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Right to Recall : Quand le peuple veut reprendre la main

25 mai 2025, 18:00

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Right to Recall : Quand le peuple veut reprendre la main

La controverse autour de la participation de la conjointe du ministre Ashok Subron à un panel de recrutement pour la National Empowerment Foundation (NEF) a relancé à Maurice le débat sur un outil démocratique longtemps évoqué mais jamais adopté : le right to recall. Soutenu par plusieurs formations de l’opposition, ce mécanisme permettrait aux électeurs de révoquer un député avant la fin de son mandat, dans certaines conditions.

L’affaire débute par une initiative perçue comme louable : un appel à candidatures lancé en janvier 2025 pour recomposer le conseil d’administration de la NEF. Portée par le ministère de l’Intégration sociale, dirigé par Ashok Subron, l’initiative se voulait transparente, inclusive, méritocratique. Mais très vite, des critiques émergent.

En cause : la présence de Dany Marie, conjointe du ministre et membre fondatrice du parti Rezistans ek Alternativ (ReA), au sein du panel d’interview chargé d’évaluer les candidatures. Cette participation soulève des interrogations sur l’impartialité du processus et la séparation entre appareil d’État et parti politique.

«Un ministère ne peut pas devenir l’otage d’un parti politique», s’indigne le chef de l’opposition, Joe Lesjongard. «La gestion des fonds publics ne peut être confiée aux proches d’un ministre.»

Le junior minister Kugan Parapen assume. Il reconnaît que l’appel à manifestation d’intérêt a été initié par ReA, dans un cadre «politique» assumé. Mais il insiste : «Ce n’était pas un processus administratif comme ceux de la Public Service Commission. Il s’agissait d’un exercice politique, et non d’un recrutement formel.»

Cette distinction n’a pas convaincu. La polémique alimente la suspicion de conflit d’intérêts, au point de remettre sur la table une idée défendue par le constitutionnaliste Milan Meetarbhan : donner aux citoyens le pouvoir de révoquer un élu en cours de mandat.

Un principe ancien, une idée neuve à Maurice

Le right to recall, ou droit de révocation populaire, désigne la possibilité pour les électeurs de démettre un élu avant la fin de son mandat, via une procédure clairement définie : généralement une pétition suivie d’un référendum. Cet outil existe déjà dans plusieurs démocraties, notamment aux États-Unis (Californie), au Royaume-Uni, au Kenya ou encore en Équateur. Son objectif : renforcer la redevabilité des élus et offrir aux citoyens un recours en cas de comportement inapproprié, de conflit d’intérêts ou de trahison du mandat reçu.

À Maurice, l’idée n’est pas nouvelle. Elle figure dans l’ouvrage Constitutional Law of Mauritius publié en 2017 par Milan Meetarbhan. Il y cite l’article 104 de la Constitution kényane, qui encadre la révocation des députés, et les dispositifs britanniques issus du Recall of MPs Act de 2015, qui prévoit un processus déclenché par une infraction ou une sanction disciplinaire.

Pour Meetarbhan, deux modèles sont envisageables pour Maurice : un premier fondé sur une pétition atteignant un seuil de signatures (ex. : 10 % des électeurs inscrits dans une circonscription), l’autre reposant sur l’organisation d’un référendum de révocation. Mais il alerte aussi sur la nécessité d’un cadre rigoureux.

Des partis favorables, mais une application sélective ?

L’idée d’un right to recall a reçu un soutien officiel de la part du Parti travailliste, du Mouvement militant mauricien (MMM) et des Nouveaux Démocrates. Rezistans ek Alternativ en a même fait un cheval de bataille. «Ce serait un progrès démocratique majeur», a martelé Ashok Subron à plusieurs reprises, appelant à une démocratie plus participative, capable de corriger les dérives sans attendre cinq ans.

Mais ce soutien prend une teinte particulière depuis l’affaire NEF. Car les mêmes qui prônent la révocation populaire sont aujourd’hui au centre d’une controverse sur l’usage partisan d’une institution publique. D’où un malaise croissant dans l’opinion publique.

«Peut-on défendre un outil de contrôle citoyen et s’arroger, en même temps, des prérogatives partisanes au sein d’un ministère ?», s’interroge un ancien haut fonctionnaire, sous couvert d’anonymat. «Le right to recall commence par l’exemplarité.»

Pour l’avocat Penny Hack, le principe du right to recall est sain, mais il ne saurait être utilisé à la légère. «Il faut éviter que cet outil ne devienne un instrument de vengeance politique», prévient-il. Il souligne que des seuils stricts de déclenchement, un contrôle par la Commission électorale et des délais raisonnables sont essentiels pour éviter les dérives.

Meetarbhan, lui, plaide pour que la Commission électorale, indépendante, soit investie du pouvoir d’organiser rapidement des élections partielles après une révocation, afin d’éviter toute manipulation politique des calendriers.

Un contexte de méfiance politique et d’inégalités croissantes

Le débat s’inscrit dans un contexte de désillusion politique profonde. Maurice fait face à une crise de confiance dans ses institutions. Pour Rezistans ek Alternativ, la revendication du right to recall s’inscrit dans un combat plus large contre un modèle de développement jugé inégalitaire et extractif. Ashok Subron dénonce régulièrement l’influence croissante des «nouveaux settlers», ces étrangers fortunés achetant des villas à plusieurs centaines de millions de roupies, capables selon lui d’«orienter la vie politique mauricienne avec leur argent».

Il alerte aussi sur l’exode massif de la classe ouvrière, l’endettement chronique des jeunes ménages et l’impossibilité croissante pour un Mauricien moyen d’accéder à la propriété. Dans ce cadre, dit-il, le right to recall serait un levier démocratique pour protéger les intérêts du peuple contre une élite économique et politique déconnectée.

Mais transformer ce principe en loi demeure un défi. Aucun projet de loi n’a encore été déposé formellement à l’Assemblée nationale. Et les réticences sont nombreuses, certains députés jugeant le mécanisme «impraticable» et «populiste».«On ne gouverne pas sous la menace permanente d’une révocation», confie un député de la majorité, qui redoute un climat d’instabilité parlementaire. La crainte d’un usage stratégique du right to recall par des partis d’opposition, ou par des factions internes à une coalition, est également mentionnée comme un frein.

Une société civile appelée à trancher

Malgré ces réticences, le débat ne faiblit pas. Des organisations citoyennes comme Democracy Watch et l’Observatoire des Institutions appellent à une large consultation nationale sur le sujet. «Ce n’est pas une affaire de partis, c’est une question de souveraineté populaire», soutient Vinesh Ramnauth, coordinateur de Democracy Watch.

Il milite pour un projet de loi citoyen, qui serait soumis au Parlement ou à référendum après validation par un comité parlementaire multipartite. «Il est temps que le peuple récupère sa voix entre deux élections.»

Le right to recall divise. Pour certains, il menace la stabilité. Pour d’autres, il est l’un des rares outils capables de restaurer la confiance dans la démocratie représentative. Mais une chose est sûre : à Maurice, le pouvoir ne peut plus se prévaloir d’un mandat de cinq ans comme d’un blanc-seing. L’affaire NEF en a été l’illustration brutale. À force de flouter les lignes entre engagement partisan et responsabilité ministérielle, certains élus ont offert aux citoyens une raison de plus d’exiger des comptes. Et peut-être, demain, de reprendre la main.


Les nouveaux membres du board de la NEF :

Hootesh Ramburn, 68 ans, travailleur social (Chairperson)

Sean Rungen, 30 ans, travailleur social

Amanda Sadien, 32 ans, psychologue

Rajiv Ramgoolam, 40 ans, directeur et activiste social

Marie-Noëlle Elissac-Foy, 55 ans, spécialiste en relations publiques

Frankie Sophie, 49 ans, travailleur social

Blackwell Louis, 35 ans, consultant

Erickson Mooneapillay, 46 ans, avocat

Abdool Rahim Domah, 39 ans, gestionnaire financier


Réactions

Jean-Claude de l’Estrac, ancien président de la NEF, souligne l’importance majeure de cette institution : «Annoncé à l’époque dans le discours du Budget, un fonds conséquent de Rs 25 milliards avait été alloué à la NEF sur une période de cinq ans. La NEF, lorsqu’elle fonctionnait en tant que fondation, disposait d’un conseil d’administration qui agissait en toute indépendance. Lorsqu’elle a été intégrée à un ministère, elle est devenue un département gouvernemental, avec les contraintes que cela implique.»

Suren Dayal, ancien ministre de l’Intégration sociale et de l’Autonomisation économique, aborde lui aussi cet aspect budgétaire, rappelant les importants moyens considérables mobilisés à l’époque pour soutenir les projets de lutte contre la pauvreté : «une enveloppe budgétaire de départ (upfront budget) et la contribution de la CSR à hauteur de 2 %». Fin mars 2010, les entreprises assujetties à la CSR avaient ainsi alloué Rs 331,5 millions aux différents axes d’intervention approuvés. Suren Dayal évoque la nécessité du logement : «Offrir un toit aux bénéficiaires est primordial dans la lutte contre la pauvreté». Ainsi, des projets de logements sociaux intégrés, à l’exemple de Gros Cailloux, ont été mis en oeuvre. Il ajoute : «La pauvreté est multidimensionnelle et de ce fait, les projets mis en oeuvre dans la lutte contre la pauvreté couvrent aussi d’autres aspects : l’employabilité, l’éducation et la formation pour ne citer que quelques-uns.»

Amédée Darga, ancien président de la NEF, apporte un éclairage complémentaire sur le rôle de l’institution : «Le programme d’empowerment pour les personnes en situation de pauvreté est un excellent programme, s’il est bien conduit. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les résultats dépendent de l’institution, de la bonne mise en pratique des projets mais aussi des récipiendaires.» Il précise : «Il ne peut y avoir de résultats concrets que si le bénéficiaire a la volonté de s’en sortir et de ne pas rester en permanence en situation de dépendance.»

Jack Bizlall, syndicaliste, rappelle lui aussi la nécessité du logement : «La pauvreté prend plusieurs formes et la question du logement est centrale. Le problème du logement, s’il n’est pas abordé, mène à des problèmes d’hygiène et de moeurs.» Il reconnaît que la hausse du salaire minimum et l’allocation salariale sont des facteurs ayant contribué à l’amélioration des conditions de vie des personnes en situation de pauvreté.

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