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Financial Crimes Commission: Signaux brouillés
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Financial Crimes Commission: Signaux brouillés
Calquée sur le modèle du National Economic Crime Centre du Royaume-Uni, la Financial Crimes Commission aura des attributions élargies pour lutter efficacement contre les crimes en col blanc et les transactions suspectes transitant par le centre financier international de Maurice, ainsi que les délits de drogue. Cette super-agence reprendra les fonctions et les pouvoirs de l’Independent Commission against Corruption, l’Asset Recovery Investigation Division, qui tombe présentement sous l’ombrelle de la Financial Intelligence Unit, et l’Integrity Reporting Services Agency.
Sur le fond, la création de la Financial Crimes Commission, qui a été recommandée par la Commission Lam Shang Leen sur la drogue, a du sens car elle s’inscrit dans le dans le droit fil de la continuité de nos engagements pris auprès du Groupe d’action financière (GAFI) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour renforcer notre mécanisme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ayant mis en œuvre le plan d’action du GAFI à la faveur d’une vaste réforme de son cadre réglementaire et juridique avec des amendements à pas moins de 46 lois, Maurice doit aujourd’hui démontrer que ces institutions chargées de détecter et d’enquêter sur la criminalité financière sont efficaces et efficientes. Si on arrive à fournir une telle garantie aux gendarmes financiers, cela va nul doute renforcer notre image en tant que juridiction de substance. Dans ce contexte, si on part du postulat que la Financial Crimes Commission parvient à envoyer les bons signaux, elle deviendra alors un atout dans le sens qu’elle redonnera confiance aux investisseurs désireux d’utiliser Maurice comme une plateforme d’investissement. L’exemple de la Guernsey Financial Crimes Commission est encourageant à plus d’un titre. Créée en 1987, cette commission a contribué efficacement à la lutte contre les crimes financiers. Si bien que le centre financier de Guernesey est, depuis 2015, reconnu par Moneyval et le Fonds monétaire international comme ayant un taux de conformité en ligne avec les normes internationales en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Donc, dans l’esprit, la Financial Crimes Commission coche les bonnes cases. Mais, c’est dans la forme que le bât blesse. Ainsi, toute la polémique autour de la création de cette commission découle du fait qu’il y a une certaine perception qu’elle sera toute-puissante et qu’elle sera par-dessus tout instrumentalisée à des fins politiciennes. S’il est un fait que pour lutter efficacement contre la criminalité financière, il est souhaitable de regrouper les services de maintien de l’ordre et de créer une osmose entre les autorités existantes, il n’empêche le Financial Crimes Commission Bill, texte de loi devant donner naissance à cette super-agence, contient des dispositions pouvant donner lieu à certaines dérives.
La principale crainte porte sur le fait que le directeur général de la Financial Crimes Commission va empiéter sur les plates-bandes du directeur des poursuites publiques (DPP). Aussitôt son adoption, le Financial Crimes Commission Act lui conférera le pouvoir non seulement de détecter et d’enquêter, mais aussi de loger des accusations dans des affaires relevant de la criminalité financière, et ce, sans ayant à avoir l’assentiment du DPP. La porte de sortie (si c’en est une), c’est qu’en vertu de l’article 72(3)(b) et (c) de la Constitution, le DPP garde son privilège de pouvoir reprendre, poursuivre ou abandonner les procédures pénales enclenchées par le directeur général de la Financial Crimes Commission. Valeur du jour, le DPP a le pouvoir exclusif sur l’instruction de procédures pénales comme cela lui est conféré par l’article 72 de la Constitution. Clairement, il y aura une forme de toilettage de la Constitution. Que le DPP n’ait pas préséance sur la décision de loger des accusations au nom de la société et que ce privilège revienne au directeur général de la Financial Crimes Commission, qui appartient à l’exécutif et qui, dit-on, pourrait bien provenir du sérail du pouvoir, soulèvent non seulement des problématiques d’ordre constitutionnel, mais aussi cela est susceptible de représenter un danger au système de pouvoirs et contrepouvoirs (checks and balances). La démocratie est fragile ; elle est pleinement opérante quand le principe de la séparation des pouvoirs est respecté. C’est-à-dire quand l’exécutif, le judiciaire et le législatif opèrent en toute indépendance et non quand il y a un chevauchement des pouvoirs et prérogatives. Certes, la Financial Crimes Commission devra faire ses preuves. Et son efficacité sera mesurée à l’aune des dossiers qui aboutiront. Mais, gardons-nous d’envoyer des signaux brouillés à la communauté internationale.
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