Publicité
Dossier
Révélations de Missie Moustass : Ébouriffant scandale
Par
- Shelly Carpayen
- Karen Walter
- Vilorsha Armoogum
- Selvanee Vencatareddy-Nursingen
- Reshma Gulbul-Nathoo
- Anju Ramgulam
- Yasin Denmamode
Partager cet article
Dossier
Révélations de Missie Moustass : Ébouriffant scandale
Les internautes frétillent d’excitation depuis vendredi. Un corbeau virtuel, à la pilosité labiale impressionnante, se faisant appeler Missie Moustass, a posté, sur une page Facebook éponyme, une série de bandes sonores où l’on entend des conversations entre des politiciens, des journalistes, des juges, des avocats, des policiers ainsi que le commissaire lui-même, des diplomates et des citoyens lambda, entraînés malgré eux dans ce scandale – sorte de Watergate mauricien – qui ne manque pas de rappeler le feuilleton «Sniffing» à Baie-du-Jacotet. Si des protagonistes ont confirmé qu’il s’agissait de conversations réelles, la police, de son côté, a émis des communiqués mettant en garde contre l’utilisation de l’intelligence artificielle pour fabriquer des posts sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, si à hier après-midi, la page de Missie Moustass avait été supprimée sur «Meta», de nouvelles vidéos pleuvaient sur TikTok, la saga promettant d’autres épisodes croustillants…
Chronologie
19 septembre
Le ministère des Technologies de l’information émet un communiqué de presse, à l’attention des rédactions, évoquant une bande sonore. Selon le document, ce son «semble impliquer un ancien CEO de Mauritius Telecom» et cette voix dit que la personne en question s’est procuré des enregistrements de conversations des hautes personnalités du pays et parle de manipulation avec l’aide de l’intelligence artificielle. Cependant, le communiqué a circulé avant la bande sonore en question. Le même jour, Deepak Balgobin, alors ministre des Technologies, avait affirmé sur Radio Plus, qu’il n’y avait pas de phone tapping à Maurice.
30 septembre
Bruneau Laurette se retire de One Moris, la formation de Sherry Singh, ancien CEO de MT. Dans un communiqué, One Moris explique que l’activiste a décidé de se focaliser sur son mouvement.
8 octobre
Une descente policière a lieu à Astor Court, le bâtiment qui abrite les locaux de One Moris. Mais ce n’était pas ce bureau qui intéressait la police, selon Sherry Singh. C’était le bureau d’un travailleur social et homme d’affaires, qui a été inquiété par la Financial Crimes Commission la semaine dernière, car ce dernier possédait également un bureau dans ces mêmes locaux tout comme la conjointe de Bruneau Laurette, jusqu’à tout récemment.
11 octobre
La police émet un communiqué sur les conséquences relatives à des violations de l’ICTA, mettant en garde quiconque publieraient des contenus diffamatoires en utilisant l’intelligence artificielle.
12 octobre
Lors d’une conférence de presse, Géraldine Geoffroy, présidente du Reform Party, explique que selon les renseignements du parti, le passage de Bruneau Laurette chez les Jaunes était un acte «téléguidé». Elle faisait référence aux brèves négociations vite avortées entre Bruneau Laurette et le Reform Party en vue d’une alliance.
Vendredi 18 octobre
Sherry Singh rencontre Navin Ramgoolam et apporte son soutien à l’Alliance du changement. La police émet un communiqué pour faire part de ses préoccupation, précisant que malgré le communiqué du 11 octobre, certaines personnes continuent de publier, sur les réseaux sociaux, des contenus jugés hautement diffamatoires en utilisant l’intelligence artificielle.
Dans la soirée, une première série de bandes sonores est mise en ligne.
Samedi 19 octobre
Une deuxième série de vidéos concernant l’accident d’Adrien Duval est publiée en ligne le matin. La police émet encore un communiqué, faisant référence à son communiqué de la veille. Elle parle, encore une fois, de créations utilisant l’intelligence artificielle alors que plusieurs personnes, dont Shakeel Mohamed, Nawaz Noorbux, Al Khizr Ramdin entre autres, avaient déjà confirmé la véracité des appels. Certains étaient passés par WhatsApp, alors que d’autres par la ligne normale. Dans l’après-midi, la page de Missie Moustass disparaissait de Facebook. Mais elle était toujours bel et bien là, sur TikTok, alors que de nouvelles bandes-son étaient diffusées…
Protagonistes et révélations
Des Mauriciens ont eu du mal à en croire leurs oreilles. C’est avec stupeur qu’ils ont pris connaissance des conversations mises en ligne par Missie Moustass. Si certains protagonistes mentionnés dans les bandes sonores ont confirmé qu’il s’agissait bien de conversations réelles qu’elles ont eues avec d’autres interlocuteurs, d’autres n’étaient pas joignables pour confirmer ou infirmer les faits. Ci-dessous, quelques épisodes décortiqués.
Dans l’épisode 1, on peut entendre une conversation datant d’août 2022 entre le journaliste de Radio Plus Nawaz Noorbux et l’avocat Samad Golamaully. Ce dernier tenterait de soutirer des informations du journaliste après la révélation d’une lettre anonyme dont l’écriture a été par la suite identifiée comme celle de Ken Arian. Nawaz Noorbux reste sur ses gardes et n’aide en rien Samad Golamaully, qui enquêtait apapremment sur l’origine de la fuite de cette lettre. En revanche, c’est l’avocat qui faisait savoir à Nawaz Noorbux qu’en sus de Ken Arian – le rédacteur de la missive – étaient également présents dans un «board room», le Premier ministre sortant et Maneesh Gobin. À une question de Nawaz Noorbux, l’homme de loi, du moins la voix que Missie Moustass présente comme la sienne, expliquera qu’il mène cette enquête parce que «mo bizin trouv enn mwayen pou tir Premye minis dan sa problem la».
Pour rappel, Ameenah Gurib-Fakim démissionnait comme présidente de la République le 23 mars 2018 et Pravind Jugnauth révélait le même jour l’existence d’une lettre anonyme de dénonciation contre Fakim, lettre qu’il aurait reçue et transmise à l’ICAC. Contacté, Nawaz Noorbux confirme avoir eu cette conversation sur WhatsApp. Il s’indigne : «C’est très grave que l’on écoute les journalistes et les opposants, entre autres. En tout cas, ces audio prouvent que le sniffing existe bel et bien !»
L’épisode 2 met en scène les journalistes Al Khizr Ramdin et Jugdish Joypaul, qui travaillaient tous deux à Radio Plus à l’époque, et ne comporte aucune révélation. Ils sont restés injoignables. L’épisode 3 concerne le journaliste Rajen Valayden en conversation avec une inconnue. Contacté, il nous confirme cette conversation sur WhatsApp et qui a eu lieu dans le cadre d’un rassemblement de l’opposition en 2021. Quatrième épisode : le journaliste Murvin Beetun, qui était à l’époque chez Top FM, et le travailleur social Sam Lauthan se parlent. Il ne concerne qu’une invitation du journaliste à ce dernier pour une émission. Murvin Beetun confirme qu’il a eu cette conversation le 9 août 2022, pas via whatsApp, cependant.
Le 8e épisode révèle un dialogue entre l’ex-journaliste de l’express Axcel Chenney et Arvin Boolell. Ce dernier révèle que l’Inde ou le MSM a planté un cheval de Troie au sein du Parti travailliste. Sollicité, Axcel Chenney confirme que c’est sa voix mais dit ne pas se souvenir de la date et de la teneur de sa conversation avec Arvin Boolell. Ce dernier ne nous a pas répondu.
Le 10e épisode a comme protagonistes le Senior Counsel Gavin Glover et un inconnu, probablement un autre homme de loi. Elle concerne une affaire impliquant la compagnie de construction Transinvest. Nous n’avons pu entrer en contact avec Gavin Glover. Le 11e volet concerne manifestement une conversation privée entre le juge Medhi Manrakhan et un proche, un citoyen lambda. Mehdi Manrakhan a été nommé juge en janvier de cette année. Tout indique donc que l’enregistrement date d’avant cette nomination, alors qu’il était toujours au bureau du Directeur des poursuites publiques. Ce qui veut dire que le personnel du bureau du DPP est espionné, ou du moins, l’était à un moment donné.
Revoilà Samad Golamaully dans le 12e épisode. Cette fois, il parle à une personne présentée comme Assad Peeroo sur une affaire en cour. Ce dernier s’en prend à un autre avocat qui, selon lui, «mènera son client en prison». Assad Peeroo s’est contenté de nous faire cette déclaration: «Eski pou bizin fer kouma bann po rouz ek avoy sinyal par lafime aster ?» L’avocat Samad Golamaully pour sa part dit n’avoir toujours pas écouté les bandes-son tout en ajoutant qu’ «il y manipulation de ces enregistrements... Ils les modifient pour fabriquer de fausses conversations...»
Dans le 13e épisode apparaissent Bruneau Laurette et un certain Lindsay. Contacté, l’activiste-politicien confirme avoir eu cette conversation en 2020 sur son téléphone mobile mais ne se souvient plus si c’était sur WhatsApp. Au 14e épisode, on entend une conversation entre Joanna Bérenger et un inconnu, qui semble avoir trait à la catastrophe de Wakashio. L’interlocuteur demande à la députée de parler à l’avocat Nabil Moolnah pour défendre des pêcheurs. Sollicitée à ce propos, Joanna Bérenger a affirmé qu’elle ne veut faire aucune déclaration à ce stade.
Les 15e et 19e épisodes ont comme vedettes Paul Bérenger et Navin Ramgoolam, ce dernier parlant de Maneesh Gobin et d’une invitation venant du Haut-Commissariat de l’Inde, qu’il a déclinée. Et d’une lettre que Patrick Assirvaden devait adresser à la police. Navin Ramgoolam a déclaré lors de la conférence de presse d’hier qu’il n’a pas encore écouté ces bandes-son. Idem pour Paul Bérenger.
L’épisode 16 est une conversation entre Kushal Lobine et un inconnu, probablement juste après la proclamation des résultats en novembre 2019. Ce qui prouve que les écoutes avaient débuté en 2019 ou avant. Contacté, Kushal Lobine dit reconnaître sa voix tout en soulignant: «Je n’ai jamais parlé à Basoo Seetaram. Encore moins d’Adrien Duval. Je ne sais pas de quoi il parlait.»
Dans l’épisode 17, ce serait Xavier-luc Duval qui confie à Assad Peeroo tout le mal qu’il pense du MMM. C’est une conversation qui a lieu, semble-t-il, toujours en novembre 2019. Le leader du PMSD ne nous a pas répondu. Episode 18 : c’est un échange entre Shakeel Mohamed et Patrick Assirvaden juste après les législatives de novembre 2019. Il est question de l’attribution des sièges de Best Losers. Les deux députés nous ont confirmé cette conversation. Episode 20. On peut y entendre Rajesh Bhagwan dire à un interlocuteur inconnu ce qu’il pense de Maneesh Gobin. Tout en évoquant la vie privée de l’Attorney General. Sollicité, le député du MMM ne nous a pas répondu. Episode 21 : il s’agit d’un échange professionnel entre l’avocat et député Reza Uteem et une inconnue. Reza Uteem ne souhaite pas commenter l’affaire pour le moment.
Dans l’épisode 22, Shakeel Mohamed et Navin Ramgoolam sont en conversation au sujet de «boîtes» et il est question de «Best Loser» pour les prochaines élections. Le contenu de l’épisode 23 interpelle davantage. On y entend une conversation très amicale entre Ken Arian et la Haut-Commissaire Britannique à Maurice. Cette dernière se plaint que son pays n’ait pas de Premier ministre depuis 2 mois. Suivent des blagues et des éclats de rire. Ken Arian nous a confirmé avoir eu cette conversation qu’il situe après la démission de Boris Johnson. On se rappelle qu’il y avait un vide de deux mois avant que Liz Truss ne devienne la PM le 6 septembre. L’échange a donc eu lieu en août ou septembre 2022 et sur WhatsApp selon Ken Arian. On ne sait pas si c’est ce dernier qui était sur écoute ou la Haut-Commissaire britannique.
Dans la série 2, épisode 1, on peut entendre dans la première partie Basoo Seetaram réveiller apparemment le CP Anil Kumar Dip pour lui dire qu’Adrien Duval «était aussi sous l’effet de la drogue» en plus d’être fortement alcoolisé lors de son accident le 21 septembre 2022. Et qu’il a obtenu cette information de Kushal Lobine qui était pourtant aux côtés d’Adrien Duval au sein du PMSD à cette époque. En réponse, le CP – comme l’allègue Missie Moustass – assure à Basoo Seetaram qu’il a mobilisé une équipe pour rechercher Adrien Duval qui avait disparu de la circulation et lui faire subir des tests d’alcoolémie et de drogue.
Dans la 2e partie de cet épisode, le CP appelle un certain Rashid, présumément un haut-gradé de la police, pour lui dire d’arrêter Adrien Duval et de l’enfermer à Alcatraz. «Fer li gagn gou laba ek bourre Panglose deor», dit la voix. Le commissaire souligne qu’il était en conversation avec le PM, qui suivrait l’affaire de près et qui lui aurait lancé : «This is the time», pour régler son compte à Xavier-Luc Duval qui avait critiqué le système Safe City.
À la partie 4, l’avocate Roubina JaddooJaunbaccus avoue apapremment au Dr Zouberr Joomaye que sa cliente n’a pas vu Adrien Duval au volant. Joomaye de lui répliquer que les policiers l’ont vu. L’avocate reconnaît qu’il sera peut-être trop tard quand l’alcootest et le drug test seront effectués le lendemain.
Le Dr Jagutpal intervient dans la sixième partie, et demande, selon Moustass, au CP le nom du médecin qui s’est occupé d’Adrien Duval à la clinique Wellkin pour «ki mo casse so f…» s’il ne donne pas d’informations sur l’état de santé d’Adrien Duval. «Mo pa konn non sa g… dokter-la mwa», lâchera la voix du CP…
À l’heure où nous mettions sous presse, d’autres épisodes venaient d’apparaître sur TikTok, la page Facebook de Missie Moustass ayant été supprimée.
Qui est Missie Moustass ?
En moins de 24 heures, Missie Moustass est devenu l’un des personnages les plus connus de l’île. Paradoxalement, personne ne connaît son identité. Si certains pensent qu’il s’agit de Sherry Singh, ce dernier a nié catégoriquement ces dires au téléphone, hier.
C’est jeudi qu’une première vidéo avait été postée en guise de teaser sur la page éponyme et peu après, on a eu droit à une déferlante de bandes sonores. Dans la bande-annonce, Missie Moustass se présente comme «un simple fonctionnaire qui travaillait au sein d’une unité secrète» dont le rôle était d’effectuer «bann travay ki bann Morisien pa okouran». Toujours dans sa vidéo de présentation, il explique qu’il ne peut dévoiler son identité par peur de finir comme Soopramanien Kistnen, ancien agent politique dont le corps calciné a été retrouvé dans un champ de cannes, rappe- lons-le si besoin est.
Pourquoi avoir décidé de tout dévoiler maintenant ? Parce qu’il est sait trop de choses concernant la politique, la police et la surveillance en masse des citoyens, et il a «latet fatige». Cependant, même s’il craint pour sa sécurité, précise-t-il, il estime qu’il ne peut plus se taire car le peuple doit savoir à quel point «zot danzere». Défilent alors une série de photos, au fil du teaser toujours : Pravind Jugnauth, Yogida Sawmynaden, Zouberr Joomaye, Showkutally Soodhun, Ken Arian, Maneesh Gobin, Rengana- den Padayachy, Anil Kumar Dip, Rakesh Gooljaury, Basoo Seetaram, Vikram Jootun, Hans Puttur, Loveish Ramnochane, Jimmy Appadoo, Sunil Gohin, Samad Golamaully, Anooj Ramsurrun, Dev Beekharry, Dinay Reetoo et Kobita Jugnauth.
Pour rappel, c’est la deuxième fois qu’un Missie Moustass fait des remous à Maurice. Après sa démission de Mauritius Telecom, Sherry Singh avait parlé d’un «misie avek enn gro moustas» qui était venu de l’Inde, à la demande du gouvernement, pour installer un dispositif sur les câbles à Baie-du-Jacotet, dans ce qui allait devenir le fameux #sniffgate…
Pravind Jugnauth : «Pe fer bann foste, pe servi intelizans artifisiel»
Lors d’une rencontre avec les jeunes dans la circonscription no 8, Quartier-Militaire–Moka, hier après-midi, Pravind Jugnauth a évoqué le scandale des bandes sonores. Il a commencé par faire ressortir que Sherry Singh a rejoint l’Alliance du changement et que dès lors, il y a eu un complot et des fabrications. «Pe fer ban foste. Lorla inn deza dir, servi intelizans artifisiel pou fer fabrikasion lor lavwa, konversation», a-t-il martelé. Et ce, malgré le fait que plusieurs personnes concernées ont confirmé que ces conversations ont bien eu lieu.
Publicité
Les plus récents