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Science et conscience

2 août 2025, 06:30

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Et si Maurice devenait un pôle de recherche médicale ?

Il arrive que certaines rencontres résonnent comme un tournant. Celle, cette semaine à Bel-Ombre, avec la professeure Melanie Graham de l’université du Minnesota, en est une. Car derrière ses mots précis, son calme de chercheuse et sa passion pour la xénotransplantation – ces greffes d’îlots pancréatiques capables de rendre leur liberté aux diabétiques – se cache une urgence : celle de ne plus rester à la traîne. Maurice, terre d’excellence potentielle, a une fenêtre unique pour devenir un hub de recherche médicale. Encore faut-il oser.

Sur le papier, tous les feux sont au vert : une tradition juridique stable, un secteur biomédical reconnu, un vivier de chercheurs mauriciens formés aux États-Unis, à l’image du neurologue Shivraj Sohur (Harvard), une position stratégique dans l’océan Indien et un réseau d’infrastructures naissantes. Même nos singes, devenus par accident un produit d’exportation, pourraient se transformer en atout scientifique plutôt qu’en marchandise de laboratoire.

Mais voilà, ce rêve se heurte à trois murs : le dogmatisme, l’ignorance et la lâcheté politique.

Depuis la pandémie de Covid-19, Maurice est devenu le premier fournisseur mondial de macaques à usage biomédical. Derrière cette réussite commerciale, un malaise profond s’est installé. Entre les cris des singes capturés à Crève-Cœur, les divisions dans les villages, les accusations d’«atrocités contre Hanuman» dans les temples de Ganga Talao et les revirements politiques opportunistes, le débat s’est sclérosé. Il oppose de manière caricaturale les défenseurs de la vie animale aux promoteurs du progrès scientifique.

Et pendant ce temps-là, la science avance ailleurs.

La professeure Graham insiste : la recherche sur les xéno-îlots pourrait permettre à des millions de diabétiques de vivre sans insuline. Le Dr Sohur, lui-même fils du sol, le martèle depuis des années : il est possible d’être hindou et de croire en la médecine. C’est même une responsabilité morale, dit-il, de chercher des remèdes à la maladie de Parkinson, à celle d’Alzheimer ou au diabète, quitte à assumer l’usage terminal d’animaux dans un cadre éthique et contrôlé. «Dharma, ce n’est pas l’inaction ; c’est l’action juste, au service du bien commun», écrit-il. Mais qui, au Parlement, l’a lu ?

Car c’est bien là que se joue la bataille : dans la capacité de nos décideurs à dépasser les tabous religieux mal interprétés, les slogans électoralistes et les «Hanuman politics» du samedi matin. Oui, les singes sont sacrés pour certains. Mais si l’on considère qu’ils portent en eux un fragment du divin, ne faut-il pas honorer ce potentiel en en faisant des vecteurs de guérison, plutôt que des tonnes de viande exportées à 20 000 dollars la pièce ?

Le paradoxe est cruel. Nous exportons des macaques en masse – souvent au mépris de la transparence ou du bien-être animal – mais nous nous interdisons toute ambition scientifique locale sous prétexte de respect religieux. Résultat : ce sont les laboratoires américains, allemands ou chinois qui développent les thérapies de demain, pendant que nos propres patients meurent d’un diabète mal contrôlé.

Et pourtant, l’espoir est là. La fondation 5-2035 du Dr Sohur propose de réduire le taux de diabète de 5 % d’ici 2035. Une ambition réaliste, mais qui suppose un engagement fort de l’État dans la prévention, la recherche et l’innovation médicale. À commencer par une réforme urgente de la loi mauricienne sur le bien-être animal (MAWAA), qui interdit aujourd’hui toute expérimentation terminale, même encadrée, sur des primates. Une loi adoptée dans l’émotion, mais devenue un obstacle.

Il faut du courage pour dire que science et spiritualité ne s’excluent pas. Il faut de la lucidité pour comprendre que la protection des animaux passe aussi par leur usage noble. Il faut surtout une vision : faire de Maurice non pas la ferme des macaques d’Asie, mais une terre d’intelligence, de recherche et de médecine régénérative.

Créer un Centre national de recherche translationnelle, appuyé par des partenariats avec Harvard, l’université du Minnesota ou la Mayo Clinic, n’est plus une utopie. C’est une nécessité. Et tant qu’à rêver, pourquoi ne pas y adosser un incubateur en intelligence artificielle médicale, un pôle de bioéthique appliquée et un plan de carrière pour les jeunes chercheurs mauriciens ? Mieux vaut être plateforme de savoir que plateforme d’exportation animale.

Le gouvernement écoute-t-il ? Qui pourra défendre la création de ce hub médical ?

Ceux qui invoquent Hanuman pour bloquer la science se trompent de combat. Le dieu-singe, dans le Ramayana, n’a jamais fui l’effort, ni la quête du savoir. Il a sauté les océans, soulevé des montagnes, porté la guérison. À nous de l’imiter. Pas en interdisant la recherche, mais en l’élevant.

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