à la définition des programmes, à la formation continue et à la création de filières locales d’excellence.
«Les entreprises doivent cesser de considérer la formation comme une charge. C’est un investissement stratégique», souligne Rajesh, mécanicien et militant associatif. Le modèle nordique de co-construction des politiques éducatives entre État, entreprises et syndicats est mis en avant comme une voie à suivre.
Singapour, cité en exemple tout au long du rapport préparatoire au Budget, a transformé son appareil productif en s’appuyant sur une formation technique de haut niveau, un pilotage étatique cohérent et des partenariats étroits avec les industries stratégiques.
Pour Maurice, insulaire, vulnérable mais dotée d’un potentiel humain important, il s’agit de bâtir une version adaptée : un système flexible, territorialisé et fondé sur l’excellence locale. Les universités, centres techniques, ONG, collectivités régionales et plateformes numériques devront travailler de concert.
Réconcilier les Mauriciens avec le travail productif ne saurait se réduire à une mesure budgétaire isolée. C’est une refondation du contrat social autour de la valeur travail, de l’inclusion et de la production locale. À l’heure des crises climatiques, des incertitudes géopolitiques et de la compétition globale, cette reconquête des métiers productifs devient un impératif de souveraineté.
Le chantier s’annonce long, mais les fondations sont posées. Il revient désormais au gouvernement, dans le cadre du Budget 2025 2026, d’en faire un axe central de sa stratégie de relance économique.
D.T
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