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Rezistans ek Alternativ : chasse gardée ?
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Analyse
Rezistans ek Alternativ : chasse gardée ?
LA tornade politique qui s’abat ces jours-ci sur Rezistans ek Alternativ (ReA), après le «hijacking» par ce parti du processus de nominations au board de la National Empowerment Foundation (NEF), est, à plusieurs points de vue, déstabilisante.
Discutée vendredi au Conseil des ministres, perçue dans l’opinion publique comme un premier «scandale» et un cas flagrant de «népotisme», susceptible de faire l’objet d’une sévère réprimande du Premier ministre, cette controverse est née d’une incroyable naïveté et d’une choquante méconnaissance à ReA du fonctionnement de l’État. Elle n’est pas sans dangers et mérite d’être prise très au sérieux.
À la veille d’un Budget hyper-important, cette affaire brouille, en effet, l’image d’un parti et d’un régime qui se disent et qui se veulent moralement et administrativement irréprochables. Elle risque d’empoisonner l’atmosphère politique très tôt dans le mandat, de déboucher sur une période d’incertitude et de conflits larvés, de tendre les rapports jusqu’ici décontractés entre partis du gouvernement, enfin, de provoquer une scission prématurée du gouvernement, au cas où un ReA recadré estimerait qu’il en sort inutilement humilié.
De par sa nature et ses implications, cet incident porte en lui ce qui pourrait bien être le germe de futures collisions frontales entre deux cultures politiques cohabitant aujourd’hui à l’Hôtel du gouvernement : celle des constitutionnalistes et traditionalistes du centre-gauche (PTr, MMM et ND) et celle des non-conformistes pressés de la gauche dure (ReA). Il convient, très tôt dans le jeu, de dire son fait à ReA, et de corriger sa lecture erronée du rôle et de la place des uns et des autres dans le fonctionnement de l’État.
Personne ne doute de la bonne foi d’Ashok Subron en lançant (avec un financement de l’État) une invitation publique d’«expression of interest» pour identifier tous ceux qui souhaiteraient servir sur le board de la NEF. La démarche est originale et mérite d’être soutenue. C’est la mise en place et la suite donnée à cette initiative qui sont désastreuses, de par le mode opératoire de l’exercice, et l’inquiétante confusion des rôles respectifs de ReA et du ministère.
L’État est au-dessus des partis. Ses instances officielles (ministères, corps constitués, boards, commissions, etc.) ne sont redevables qu’envers l’Exécutif et le Parlement, qui vote les Budgets. Ces instances ne sont sujettes, dans leur fonctionnement, ni au contrôle ni à l’intervention des appareils de partis politiques. Il n’y a pas de ministères PTr, MMM, ND ou ReA ; il n’y a que des ministères publics. Quand un ministre franchit les portes de son ministère, investi de responsabilités nationales et de pouvoirs conférés par des lois, il n’est le ministre d’aucun parti mais un ministre de la République tout court, tenu seulement par son serment envers la Constitution, et par ses devoirs de responsabilité collective et de solidarité envers ses collègues.
Mme Dany Marie se trompe ainsi grossièrement : il n’y a pas de ministère ReA ou de chasse gardée ReA au gouvernement où elle pourrait, devrait ou se sentirait autorisée à intervenir. Le ministère de la Sécurité sociale ne fait pas exception à cette règle fondamentale : les ministres ne servent pas leurs partisans mais la nation tout entière. Ils disposent, pour ce faire, d’une armée de fonctionnaires et n’ont nul besoin, entre leurs pattes ou se substituant à eux, des activistes de partis.
Dans le fonctionnement quotidien de son ministère, un membre du gouvernement ne peut, par ailleurs, «déléguer» ses pouvoirs de signature, de décision, de sélection ou de nomination à un junior minister (comme l’affirme à tort ReA), et encore moins à des outsiders membres de son propre parti, même si ceux-ci interviennent gratuitement. Seules la signature du ministre, son autorité et celles de son Permanent Secretary comptent. C’est sur ces fondements que s’articule le fonctionnement de l’État mauricien.
Dans l’affaire qui nous concerne, après un appel à candidatures dans la presse financé par des fonds publics par le ministère de la Sécurité sociale, ce sont des outsiders ReA qui ont été invités à se réunir au ministère, et qui ont eu le privilège de screen, de shortlist et de recommander des postulants. Ceci est intolérable. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent.
ReA a franchi, dans cette affaire, de nombreuses lignes rouges. Les dirigeants de ce parti doivent apprendre à rester à leur place. ReA n’a pas à participer directement à des décisions officielles. Ses activistes n’ont absolument rien à faire dans les bureaux d’un ministère, fût-il dirigé par M. Subron, pour y effectuer le travail de fonctionnaires ou de leur ministre. ReA n’a pas à y mener des «exercices politiques» pour la nomination de membres payés de commissions nationales financées par le Budget (NEF : Rs 220 millions d’argent public). ReA ne peut s’arroger aucune autorité pour constituer, serait-ce «gratuitement», des panels d’intervieweurs afin «d’aider le ministre Subron, faute de temps, à screen 263 candidatures» pour le board de la NEF.
Sur le plan éthique, il est aussi particulièrement choquant que les activistes de ReA aient eu accès aux dossiers (nécessairement confidentiels) des 263 postulants envoyés au ministère. Les verrat-on bientôt à l’œuvre pour screen, après la NEF, les candidatures aux boards de la National Social Inclusion Foundation (NSIF), du National Pension Board, du National Solidarity Fund, du Senior Citizens Council, du Residential Care Homes Board, du Training and Employment of Disabled Persons Board ou du Lois Lagesse Trust Fund, qui tous relèvent du ministère d’Ashok Subron et dont les boards seront bientôt nommés ?
Alors que le député travailliste Ehsan Juman qualifie publiquement le mode de nomination au NEF de «honteux et inacceptable», que le leader de l’opposition, Joe Lesjongard, en appelle à la Financial Crimes Commission pour enquêter, Ashok Subron, ReA et Mme Dany Marie aggravent encore plus leur cas en maintenant jeudi que «inn finn fer seki bon!» dans l’exercice. Ashok Subron défend l’intervention de ReA, rejette les soupçons de «conflit d’intérêts», confirme avoir «délégué» ses pouvoirs discrétionnaires à son junior minister et qualifie de «cabale» l’opposition à ces procédés.
Confrontés aux critiques, Mme Dany Marie et le junior minister Kugan Parapen répondent avec une insoutenable arrogance. Mme Marie affirme : «Mo enn fondatris e dirizant ReA. Li mo drwa pou partou kot minis ReA ete!» Mme Marie n’a aucun «droit» en la matière. Si c’était le cas, on verrait Reza Uteem demander à quelques amis, membres du comité central du MMM, de sélectionner «gratuitement» à sa place les boards du National Remuneration Board, du Human Resource Development Council ou encore du Redundancy Board. On verrait Patrick Assirvaden demander à ses activistes PTr de désigner, «faute de temps du ministre», les boards de la CWA ou du CEB. M. Parapen insiste, pour sa part, que la reconstitution du board de la NEF n’était pas «un recrutement comme en fonction publique» mais un «exercice politique», justifiant de ce fait l’intervention de militants ReA. Ce raisonnement est à peine croyable !
La drôle de conception que se fait ReA de son rôle et du «droit» des appareils de partis à intervenir dans le fonctionnement des institutions publiques est porteuse de graves dérives.
Si ReA ne comprend pas ces règles, s’il veut demain avoir sa propre interprétation des privilèges du pouvoir, avec un pied à l’intérieur et un autre à l’extérieur, alors ce gouvernement de coalition est mal parti. ReA est présent au gouvernement par choix et non par contrainte. Il doit assumer entièrement ce choix, s’en tenir aux codes, défendre pied à pied le principe de responsabilité collective, éviter pendant cinq ans d’embarrasser le régime en le traînant dans des controverses comme celle-ci et, si nécessaire dans des cas extrêmes (licenciements, mesures impopulaires touchant aux travailleurs, etc.), boire la coupe jusqu’à la lie. Serat-il prêt à le faire ?
Autrement, il court le risque de s’entendre un jour poser sèchement la question : Are you in or are you out?
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