Publicité

Questions à…

Sadeck Vawda: «Les ruptures de stock de médicaments ne sont pas la photographie d’un moment en temps réel»

23 juin 2025, 15:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Sadeck Vawda: «Les ruptures de stock de médicaments ne sont pas la photographie d’un moment en temps réel»

▪️Sadeck Vawda, directeur général de la société Unicorn (MSJ Ltd) © AURÉLIO PRUDENCE

Depuis plusieurs mois, de nombreux médicaments manquent à l’appel dans les pharmacies privées. Et lorsqu’ils refont surface sur les étagères d’officines, leur prix a été majoré et le public a du mal à s’y retrouver. Sadeck Vawda, directeur général de la société pharmaceutique Unicorn (MSJ Ltd), une référence dans le milieu pharmaceutique local, en donne les raisons et fait le point sur l’industrie pharmaceutique en général pour aider le public à définir les rôles de tout un chacun et à y voir plus clair.

🟦 Avant d’arriver sur les étagères des pharmacies à Maurice, quel est le parcours d’un médicament ?

Pour bien comprendre les tenants et les aboutissants de l’industrie, définissons tout d’abord ce qu’est un médicament. Il s’agit de toute substance, autre qu’un aliment, utilisée pour prévenir, diagnostiquer, traiter ou soulager les symptômes d’une maladie ou d’un état anormal. Il y a deux types de médicaments: ceux innovateurs et les génériques. Le médicament innovateur ou original est issu de la recherche. Le générique est le terme donné au médicament commercialisé après la chute du brevet de l’original. Le générique doit avoir la même composition, la même forme pharmaceutique, soit gélules, comprimés ou sirops comme l’était le médicament original, et la même bioéquivalence que celui-ci, c’est-à-dire la même biodisponibilité qui est la vitesse et quantité de principe actif libéré dans l’organisme. Les trois piliers pour un médicament sont sa qualité, ce qui signifie que le produit doit être fabriqué dans des conditions garantissant sa qualité et sa pureté, son efficacité, soit qu’il doit remplir son rôle de traiter et de prévenir la maladie pour laquelle il est destiné et sa sécurité ou innocuité, c’est-à-dire qu’il ne doit pas provoquer des effets indésirables graves ou inacceptables.

Le parcours du médicament original de sa découverte jusqu’à sa mise sur le marché prend du temps. Il y a la recherche d’abord et le développement du prototype, les essais précliniques sur les animaux, les essais cliniques sur l’humain, en trois phases, l’autorisation de mise sur le marché, la commercialisation et la surveillance post-commercialisation. C’est un processus longet coûteux. Entre la découverte d’un médicament et sa mise sur le marché, il peut s’écouler dix à 12 ans pour un taux de succès de 5 %. Un brevet est déposé pour une durée de 20 ans à partir de la découverte. Ce qui fait que le laboratoire a en moyenne huit à dix ans pour récupérer son investissement avant que les génériques n’arrivent sur le marché.

🟦 En tant que grossiste, votre rôle se limite-t-il à importer et vendre ?

Notre rôle est crucial dans la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique.Nous devons suivre l’évolution des médicaments innovants et nous approvisionner auprès des fabricants, assurer l’importation, leur bon stockage et leur distribution en gros selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), gérer les stocks et les commandes et la distribution aux pharmacies, faire le suivi des lots. Nous devons aussi respecter des normes de qualité et de sécurité. Nous devons assurer la pharmacovigilance, soit leur surveillance, garantir leur qualité à travers l’obtention de certifications ISO, par exemple. Tout cela demande des investissements dans les systèmes de qualité pour garantir leur qualité, leur efficacité et leur sécurité. Sans compter que nous devons faire enregistrer les nouveaux médicaments et leur renouvellement auprès du Pharmacy Board et ces services sont payants annuellement.

🟦 Combien coûte l’enregistrement d’un nouveau médicament ?

Cela peut aller jusqu’à Rs 7 000 par médicament. Nous devons aussi débourser annuellement pour le renouvellement Rs 2 000 par produit, même lorsqu’il s’agit d’une même gamme de médicament mais au dosage différent. Le grossiste doit aussi faire de la formation médicale continue et faire des campagnes de sensibilisations des maladies.

Toutes ces raisons expliquent-elles la cherté des médicaments en pharmacie et leur augmentation régulière ?

Il ne faut pas croire que les pharmaciens augmentent les prix au gré de leur bon vouloir. Le prix des médicaments est contrôlé à Maurice par le ministère du Commerce avec une marge en moyenne de 9 à 10 % pour les grossistes/importateurs – elle était de 13 % avant l’introduction du regressive mark up en 2023, et le mark-up pour les détaillants est de 17-18 % alors qu’il était de 21,6 % avant le regressive mark up en 2023. Dans la majorité des cas, le prix de base des médicaments en devises étrangères est resté le même.

L’augmentation a été causée par deux facteurs principaux: la dépréciation de la roupie vis-à-vis des principales devises, l’euro et le dollar américain. Cette dépréciation a été en moyenne de 20 % depuis 2020. Ensuite, il y a eu l’augmentation du prix du fret depuis la pandémie du Covid-19 qui a pratiquement doublé. Le regressive mark up n’a pas aidé dû à la forte dépréciation de la roupie vis-à-vis des principales devises.

🟦 Il ne se passe pas un mois sans qu’il n’y ait une rupture de stock dans les médicaments de base comme essentiels. En début d’année, on parlait même d’une centaine de médicaments en rupture de stock. À quoi est-ce dû?

Ce qui a été rapporté dans la presse concernant les ruptures de stock d’une centaine de médicaments est une liste cumulative pendant les 12 derniers mois et non la photographie d’un moment en temps réel. Il y a plusieurs raisons à ces ruptures. Depuis la pandémie du Covid-19, il y a une pénurie de matières premières et des problèmes de production. Il ne faut pas oublier que 40 % de ces matières premières ou principes actifs venaient de Chine, là d’où est parti le Covid-19. Ce phénomène est mondial. Ensuite, certains laboratoires ont arrêté de fabriquer des vieux médicaments ou les ont retirés du marché. Il y a aussi eu du panic buying durant la pandémie. Sans compter la pénurie de devises sur le marché qui limite l’importation.

Par rapport aux psychotropes, le gouvernement a imposé un quota d’importation. Il ne faut pas croire que les psychotropes sont uniquement consommés par les usagers de drogue. Par exemple, la Pregabaline, qui est classifiée comme un psychotrope, est utilisée par les diabétiques pour traiter les douleurs neuropathiques qu’ils éprouvent souvent dans les pieds. Or, vous pouvez être sûr que depuis l’imposition du quota, chaque année, vers septembre-octobre, il y a une rupture de ce médicament sur le marché. Ce qui pénalise les diabétiques. Nous devons composer aussi avec les délais dans l’enregistrement des nouveaux médicaments, dans leur renouvellement et fixation de prix. Nous avons aussi été pénalisés par la fermeture de la Mer Rouge et les retards étaient dus à des transits plus longs. La congestion portuaire n’a pas arrangé les choses non plus.

🟦 L’OMS exerce-t-elle un certain contrôle sur les médicaments ?

L’OMS définit le cadre juridique, le système réglementaire et la pharmacovigilance d’un pays en termes de niveau de maturité (ML). C’est un cadre d’évaluation, qui permet de déterminer la capacité d’un pays à assurer la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments. Le niveau de maturité 4 signifie un pays ayant un système réglementaire fonctionnant à un niveau avancé de performance et d’amélioration continue. Le niveau de maturité 3 veut dire un pays au système réglementaire stable, performant et intégré. Celui de niveau de maturité 2 est un pays dont le système réglementaire national est en évolution mais qui ne remplit que partiellement les fonctions réglementaires essentielles. Le pays ayant un niveau de maturité 1 est celui qui doit faire une marge de progression importante pour s’assurer d’un système réglementaire robuste. Parmi les pays ayant un ML 4, il y a l’Europe, les États-Unis, le Japon, le Canada, l’Australie, la Corée du Sud, Singapour et l’Arabie saoudite. Parmi ceux ayant un ML3,il y a l’Indonésie, l’Afrique du Sud, l’Egypte, la Chine, la Thaïlande, le Vietnam et le Rwanda. Maurice est actuellement au niveau ML 1, donc la situation exige un upgrading majeur.

Cette initiative d’évaluation comparative de maturité de l’OMS est essentielle pour garantir que les médicaments, les vaccins et les dispositifs médicaux répondent aux normes internationales. Son objectif est de préserver la santé publique et d’améliorer la confiance dans les produits de santé, tout en déjouant la possibilité d’avoir des médicaments contrefaits, falsifiés et de qualité inférieure, qui constituent une grave menace pour la santé mondiale. Ces faux médicaments peuvent entraîner des échecs de traitement, des effets toxiques, une résistance aux médicaments, un fardeau économique, une érosion de la confiance du public et même la mort. La lutte contre ce problème nécessite une approche à plusieurs volets, soit un système réglementaire robuste, une sensibilisation du public et une collaboration internationale.

🟦 Disposez-vous de statistiques par rapport aux médicaments falsifiés ou de qualité inférieure dans le monde et à Maurice ?

D’après l’OMS, il y a 10 % de médicaments falsifiés ou de qualité inférieure dans le monde, moins de 1 % sur les marchés ayant un cadre uridique solide comme l’Europe, les ÉtatsUnis, le Japon, le Canada, l’Australie ou encore la Nouvelle Zélande. Cependant, il y a 30 % de médicaments falsifiés et de qualité inférieure en Afrique subsaharienne et 50 % dans les achats de médicaments via l’internet.

WhatsApp Image 2025-06-23 at 12.42.24 PM.jpeg

🟦 Ils sont plusieurs à penser que la loi concernant le secteur pharmaceutique est dépassée. Votre avis sur le sujet ?

Le Pharmacy Act réglementant la pratique de la pharmacie à Maurice date de 1983 et est en déphasage avec les pratiques courantes de la pharmacie, telles que la pharmacie clinique, la classification des médicaments (scheduling), la pharmacovigilance, les normes de stockage, d’entreposage et de distribution des médicaments, la digitalisation, etc. Il serait primordial de promulguer une nouvelle loi qui cadrerait mieux avec les pratiques courantes de la pharmacie.

Tout comme il serait important de créer une agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui assurera, entre autres, l’enregistrement des produits, la qualité, la pharmacovigilance, la sécurité des patients, l’accès des patients à l’innovation thérapeutique et le partage d’information avec les professionnels de santé, les patients et le grand public pour remplacer le Pharmacy Board.

🟦 Justement en parlant du «Pharmacy Board», l’ancien «board» est resté inactif pendant plus d’une année, donc pas d’enregistrement de nouveaux médicaments ?

Oui, effectivement c’est le cas, ce qui a bloqué l’enregistrement des nouveaux médicaments et le permis d’ouverture de nouvelles pharmacies. Il ne faut pas faire l’amalgame entre le Pharmacy Board et le Pharmacy Council, régi par la Pharmacy Council Act de 2015, qui réglemente la profession du pharmacien avec un code de déontologie, l’enregistrement des pharmaciens et la formation continue. Le Pharmacy Council a continué d’opérer. Cette loi de 2015 établit le Conseil de l’ordre des pharmaciens en tant qu’organisme de réglementation. Par rapport au Pharmacy Board, il y a eu un nouveau board constitué récemment et sa composition a été publiée dans la Gazette du gouvernement. Souhaitons qu’il reprenne du service rapidement.

🟦 Il est beaucoup question, ces jours-ci, de l’importation parallèle des médicaments pour faire baisser les prix des produits pharmaceutiques. Qu’en pensez-vous ?

On parle d’importation parallèle lorsque des produits originaux, déjà mis sur le marché dans un pays par le fabricant ou son importateur/distributeur agréé, sont achetés/ importés de l’étranger par un importateur indépendant auprès d’un grossiste et ce, sans l’autorisation du fabricant. L’importation de médicaments d’un pays de l’Union européenne vers un autre est un exemple courant d’importation parallèle.Pour cela, il faut un cadre réglementaire robuste, une zone climatique similaire pour assurer l’efficacité du médicament, sa sécurité et sa qualité. Dans des pays où le cadre juridique n’est pas robuste, soit une maturité de moins de ML3, l’importation parallèle de médicaments peut représenter des dangers et des risques significatifs. On peut tomber sur des médicaments falsifiés ou de qualité inférieure. Le produit peut poser problème s’il a été importé d’une zone climatique autre que la nôtre – Maurice est classifié zone IV A – et n’est pas conditionné pour les pays tropicaux. Il peut aussi y avoir un problème de qualité en termes de stockage/distribution comme défini par le fabricant, soit un entrepôt non audité par lui. Il y a aussi un risque de dumping pour les produits à courte péremption, sans compter que la traçabilité n’est pas assurée en cas d’un retrait d’un produit dû à un problème de qualité et d’effets secondaires graves avec des répercussions sur la sécurité des patients. Cela peut poser un risque pour la pharmacovigilance et le support aprèsvente qui ne sera pas assuré.

L’importation parallèle peut aussi faire que les grands laboratoires quittent le marché mauricien, ce qui causera la non-disponibilité de médicaments innovants, de médicaments critiques et des orphan drugs pour les maladies rares et de ce fait, l’accès aux soins sera compromis. L’innovation risque d’être tuée car les laboratoires ne seront plus intéressés à enregistrer les nouveaux médicaments. L’indemnité des patients pourrait être mise en cause en cas d’effets secondaires graves car le fabricant ne sera plus responsable dû au circuit d’approvisionnement non autorisé.

La formation continue et les campagnes de sensibilisation du public seront affectées. L’investissement du distributeur agrée dans les systèmes de qualité, dans l’introduction des nouveaux produits et leur sensibilisation auprès du corps médical seront impactés. L’importateur parallèle se concentrera uniquement sur les quelques best-sellers et alors que se passera-t-il pour les médicaments critiques et pour les maladies rares ? Il y a aussi le risque de rupture de stock dû à une fragmentation des besoins. Pour terminer, l’étiquetage pourrait être non conforme avec les langues parlées à Maurice, soit l’anglais ou le français.

🟦 Donc, d’après vous, l’importation parallèle n’est pas forcément la panacée pour les prix et les ruptures de stock ?

L’importation parallèle n’est pas nécessairement le remède pour les prix et les ruptures de stock. Les ruptures sont dues à plusieurs facteurs comme je l’ai précédemment mentionné et qui affecteront aussi l’importation parallèle. L’importation parallèle d’un grossiste et non du fabricant peut causer dans bien des cas des ruptures de stock majeures.

Pour ce qui est du prix, l’importation parallèle peut faire baisser les prix dans certains cas mais pas dans d’autres. Les études ont démontré qu’à long terme, il n’y a pas de réduction majeure de prix avec l’importation parallèle, surtout dans des pays à petite économie comme Maurice. Le risque de dumping avec des produits à bas prix et à courte péremption sera bien présent. L’aspect prix ne doit pas être considéré en isolation mais avec des facteurs de qualité, d’efficacité et de sécurité des patients.

🟦 Quelles sont les conditions requises pour que l’importation parallèle soit autorisée dans un pays ?

J’en citerai dix :

⚫ L’enregistrement auprès des autorités des produits parallèles selon les normes et critères établis.

⚫ Un système réglementaire robuste au moins de niveau ML3 pour s’assurer que la qualité, l’efficacité et la sécurité sont établies et un rempart contre les médicaments falsifiés ou de qualité inférieure.

⚫ Un cadre juridique approprié.

⚫ La traçabilité doit être assurée.

⚫ L’indemnité pour la sécurité des patients.

⚫ Un système de pharmacovigilance robuste.

⚫ L’audit des entrepôts selon les normes de l’OMS- certification.

⚫ L’audit des grossistes à l’étranger pour s’assurer que les normes soient respectées et qu’ils ont la certification pour exporter de la part du fabricant.

⚫ Un laboratoire national de contrôle de qualité.

⚫ Les zones climatiques doivent être respectées pour assurer la stabilité du produit.

🟦 Quelle est la solution pour faire baisser les prixdes médicaments ?

Il est bon de mentionner que 75 % des patients vont à l’hôpital public pour obtenir leurs médicaments gratuitement, un élément important du Welfare State. Il y a une perception auprès du public et des professionnels de santé que les médicaments disponibles dans les hôpitaux publics sont de moindre qualité. Pour remédier à cela, deux stratégies s’imposent : un renforcement des critères d’achats par le ministère de la Santé et une sensibilisation auprès du public. Les médicaments essentiels sont disponibles dans les hôpitaux, excepté les dernières nouveautés. Des médicaments nouveaux dans le traitement du diabète, des anticoagulants et des médicaments biologiques ont été rajoutés récemment à la liste. Il faudrait donc :

Que l’État donne des vouchers pour l’achat dans le privé de quelques médicaments derniercri, qui sont importants et indisponibles dans les hôpitaux publics, par exemple dans le traitement du cancer, les maladies rares, etc. (Programme du nouveau gouvernement).

Que soit introduit un National health insurance scheme pour faciliter l’accès aux soins dans le privé. Il n’y a que 25 % des patients qui se tournent vers le privé.

Pour la majorité des produits sur le marché du privé (80 %), il existe des génériques. Une sensibilisation auprès du public et des professionnels de santé s’impose pour des génériques qui sont bio-équivalents.

🟦 Quels seront les médicaments du futur ?

Les medicaments du future seront capables de s’adapter dans le corps du patient. Ils sauront réagir à l’environnement biologique pour délivrer les molécules actives où il faut, quand il faut, pendant la durée adéquate et en dose adaptée. Ils seront capables de soigner le patient d’une façon personnalisée et ciblée. C’est la médecine de précision.

Bio Express

Sadeck Vawda est un pharmacien diplômé de la prestigieuse université de Nottingham en Angleterre. Il est membre de la Royal Pharmaceutical Society of Great Britain. Il compte plus de 30 ans d’expérience dans le secteur pharmaceutique : industrie, grossiste/ répartiteur, réglementaire, retail. Il est souvent sollicité pour intervenir lors de conférences pharmaceutiques et médicales. Il est le directeur général de Unicorn, société spécialisée dans l’importation et la distribution des médicaments et des produits de santé.

Publicité