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Portrait

Wardah Jhakri: Recruteuse de choc !

15 juin 2024, 22:00

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Wardah Jhakri: Recruteuse de choc !

Wardah Jhakri, directrice de Kestrel HR Consulting et Career Moves.

Beau parcours que celui réussi jusqu’ici et rien qu’à 31 ans de Wardah Jhakri. En sus de diriger d’une main de maître la branche locale par Palicao, agence française de placement de cadres en France, elle a fondé et dirige, depuis 2021, Career Moves. Sa tâche est de sélectionner des profils en adéquation avec les besoins des entreprises mauriciennes et étrangères basées à Maurice. Ce qui ne s’est pas révélé une mince affaire, surtout après la pandémie de Covid-19, qui a chamboulé le monde du travail. Portrait d’une fonceuse que rien ne décourage.

Une trentenaire branchée mode, mais sans jamais tomber dans l’outrance, c’est la première impression que laisse Wardah Jhakri. Au fil de la conversation, en français, mais truffée de bribes d’anglais de son côté, on se rend compte que cette jeune femme, qui soigne son apparence, a une soif inépuisable de réussite dans tout ce qu’elle entreprend, de même que l’envie constante de découvrir et d’apprendre des choses nouvelles, d’évoluer, d’innover.

L’esprit d’entrepreneuriat chez cette aînée de trois filles vient sans doute de ses parents, des commerçants portlouisiens, qui leur ont toujours inculqué l’exemple du dur labeur. De sa scolarité au collège Lorette de Port-Louis, en sus de la connaissance, elle retient des valeurs telles que l’importance pour toute jeune fille de se tenir debout sur ses jambes pour être financièrement autonome et parée à affronter les adversités de la vie. À la fin de ses études secondaires, son coeur balance entre le droit et les ressources humaines «en raison de mon caractère fort».

Au départ, elle souhaite faire des études en Angleterre mais les frais de scolarité sont rédhibitoires et ses parents font machine arrière. C’est donc à l’université de Technologie de Maurice que Wardah Jhakri étudie le Human Resource Management et obtient sa licence. Comme son désir d’étudier à l’étranger est encore bien chevillé en elle et que sa tante, la soeur de sa mère qui vit à Paris, est disposée à l’héberger, elle envoie des demandes d’admission auprès de plusieurs universités françaises. Elle est acceptée pour un mastère en gestion à l’université de Versailles et c’est le grand départ. Et pour avoir une vision globale de la gestion, Wardah Jhakri embraye en parallèle avec un mastère en gestion stratégique et internationale à l’université de Nanterre. C’est dire qu’elle va d’un bout à l’autre de Paris.

La première année, elle subit un choc culturel. Elle réalise alors à quel point elle était protégée dans un cocon à Maurice alors qu’en France, malgré l’encadrement et l’affection de sa tante, elle doit se débrouiller seule à certains égards. Elle prend aussi conscience que le français qu’elle parle comporte des lacunes et qu’elle doit s’améliorer et changer de look. Passant du français à l’anglais avec aisance, Wardah Jhakri précise «you just needed to be French. It had nothing to do with religion», bien qu’elle ait fait les frais de pointes de racisme.

Comme elle a une forte personnalité et ne craint pas de s’exprimer, elle se lie rapidement aux étudiants étrangers et devient même la responsable des étudiants internationaux sur le campus, dénombrés à 80. Et pour gagner de l’argent de poche, cette jeune femme, qui vit à 100 à l’heure, travaille comme barista dans un McDo à La Défense. Ses journées sont intenses. Sur pied à 4 heures du matin, elle doit être au travail à 6 heures et son service terminé, elle doit se rendre à l’université pour suivre ses cours.

Son premier stage en entreprise, elle l’effectue dans un cabinet de recrutement commercial et cela lui plaît moyennement. Par contre, son deuxième stage lui va comme un gant. C’est chez Palicao, agence de placement de cadres en France. «C’était un immense plaisir de travailler chez Palicao et moi, la petite Mauricienne, je n’en revenais pas d’être en train d’interviewer un directeur ou un haut cadre pour le placer dans une entreprise recherchant ses compétences alors que je n’avais que 25 ans.» La débauche d’énergie dont elle fait preuve s’avère payante car elle réussit ses deux mastères et continue à travailler chez Palicao.

Wardah Jhakri tire tellement bien son épingle du jeu qu’au bout de six mois, un contrat à durée indéterminée lui est offert par Julien Fournaise, le directeur de Palicao. Elle accepte et y travaille deux ans. Étant très proches de ses parents et surtout de son père et lassée de cette existence vécue au pas de course, elle décide, en 2017, de regagner Maurice. Son patron est si content de ses prestations qu’il lui propose d’ouvrir une branche de Palicao à Maurice et ainsi de continuer à effectuer le travail qu’elle faisait à Paris. Une offre qui ne se refuse pas.

À son retour, Wardah Jhakri ouvre donc la branche mauricienne de Palicao, Kestrel HR Consulting, basée d’abord à Ébène, avant de s’installer au Vivea Business Park à Moka. «Nous avons outsourced toute la partie administrative à une société locale et mon patron et moi avons continué à trouver les bons profils de cadres en France pour les placer auprès de corporate firms, banques, cabinets de consulting et autres cabinets de conseils stratégiques. Il en a été ainsi until we created our name and put in place all legal and administrative paperwork. Now Kestrel HR Consulting is an independent entity.»

Sa boîte prend tellement d’ampleur qu’elle doit recruter du personnel local pour l’épauler. C’est là qu’elle rencontre les premières difficultés. Wardah Jhakri note que bon nombre de jeunes veulent tout avoir sur un plateau sans faire de gros efforts et que certains, aux dents longues et affûtées, mais au rendement faible, se voient déjà dans ses chaussures. «Je suis ambitieuse, travailleuse et déterminée à réussir. Et je fais tous les sacrifices qu’il faut pour cela car je sais que l’on n’a rien sans effort. Mais de voir qu’inconsciemment, j’ai fait des envieux, that Mauritian mentality kills me.»

Interdits et télétravail forcé

N’aimant pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, Wardah Jhakri accepte aussi un emploi de chargée de cours à temps partiel en Human Resource Management à l’UTM. Si avant la pandémie de Covid-19, les choses se passaient à merveille car elle avait réussi à constituer une petite équipe solide pour l’épauler, le coronavirus avec tous ses interdits et le télétravail forcé viennent brouiller la mare. «Comment contrôler le travail du personnel qui fait du télétravail ? Sans compter que la demande des clients s’est modifiée. There was a decrease in the needs of our clients and this affected the business. Le marché est devenu trop dynamique et les candidats agissent comme des souval fou. Il faut donc sans cesse s’adapter, innover, pour ne pas rester à la traîne.» Elle s’accroche et finit par trouver ses marques.

Un chargé de cours de l’UTM lui ayant parlé du club Toast Masters où on apprend aux membres à développer l’art oratoire, l’information n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Comme elle est «always thirsty for new things» et pour ajouter une nouvelle corde à son arc, Wardah Jhakri se laisse tenter et rejoint le Toast Masters Club de Port-Louis où elle occupe successivement la vice-présidence du comité membership, la vice-présidence du comité éducation et même le poste de présidente du club en 2022-23.

À force d’être contactée par des employeurs mauriciens et étrangers basés à Maurice, qui souhaitent qu’elle leur trouve du personnel local, Wardah Jhakri fonde en 2021 une deuxième société nommée Career Moves. Au début, le recrutement se fait par le bouche à oreille. Elle se fie aussi à la page Facebook d’une entreprise locale de placement. Elle y met toute son énergie et même son argent, bien que les retours soient maigres. En contrepartie, elle étoffe son portefeuille-clients avec notamment SOMAGS, qui possède l’enseigne Jumbo, 361 de HV Holding, Shamal Travels et d’autres entreprises engagées dans la construction, le Business Processing Outsourcing, pour ne citer que ces filières-là.

Ces temps-ci, la jeune femme galère pour trouver la main-d’oeuvre manuelle. «Par exemple, quand j’organise un job dating, je n’arrive pas à trouver des gens pour les basic jobs. Les Mauriciens n’ont pas envie de travailler et sont ingrats», dit-elle. Le plus terrible c’est que lorsqu’elle les contacte, ils se disent toujours partants pour une interview avec le client mais après, ils ne se présentent pas à l’entretien. «Nowadays, it’s no more the employer who leads the workplace, it is the employee», affirme-t-elle en citant quelques-unes des raisons bancales avancées pour justifier leur absence à l’entretien, du genre «Ou kone madam, mo pann ale parski lot plas so lapay meyer ki isi» ou encore «Travay-la akot enn Guest House ek mo fianse pa kontan». Si bien qu’elle en a marre d’essayer de placer des travailleurs manuels.

Le mal est plus profond et affecte aussi de nombreux cadres mauriciens, qui, dit-elle, ne veulent plus travailler. «Les employeurs ont du mal à recruter des Mauriciens qualifiés tels que comptables, personnes dans la com, techniciens en IT, personnes ayant un marketing profile. Je dois donc me tourner vers des personnes qualifiées venant de l’étranger.» Est-ce à dire que la baisse du seuil de salaire dans le Budget 2024-25 pour un travailleur étranger sous un Occupational Permit (OP) l’arrange ? «Avant le Budget 2024-25, le salaire pour une personne ayant un OP était de Rs 30 000 et c’était un peu fort. Quand on parle d’OP pour les travailleurs manuels, certains agents n’ont pas respecté les besoins du client et il est arrivé que des employeurs se retrouvent avec des assistants cuisiniers étrangers alors qu’ils recherchaient des foremen.»

Pour le personnel qualifié étranger, elle estime qu’avec le nouveau seuil d’OP de Rs 22 500, les entreprises vont considérer plus sérieusement l’emploi d’étrangers. Mais, souligne Wardah Jhakri, encore faut-il que celles-ci n’exploitent pas ces travailleurs étrangers qui ont plusieurs années d’expérience en ne leur donnant que la somme susmentionnée. «Les entreprises doivent trouver la juste mesure.» De son côté, elle dit être à même de fournir du personnel qualifié étranger car elle a des agents sérieux dans plusieurs pays, notamment en Inde, au Nigéria, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Népal et à Madagascar. «Je suis persuadée que cette ouverture des frontières, avec la baisse du seuil de l’OP, va booster l’économie, de même que Career Moves. Je vais redoubler d’efforts pour proposer des profils étrangers de qualité en OP à mes clients.»

Comme Wardah Jhakri veut toujours avoir un coup d’avance dans le jeu, au niveau de Kestrel HR Consulting, elle compte recruter des Européens pour les faire travailler à Maurice alors que pour Career Moves, elle envisage de stopper le recrutement local et faire des Mauriciens qui ont l’envie de travailler et de réussir leur vie aller opérer à l’etranger, de même que placer des travailleurs étrangers dans des pays des Émirats arabes unis ou encore en Bulgarie, qui est ouverte au recrutement d’étrangers.

Sans compter qu’elle veut brasser plus large. «Mon idée n’est pas d’opérer seulement à Maurice. Autant, je remercie les Mauriciens, le gouvernement et tous mes clients qui m’ont soutenue et vont continuer à le faire et je serai là pour eux aussi, je sais également que d’autres opportunités m’attendent à l’international.» On vous l’avait bien dit que c’est une jeune femme aux grandes ambitions….