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Décryptage
Restaurer la société civile
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Décryptage
Restaurer la société civile
Jusqu’ici le gouvernement sortant a abreuvé la population de mesures ou de promesses sociales, mais de proposition économique, il n’y a point. À la faveur d’échéances électorales, l’État-providence s’est grossi grâce au jeu démocratique, transformé en surenchère démagogique. Omniprésent et omnipotent, l’État s’occupe de tout et pourvoit à tout, au point d’affaiblir le secteur privé, grand bénéficiaire de la Mauritius Investment Corporation et du «Wage Assistance Scheme». Reste la société civile, mais elle aussi est anéantie par l’hégémonie politique, par un gouvernement qui s’est substitué à elle avec sa politique d’assistance sociale.
La société civile, c’est l’ensemble des relations sociales qui s’organisent sur la base de l’association volontaire entre personnes privées, excluant toute interférence publique. La société civile se distingue de la société politique, faite des hommes d’État, qui entend régler les rapports sociaux par les interventions et les arbitrages des pouvoirs publics. Or celle-ci a outrepassé ses limites, faisant de Maurice un pays du tout-État, où le pouvoir politique se présente en recours incontournable, avec ses subventions, ses prélèvements et ses réglementations, pour prendre en charge l’individu et l’accompagner dans tous les moments et tous les compartiments de sa vie.
En 1835, Alexis de Tocqueville postulait déjà que la démocratie ne peut être durablement pratiquée que si la société politique est limitée et complétée par une dynamique de la société civile. Prenant l’exemple des États-Unis, il faisait ressortir les bienfaits de la société civile pour assurer le progrès et la liberté des individus. Chez nous, aujourd’hui, les communautés locales et associatives qui constituent la société civile sont étouffées par l’État-providence, car elles sont soumises à la tutelle très étroite des pouvoirs politiques. Afin de redonner vie à la société civile, il ne suffit pas de rétrécir le périmètre de l’État. Il faut encore que ce dernier laisse les gens s’organiser librement en des groupes réunis par des valeurs et des intérêts communs.
Au XVIIe siècle, John Locke avait aussi souligné les bienfaits de la vie associative. Elle est un centre de culture et d’éducation, un apprentissage de la vie sociale, favorisant des échanges d’idées, des débats, l’écoute des autres, la tolérance, le respect de la minorité et l’acceptation de la majorité. Elle est donc à la fois une école de formation aux valeurs de l’entreprise et une école de démocratie qui apprend aux citoyens à agir en contre-pouvoir. C’est ainsi que se crée une société de confiance, dans laquelle les êtres humains sont animés par un sentiment communautaire, et non bassement communal.
Le principe de subsidiarité
Il convient de bien distinguer l’ordre politique, l’ordre marchand et l’ordre communautaire. Dans le premier règne la loi du plus fort, d’où l’importance de la séparation des pouvoirs pour éviter les abus. Le deuxième est à base d’échanges, ce qui requiert l’honnêteté, tel le respect de la parole, une vertu dominante en économie de marché. Et le troisième relève de la solidarité privée, de l’entraide, que le marché ne peut apporter à l’homme.
Le problème, c’est la confusion des ordres, c’est-à-dire que le politique envahit l’ordre marchand (interventionnisme étatique) et l’ordre communautaire (avec des associations commandées par l’État et les politiciens qui les financent). Dès lors, l’ordre marchand se projette dans l’ordre politique : au lieu d’entreprendre, les entrepreneurs passent leur temps à faire du lobbying auprès des hommes d’État pour obtenir des rentes, des revenus sans activité productive. L’ordre marchand est aussi porté vers l’ordre communautaire : les entreprises s’affichent comme soutien d’une cause morale («virtue signalling») alors que leur véritable responsabilité sociale est de créer des emplois et du pouvoir d’achat.
Dans la sphère économique, l’honnêteté prime sur la solidarité. C’est par un comportement honnête qu’on inspire confiance aux individus avec lesquels on envisage de faire des échanges. Respecter ses engagements est le meilleur moyen d’acquérir une bonne réputation dans les affaires. La solidarité n’y est pas absente si on la conçoit par son sens originel d’obligation morale. Mais si on en fait une obligation légale suivant les modalités fixées par le gouvernement, ce n’est pas de la vraie solidarité parce qu’elle n’est pas volontaire.
En raison de l’intrusion croissante de l’État dans les rapports humains, les Mauriciens ne savent plus coopérer alors même que la coopération est essentielle au bon fonctionnement de l’économie. Ainsi que l’affirment des économistes, l’esprit de coopération et l’esprit d’équipe ont fait le succès du Japon dans la gestion des conflits (François Perroux) ; l’entrepreneur est un fédérateur qui sait faire travailler ses employés ensemble (Albert Hirschman) ; et c’est l’action des individus coopératifs, et non celle de l’État, qui rend une société efficace (Gary Becker). Or la vie associative est un apprentissage de la coopération.
Le marché, l’État et la communauté locale constituent les trois piliers de tout régime démocratique, selon Raghuram Rajan. Sans un équilibre entre eux, la démocratie est pervertie par un capitalisme de connivence, soit une entente entre l’État et les producteurs pour exploiter les consommateurs. C’est oublier que tous les marchés sont intégrés dans un réseau de relations humaines, de valeurs et de normes, ce qui donne lieu à la socioéconomie.
Pour repenser la relation entre le marché et la société civile, il faut revenir au principe de subsidiarité, suivant lequel tout s’organise à partir et autour de l’individu. Primo, la société civile est apte à résoudre la plupart des problèmes de la vie en société, sans faire appel aux pouvoirs publics. Deuxio, ces derniers ne font usage de leur autorité que si la société civile ne trouve pas de solution : l’intervention politique est subsidiaire. Et tertio, on recourt d’abord aux échelons du pouvoir politique les plus décentralisés, les plus proches des particuliers, et si cela n’est pas possible, on se tourne alors vers le niveau supérieur de l’État.
Moins de pouvoir au centre, plus de pouvoir à la périphérie, au contact des connaissances locales qui sont éparpillées : c’est un ordre polycentrique dont le principe organisateur est d’encourager chaque citoyen à participer à la vie démocratique.
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