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Silver Bank

Rs 7,7 milliards de dettes non remboursées ?

15 février 2024, 18:00

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Rs 7,7 milliards de dettes non remboursées ?

Le CEO suspendu de la Silver Bank, Vasil Revishvili (cravate bleue), lors d’une convocation des directeurs à la Banque de Maurice, le 16 février 2023.

La Banque de Maurice s’est enfin réveillée. Un réveil très tardif malgré les articles de «l’express» à son sujet. Elle a laissé empirer la situation à tel point qu’elle a été forcée de placer la Silver Bank sous tutelle, mardi.

Deux à la suite pour une même institution : Banyan Tree Bank (BTB) puis Silver Bank, mises sous tutelle (conservatorship). Pour comprendre toute l’histoire, revenons d’abord sur celle de BTB. Pour des raisons que vous comprendrez après, des institutions de l’Etat, la National Insurance Company (NIC) qui se relevait péniblement grâce à l’aide de plus de Rs 4 milliards reçues de l’État, la Mauritius Housing Company (MHC), et les municipalités de Curepipe et de Port-Louis y avaient placé environ un demi-milliard de roupies comme dépôt, mais ont vu leur argent maintenu à la BTB après la maturité des dépôts. L’express a raconté comment la municipalité de Curepipe qui manque pourtant de liquidités n’a pas procédé au retrait de ses Rs 91,6 millions à échéance, en février 2020. Répondant à une question d’Aadil Ameer Meea au Parlement le 24 novembre 2020, le ministre Anwar Husnoo a expliqué que c’était une erreur humaine et que le responsable avait été sanctionné. En fait, ce dernier ne sera que muté.

Qui a bénéficié de Banyan Tree ?

Mais pourquoi l’ex-Banyan Tree Bank s’était-elle retrouvée sous conservatorship ? Selon nos informations à l’époque, elle avait perdu presque un milliard de roupies dans des leverages, c’est-à-dire des prêts à risques, mais qui allaient rapporter gros s’ils n’avaient pas été perdus. Qui a eu l’argent ? Mystère. Lorsque BTB a été mise sous tutelle de Mushtaq Oosman en avril 2020, l’argent de toutes ces institutions publiques et celui des épargnants individuels sont donc demeurés bloqués jusqu’au 15 octobre 2021 lorsque la Banque de Maurice (BoM) a émis ce communiqué : «Members of the Public are hereby informed that Banyan Tree Bank Limited has been acquired and recapitalized by a new shareholder with effect from 15 October 2021...» Notez la précision du communiqué qui omet de mentionner le nom du repreneur !

On apprendra peu après que c’est un duo indo-britannique, les Gupta et Menon, avec 75 % et 25 % d’actions qui a fondé Silver Bank, et dont la moitié du capital a servi à rembourser des détenteurs de dépôts. Mais pas nos généreuses institutions. Certains déposants individuels ont eux aussi accepté de rééchelonner leurs placements en retour d’un taux d’intérêt «intéressant», nous dit-on. «Une bonne partie de ces prêts avaient été accordés sur le marché londonien contre des garanties de deuxième ou troisième catégorie», c’est-à-dire venant après d’autres créanciers. «Plus jamais ça !», nous promettait un membre du conseil d’administration de la nouvelle Silver Bank. Or, ce sera rebelote. (voir plus bas)

Le 13 février 2023, on apprenait que Silver Bank s’est retrouvée dans une situation très délicate après l’annonce par la société de courtage européenne Trafigura d’une fraude de 577 millions de dollars (Rs 26 milliards) dont celle-ci a été victime. Les accusés sont Prateek Gupta et sa société TMT Metals. C’est l’épouse de ce Prateek Gupta, Ginny, qui détient 75 % des actions de Silver Bank. L’express se demandait alors comment une seule personne, n’ayant de surcroît aucune expérience bancaire, a pu être autorisée à reprendre 75 % des actions de l’ex-Banian Tree Bank, devenue Silver Bank. Dans un communiqué du 13 février 2023, la BoM a assuré, elle, que Prateek Gupta n’avait rien à faire avec Silver Bank.

Le 16 février 2023, l’express a révélé que Rs 3 milliards du Covid Projects Development Fund ont été placées par le gouvernement chez Silver Bank, cela, en plus des Rs 500 millions des NIC, MHC, et municipalités de Curepipe et de Port-Louis. Interrogé à l’époque, un membre du gouvernement nous a fait savoir que si Silver Bank a été choisie pour garder l’argent public, c’est parce que le taux offert y était supérieur. La leçon des taux alléchants offerts par le père de la même Silver Bank, la BTB, n’a pas été apprise.

Mauvais clients

Le 8 février 2024, l’express a fait état d’une fraude de Rs 18 millions découverte par un auditeur consciencieux qui a refusé de se laisser acheter et d’être intimidé. C’est Yanish Sadasing. Le directeur géorgien Vasil Reichvilli et la Senior Manager of Operations Sheika Koodooruth sont suspendus. Dans le même article, nous avons parlé de Rs 8 milliards de dettes qui n’ont pas été remboursées par des «clients» de la Silver Bank. Le chiffre exact : Rs 7,7 milliards. D’autres détails : 39 de ces mauvais clients sont des étrangers et 16 sont des locaux. Pourquoi la Silver Bank a-t-elle accordé des prêts à des étrangers malgré la promesse contraire ? Sollicité, celui qui a traité ces prêts, y compris ceux aux clients étrangers, Rajiv Ramcharitar, a refusé de nous parler.

Rs 880 millions d’argent public en danger

La Silver Bank détient encore Rs 55 millions des dépôts de la municipalité de Curepipe. La municipalité de Port-Louis aurait, elle, pu retrouver son argent bloqué dans cette banque, de même que la MHC. La NIC y aurait toujours Rs 125 millions. Le Trésor y conserve encore Rs 700 millions à travers le Covid-19 Projects Development Fund. On ne sait pas quand les Rs 2,3 milliards des Rs 3 milliards à l’origine sont reparties vers le Trésor. Le prochain rapport de l’Audit nous le dira sans doute ? Le total de l’argent publicgardé au chaud à ce jour chez Silver Bank : Rs 880 millions.

Ces institutions publiques récupérerontelles leur argent ? Il faut savoir que la banque a été sous conservatorship et non administration. La différence, nous explique un expert-comptable, c’est que la conservatorship est imposée sous la Banking Act tandis que l’administration est instituée sous la Companies Act. Mais elles ont toutes deux presque les mêmes objectifs : remettre l’entreprise à flot et la rendre aux propriétaires. Mais si la remise à flot ne marche pas, ce sera le winding up, la liquidation pure et simple. La tentative de remise à flot consiste, pour une banque, à surtout permettre aux déposants, dont la NIC, les deux municipalités et le Covid Fund, de recouvrer leur argent. Comment ? En recouvrant l’argent notamment des emprunteurs qui, rappelons-le, détiennent Rs 7,7 milliards qu’ils ne remboursent pas.

Le conservateur de Grant Thornton, Arvind Gokhool, arrivera-t-il à récupérer ces sommes là où la Silver Bank n’a pas pu ou n’a pas voulu le faire ? Des négociations, comme celles sous une administration, pourraient avoir lieu avec les débiteurs et elles peuvent donner lieu à l’acceptation par ces derniers de rendre l’argent, mais pas tout. Le problème, c’est qu’il semble qu’aucune ou peu de garanties n’a été prise. Et si ces clientsmauvais payeurs sont des étrangers, il faudra beaucoup de temps pour récupérer l’argent, et cela coûtera d’énormes frais légaux et comptables qui seront encourus par Silver Bank. Même concernant les clients locaux, cela peut prendre des années.

C’est pour cela qu’une autre solution, plus simple, serait de trouver un repreneur qui accepte d’investir dans la Silver Bank en changeant de nom ou pas, tout comme ce fut le cas avec le prédécesseur, BTB… Cependant, le repreneur acceptera-t-il de prendre la licence d’une banque avec Rs 7,7 milliards de dettes ? «Oui, si le repreneur est assez fou ou riche ou généreux pour le faire», nous répond l’expert-comptable. «Mais normalement, pour qu’il accepte de reprendre toutes ces dettes, un repreneur donnera un prix dérisoire pour l’achat de Silver Bank. Ce sera pou dipin diber.»

À noter que BTB n’avait «que» Rs 1 milliard de bad debtsalors que Silver Bank en aurait Rs 7,7 milliards. Si le repreneur rachète la banque «pou dipin diber», reconnaît notre interlocuteur, il n’y aura pas d’argent pour rembourser les déposants. «Mais tout comme on avait fait avec BTB, les gros déposants – je veux parler des institutions publiques – accepteront probablement de rééchelonner leurs dépôts.» Souvenez-vous que la municipalité de Curepipe attend son argent depuis janvier 2019 ! (NdlR, de Rs 91 M, Silver Bank doit Rs 54 M). Selon deux experts-comptables, la Silver Bank a été mise sous tutelle pour manque de capitaux et non pour les «petites fraudes de Rs 18 M». S’il y a un repreneur, pourquoi passer Silver Bank sous conservatorship ? Deuxième mystère. L’autre grande question qui reste posée : pourquoi les autorités se sont-elles montrées aussi compréhensives envers Silver Bank alors que, pour beaucoup moins que cela, Bramer Bank avait été fermée sur-le-champ ?