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Sentir plutôt que réfléchir
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Sentir plutôt que réfléchir
La réflexion a démarré avec les chiffres de sondages plutôt désolants de Biden, alors que l’économie américaine carbure comme jamais auparavant et comme même jamais espéré par son équipe. Le chômage au plus bas, les salaires réels qui progressent, l’inflation réduite à 3,14 %, la croissance à 4,9 % au 3e trimestre de 2023 et pourtant les citoyens ne «sentent» pas que ça va mieux. Ainsi son taux d’approbation de 39 %...
Parlons maintenant de l’une des cartes maîtresses de ce gouvernement. Elle se la joue souvent, par ailleurs, car c’est une carte qui paie.
Nous parlons bien évidemment de la pension de vieillesse qui a augmenté de Rs 5 000 en 2014 à Rs 11 000 en 2023 et qui va passer, Consolidated Fund permettant, à Rs 13 500 (sinon plus selon certaines rumeurs…), sans doute en 2024. La progression apparente de cette pension universelle est frappante et importante, puisqu’elle a, à valeur faciale, plus que doublé en neuf ans et pourrait presque tripler l’an prochain. Les pensionnés du pays, au nombre de 257 320, se sentent, en conséquence, choyés comme jamais auparavant, sont pouponnés régulièrement lors de repas organisés et télévisés, par exemple, et sont bien conscients qu’ils sont, collectivement, une force politique qui compte.
Le MSM l’aura compris avant les autres partis et il n’est sans doute pas une exagération de soupçonner que les élections de 2014 et de 2019 leur ont été favorables, entre autres parce que cet important réservoir de votes (environ 24 % du total des électeurs inscrits), ayant été délibérément soigné, s’est largement mobilisé pour ‘remercier’ ceux qui les avaient bien considérés et qui promettaient de le faire à nouveau. Les retraités-pensionnés sont d’autant plus importants comme électorat que leur taux de participation au vote, santé permettant, est généralement beaucoup plus élevé que celui des plus jeunes… Qui sont pourtant ceux qui vont devoir travailler pour payer les pensions que l’on augmente !
Le pensionné type, loin de vivre dans une bulle, sent, sans aucun doute, l’érosion de son pouvoir d’achat en allant faire son ‘shopping’ ou en envoyant quelqu’un à la boutique, même s’il a rarement réfléchi que ce qui cause la hausse des prix c’est largement la dévaluation de la roupie, dont les autorités qui ‘donnent’ la pension sont largement responsables ! Mais finalement, même si l’on tient compte que le dollar vaut 38 % plus cher aujourd’hui qu’au début de janvier 2015, la pension de vieillesse vaut aujourd’hui 60 % de plus, en valeur réelle, qu’en 2014. Ce n’est pas négligeable ! C’est même une solide réussite de l’action gouvernementale de ces dernières années.
On peut, par contre, faire le procès de cette avancée en signalant qu’il y a des conséquences dont on ne parle pas ou peu. En effet, puisque la population vieillit, sa pension, même si la cadence actuelle d’augmentation est freinée, va rapidement devenir insupportable dans le sens que, soit, elle privera le trésor public d’utilisations alternatives primordiales, soit, elle exigera des ponctions fiscales plus importantes sur ceux qui travaillent ou qui consomment. Le pensionné type, lui, sent qu’il est mieux et ne réfléchit pas au prix que quelqu’un d’autre devra payer…
Le gouvernement n’a jamais présenté un exercice détaillé et compréhensif de ce que ses décisions par rapport à la pension et à la CSG vont impliquer pour notre futur. Mais, pour rappel, le Systematic Country Diagnostic de la Banque mondiale, publié en 2022 (*), pestait contre la pension universelle qui reste payable à 60 ans (alors que notre espérance de vie se prolonge et que, devant ce phénomène, des pays autrement plus solides que le nôtre repousse, comme la France, l’âge de la retraite !) et se lamentait qu’il n’y avait aucun effort de ‘targeting’ en faveur des pensionnés moins fortunés…
De plus , cette analyse de la Banque mondiale ne rassurait personne en soulignant une trajectoire de croissance de plus en plus dominée par la consommation (avec ses conséquences directes sur la balance commerciale et, plus grave encore, sur la balance des comptes courants) ; un investissement privé plutôt frileux avec environ 50 % canalisés dans l’immobilier ; une productivité du capital investi stagnante ; une perte de compétitivité systématique à l’exportation (qui baisse, en pourcentage du PIB, de 57 % à… 40 % entre 2009 et 2019) ; des frictions sur le marché du travail menant à des inadéquations grandissantes entre les besoins et l’offre du pays ; la faillite de l’éducation nationale qui condamne trop de femmes et de jeunes à l’exclusion ou à des tâches à faible valeur ajoutée ; des déficits fiscaux répétés menant à peu ou pas de croissance ; ainsi qu’un ratio endettement /PIB qui dévisse…
La Banque mondiale prévenait alors que si on continuait comme avant la pandémie, tant pour les revenus que pour les dépenses (en % du PIB) et que l’on y rajoutait la CSG et notre population vieillissante, l’endettement du pays allait croître pour atteindre 120 % en 2035…
Et d’ajouter que pour baisser ce ratio endettement/ PIB à seulement 90 % en 2035, il faudrait (a) réduire les dépenses par 1,6 % face au ‘baseline’ de 2014-19 et ce jusqu’en 2025 (b) opérer la CSG de manière neutre (c.-à-d. ne payer que ce qui est encaissé !! Or, il n’y a actuellement rien en caisse…), (c) plafonner la pension universelle, tout en (d) augmentant les revenus par 1,4 % jusqu’en 2035, face au même ‘baseline’.
Ce qui constitue un sacré programme qui n’intéressera, lors des prochaines élections, ni les pensionnés, ni les politiciens du jour, puisque les chances sont… qu’ils ne seront plus là en 2035 !
Le Dr Ramgoolam du Parti travailliste ne se trompe pas quant à l’importance de cette question de pension. Répondant au PM qui rappelle, habilement, que l’opposition a, au Privy Council, traité sa généreuse augmentation des pensions de ‘bribe électoral’ et qu’il y avait donc un risque que l’opposition, arrivée au pouvoir, les réduise ; Ramgoolam dit que ce ne sera pas le cas «zamé ki apel zamé». Mieux, il préconise même que la compensation annuelle de la pension sera restaurée !
Voilà le pays tout entier acquis à la seule cause des pensionnés ! Pour qui voteront-ils ? Ceux qui donnent plus ou ceux qui promettent plus ? Ou, du point de vue de l’opposition, suffisamment parmi eux baseront-ils leur décision sur d’autres critères que leur seul avantage pécuniaire ?
Cette spirale vers l’enfer pourrait ne pas s’arrêter de sitôt car, si les pensionnés de 60 ans + représentent 24 % de l’électorat aujourd’hui, ils pourraient représenter environ 33 % de l’électorat de 2041 et 41 % de l’électorat de 2061 ! Ça va donc empirer si les politiciens ne retrouvent pas leur courage, leur sens de responsabilité et… leur colonne vertébrale et qu’ils restent prisonniers de leur démagogie pour gagner les élections ! Nous voilà à nouveau (**) prévenus !
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Vendredi 19 heures. Les véhicules sont bloqués de Carreau Laliane à Cascavelle, en direction de Rivière-Noire. Et puis s’amènent trois voitures noires aux vitres teintées, précédées de trois motards qui brûlent les lignes blanches et bloquent aussi le trafic qui monte. Je me disais bien qu’il y avait une raison aux motards postés à tous les ronds-points en amont ! Les passagers de ces berlines ne vont sauver la vie de personne, ne vont pas soulager la détresse de quiconque, ne doivent sûrement pas aller, immédiatement, concrétiser une idée de génie. Vu l’heure il y a sûrement un «manzé-boire» à Flic-en-Flac. Ils ne sentent pas qu’ils ont pris les automobilistes immobilisés pendant vingt minutes de travers ? Ils réfléchissent ?
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En cette veille de Noël, peu parmi nous sentent le monde au-delà du 13e mois, des autres bonis, des festivités, des cadeaux, de l’arbre de Noël, du bord de mer… Et pourtant Alexei Navalny, irréductible, se bat toujours, en prison, pour la liberté des autres ; Jimmy Lai, à Hong Kong, risque la prison à vie pour avoir cru à la formule «un pays, deux systèmes», alors que le seul système qui compte est celui du parti communiste ; Narges Mohammadi va pourrir en prison pendant 10 ans, prix Nobel ou pas, pour avoir tenté de faire avancer la cause des femmes, face aux intérêts machistes de la théocratie iranienne. On peut adjoindre à cette liste KaraMurza en Russie, Aung San Suu Kyi au Myanmar, Castillo Perez à Cuba, Losik en Biélorussie, Bênitez au Venezuela, l’évêque Alvarez au Nicaragua, le moine Gyatso au Tibet chinois et tant d’autres…
Et pourtant aussi, oubliant pour peu les militaires et ceux qui portent des armes ; on tue encore sans relâche, des innocents à Gaza, au Myanmar, au Soudan, en Ukraine, au Congo – dans la région des grands lacs, au Sahel, à Haïti, en Somali, au Mexique – aux bons soins des cartels de la drogue, en Afghanistan ou au Nigeria. Ajoutons-y, pour bonne mesure, les 368 000 morts cumulatifs, largement innocents, causés par Boko Haram, dont les 4 967 morts de 2023.
Souhait : que l’on réfléchisse et que l’on sente notre monde au-delà de son seul matérialisme corrosif et débilitant. Faute de quoi ILS, les hommes ‘forts’, vont gagner et prendre plaisir à s’imposer et à nous assujettir !
(*) Mauritius – Systematic Country Diagnostic (SCD) Update
(**) L'express l CSG, promesses électorales et équilibre fiscal . 18.11.2020
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