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Panchvati
Robinets à sec: «Politisien pou gagn kout savat ek tempo si vinn isi !»
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Panchvati
Robinets à sec: «Politisien pou gagn kout savat ek tempo si vinn isi !»
- Rencontre avec l’homme qui a lavé son linge sale devant le bureau de la CWA…
En direction de Rivière-duRempart, le chemin étroit mène à l’entrée du village. L’odeur qui flotte dans l’air témoigne de la présence d’écuries, de pâturages et des terres agricoles. Les maisons sont décorées avec des pots de fleurs, mais les plantes se dessèchent. La couleur bleue des barils d’eau placés dans chaque cour attire l’attention. Dans ce petit coin de paradis qu’est Panchvati, les habitants vivent un enfer…
Nous sommes allés à leur rencontre jeudi. Le mot est lâché : «eau»… Ils nous conduisent tout de suite vers un robinet et l’ouvre. Ça fait un moment déjà que son gosier est à sec... Parmi ceux qui ne décolèrent pas, il y a Omesh Ramchurn. Il y a une semaine, une vidéo qu’il a diffusée sur Facebook alors qu’il lavait son linge sale au bureau de la Central Water Authority (CWA) sis à Nicolière a été visionnée par des milliers de personnes. D’autres habitants se réunissent autour de nous pour exprimer leur ras-lebol. Mais il faut leur promettre de ne pas divulguer leurs noms, car «dans ce pays, la liberté d’expression entraîne des représailles». Omesh Ramchurn, lui, n’a pas froid aux yeux. Il se dit «prêt à affronter tous les obstacles si c’est ce qu’il faut faire pour que les autorités se réveillent»
Omesh Ramchurn, 42 ans, n’a pas hésité à laver son linge devant le bureau de la CWA.
Marié et père de deux garçons, dont un enfant de trois ans, ce mécanicien de 42 ans, qui travaille dans une entreprise privée, est «un simple citoyen qui n’a rien à voir avec la politique mais qui ne tolère pas n’importe quoi». Il consacre une partie de son temps libre à des travaux de métallerie pour gagner quelques sous et se dévoue pour sa famille. De grande taille, musclé, calme mais déterminé, l’homme n’en démord pas. «Même le mécanicien a besoin d’eau pour boire et se laver lorsqu’il rentre chez lui, épuisé, après avoir travaillé dur pour nourrir ses enfants. Il est inacceptable de mendier pour quelque chose d’aussi élémentaire», lâche-t-il. Pourtant, les régions avoisinantes et les usines, dont une récemment construite, ont de l’eau courante en permanence.
Chiots, chèvres, vaches attendent aussi de pouvoir étancher leur soif.
Cela fait des mois que cette situation perdure dans notre village. Au début, il y a eu quelques perturbations, puis, la situation a empiré. Parfois, nous avons droit à un filet d’eau entre 2 heures et 5 heures du matin. Des fois, rien du tout. Nous passons toute la nuit à attendre pour remplir des barils, des fûts, des bidons. Sinon, nous devons aller en chercher au temple voisin», explique Omesh. Le temple en question est situé près d’une des usines, le long de la route principale. La voie n’est pas éclairée. «Nous faisons des va-et-vient en voiture. D’autres marchent pendant 30 minutes le long de la route principale ou coupent à travers le champ de cannes dans l’obscurité.Les gérants du temple sont généreux. Mais il n’est pas de leur responsabilité de fournir de l’eau en permanence aux habitants.»
Le jeudi 30 novembre, c’était la goutte de trop. «Mon enfant est tombé malade, il a eu de sérieuses éruptions cutanées sur son postérieur parce que lorsqu’il a fait ses besoins, nous n’avons pu utiliser que des baby wipes pour l’essuyer. Nous n’avions pas d’eau pour lui donner un bain (...) pour faire la vaisselle, pour rester propres, pour laver les vêtements, pour cuisiner. Je l’ai conduit chez le médecin. À mon retour, j’ai décidé que j’en avais assez…»
Omesh Ramchurn a alors pris ses vêtements et s’est rendu avec sa femme et son bébé au bureau de la CWA à Nicolière, où il a utilisé l’eau des locaux pour laver ses vêtements. Tout en diffusant cela sur Facebook, pour dénoncer l’inaction des autorités. «Les officiers de la CWA me connaissent, car j’ai pris des congés pour aller les supplier de résoudre le problème. Chaque fois que j’y vais, pendant deux jours, ils fournissent de l’eau pendant quelques heures durant la journée. Le troisième jour, c’est de nouveau la galère…»
La subsistance des habitants menacée
Les plantations et la ferme d’élevage ont perdu de leur charme. Un quadricolore flotte à l’entrée du village. Vaches, cabris et chiots, tout sales, assoiffés, gambadent ici et là. «Nous devons même parfois leur faire boire l’eau boueuse de la rivière. Beaucoup d’animaux sont tombés malades et sont morts. Les autres sont déshydratés et fragiles. Avec le peu d’eau propre que nous devons aller chercher sur de longues distances, nous devons distribuer de petites quantités à chaque animal pour essayer de le maintenir en vie. Nous vendons du lait et des légumes pour gagner notre vie, mais tout a été bouleversé», explique un éleveur, âgé.
À proximité, quelques maisons sont en construction. «Nous avons payé un camion-citerne privé pour qu’il nous livre de l’eau pour la journée afin que nous puissions bétonner. Le prix s’élève à Rs 4 500 à l’unité...» raconte un habitant. Jason (prénom d’emprunt) est lui aussi à bout, dépité. «Ailleurs dans le pays, tout le monde s’active, fait du shopping. Ici, on n’a pas l’impression que la période de Noël est là. Nous vivons ensemble comme une seule communauté et nous souffrons tous. La dernière fois, j’ai dû me rendre à Rodrigues pour quelques jours, et avant d’aller à l’aéroport, j’ai même passé la nuit à aller et revenir du temple pour remplir plusieurs barils d’eau pour ma femme et mes trois enfants, afin qu’ils n’aient pas à stresser pendant mon absence...»
Le temple est situé près d’une des usines, le long de la route principale. Les habitants doivent marcher pendant 20 à 30 minutes pour récupérer un peu d’eau…
Non loin de là, le centre communautaire est lui aussi mal en point. Deux enfants passent la journée à y jouer du carrom en espérant prendre une douche dans la nuit. L’état des toilettes offre une vision d’horreur, les narines passent un sale quart d’heure... Pour les femmes et les jeunes mamans du village, ce problème d’eau signifie qu’une bonne partie du salaire est consacrée à l’achat d’eau embouteillée pour s’assurer qu’elles et leurs enfants puissent au moins en boire en toute sécurité, tout en étant contraintes de faire des compromis sur leur propre hygiène. «Il n’y a pas d’eau pour me laver lorsque j’ai mes règles. Imaginez le calvaire que je vis quand je dois aller changer mes serviettes hygiéniques et que je n’ai pas d’eau pour me laver», confie l’une d’entre elles.
Simples bulletins de vote
Les habitants de Panchvati se sont mobilisés et ont écrit collectivement une lettre à des instances telles que le Citzens Advice Bureau de la circonscription no 7, avec en copie la Central Water Authority, le bureau du Premier ministre et le ministre Maneesh Gobin, également député de cette circonscription, entre autres, demandant une solution permanente au problème d’eau.
Des habitants doivent utiliser l’eau qu’ils récupèrent du temple alors que les robinets sont à sec
Les collaborateurs du ministre Gobin dans la circonscription, avec qui nous avons échangé, nous disent qu’après avoir pris connaissance du problème, ils sont intervenus pour contacter la CWA, et d’après le retour d’information qu’ils ont reçu, «il y avait un conduit qu’il fallait changer dans cette zone et cela a provoqué des perturbations. Même après l’installation du tuyau, il a fallu du temps pour qu’il soit utilisable car la source d’eau est assez éloignée. Des démarches ont alors été faites pour que des camions-citernes viennent, et dans la nuit, les habitants ont pu avoir de l’eau». Ajoutant que bien que le député-ministre ne se soit pas rendu dans le village pour effectuer un constat, il est au courant de la situation et a pu intervenir par l’intermédiaire de ses collaborateurs. Nous avons sollicité la CWA pour obtenir des précisions sur ce problème d’eau. À l’heure où nous mettions sous presse, une réponse était toujours attendue.
L’état des toilettes du centre communautaire en dit long sur la situation.
Sur le terrain toutefois, c’est un autre récit que livrent les habitants révoltés. «Il ne s’agit pas d’une pénurie d’eau due à la sécheresse, mais d’une discrimination et déshumanisation systémique et constante. Lorsque nous appelons la CWA, elle enregistre nos plaintes, nous donne des numéros de référence et nous informe que des camions-citernes vont bientôt venir. Nous attendons en vain. Rarement, on voit arriver un camion pour 250 habitants. On fait du bruit, on nous donne un peu d’eau comme si c’était une faveur, puis on la coupe à nouveau. Mais avec ou sans eau, au moment d’envoyer les factures, les officiers sont très performants. Bien qu’il n’y ait pas d’eau ici, les factures s’élèvent à Rs 400...» assurent plusieurs habitants.
Un interlocuteur d’un âge avancé confie qu’il se souvient qu’en 2017, lors d’un événement organisé à Rivière-du-Rempart auquel il a assisté en compagnie de 25 personnes du village, «le Premier ministre avait dit qu’il ferait du problème d’eau une priorité. Plus tard, il a dit que le 24/7 ne veut pas dire que l’eau sera fournie du matin jusqu’au soir. Mem sa, mem si pa 24/7, mé li bizin koulé omwin !»
Des fûts sont visibles dans la cour de plusieurs habitants...
Omesh Ramchurn, lui, dit ne pas comprendre cette politique remplie de paradoxes et contradictions. «On nous accorde des subventions pour acheter des water tanks. Ek ki pu ranpli sa kan pena dilo ?… Métro, fly-over, Stag Party… Et nous, nous mendions pour l’eau comme si nous n’avions aucune dignité. Les camions-citernes de la CWA, qui ne se présentent jamais pour nous, livrent facilement de l’eau aux hôtels pour remplir les piscines en période de sécheresse, parce que cela leur rapporte un revenu supplémentaire. Nous sommes informés, nou pa kouyon. Ils parlent de compensation salariale pour aider le peuple. Mais nos moyens financiers dans ce village – littéralement – al dan dilo…»
Toujours aux dires des habitants, «c’est le silence total du côté des élus et des autorités. Pas la moindre visite en période de désespoir. Mais à la veille des élections ou quand ils ont besoin des foules (...) gato coco, briyani, paroles douces. Même maintenant, alors que la presse se montre, toujours pas un mot de leur part, toujours pas un geste d’empathie. Presque comme si nous étions des êtres inférieurs, qui ne représentons que des bulletins de vote... Ekrir dan zournal ou gardé. Nous conseillons aux politiciens de se tenir à l’écart pour la prochaine campagne. Zot pou gagn kout savat ek tempo!»
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