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Éclairage

Signaux brouillés du bâtiment du Trésor

9 juillet 2025, 12:00

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Signaux brouillés du bâtiment du Trésor

Présenté comme le budget de la vérité après des années de dérives populistes et d’illusions monétaires, ce premier exercice fait malheureusement face à la contestation grandissante des syndicats et de certaines forces vives. Le relèvement de l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans suscite toujours la colère populaire, même dans sa forme révisée, avec les critères de pénibilité pris en compte et une pension de Rs 10 000 à verser à quelque 37 562 Mauriciens atteignant 60 ans dans les cinq prochaines années.

Mais, dans le même souffle, la décision de reconsidérer la Fair Share Contribution pour les hauts revenus et les entreprises fortement profitables laisse perplexe. Elle affaiblit la cohérence du message budgétaire et alimente les critiques de l’opposition et des mouvements sociaux. À un moment où la rigueur budgétaire est exigée de la population, cette volte-face semble pour le moins indéfendable, politiquement risquée et difficile à expliquer à une majorité électorale qui, en novembre 2024, avait soutenu le régime à 62 % sur la base de promesses désormais mises à mal.

La déception est palpable. Le pouvoir d’achat n’a pas progressé de façon significative, les prix continuent d’augmenter ; et le panier du consommateur reste désespérément à moitié vide. L’inflation pourrait même repartir à la hausse en raison des droits de douane et d’accises introduits sur certains produits dans le dernier budget, même si ceux-ci n’affectent pas directement les biens de consommation courante. Les dernières statistiques de l’indice des prix à la consommation pointent dans cette direction.

Dans ce contexte, certaines mesures initialement saluées pour leur logique économique – comme la suppression des avantages fiscaux liés aux Smart Cities, projets initiés en 2015 qui ont peu contribué à la croissance ou à l’emploi, mais ont encouragé la spéculation foncière – sont désormais remises en question. Doit-on comprendre qu’en coulisses, des pressions émanant des grands groupes économiques aient pu influencer des décisions-clés ?

Alors, comment comprendre, en attendant le Finance Bill pour des précisions, que des salariés-actionnaires percevant jusqu’à Rs 12 millions annuellement – soit plus de Rs 900 000 par mois – soient épargnés d’une contribution solidaire de 15 % sur les revenus imposables ? Comment justifier que des entreprises réalisant des profits colossaux bénéficient encore d’aménagements fiscaux, alors que l’État réclame des sacrifices aux classes moyennes et populaires ? L’annonce d’un possible retrait ou d’un adoucissement des mesures fiscales destinées aux plus fortunés alimente l’idée que l’effort national est distribué de manière inéquitable.

À entendre certains, une perception dangereuse s’installe : celle d’un deux poids, deux mesures dans la gestion du redressement économique. Si les sacrifices imposés par les agences de notation comme Moody’s doivent être assumés, pourquoi certaines catégories seraient-elles moins concernées que d’autres ? À quoi sert la solidarité nationale si elle n’est exigée que des plus modestes ?

Certes, il faut reconnaître que Moody’s et d’autres institutions internationales observent de près la trajectoire budgétaire du pays. Elles exigent une consolidation fiscale – entendons par là – une réduction des dépenses publiques combinée à une hausse des recettes, qui passe forcément par de nouveaux impôts. Parmi les recommandations fréquentes figurait depuis longtemps le relèvement de l’âge de la pension universelle, proposé par le FMI, Moody’s ou d’autres institutions. Jusqu’ici, le tandem Jugnauth-Padayachy avait choisi de l’éviter, motivé davantage par des considérations électorales que par la rigueur économique. Dans un Country Focus publié hier, le FMI revient à la charge sous le titre évocateur : Mauritius: Economy Depends on Sustainable Public Finances.

Pédagogie politique

Le nouveau gouvernement, en héritant d’une situation budgétaire tendue et d’une dette publique culminant à Rs 642 milliards – près de 90 % du PIB – n’a pas eu d’autre choix que de prendre des mesures impopulaires. Mais c’est précisément dans ces moments critiques que la pédagogie politique est essentielle. Or, au lieu d’un effort d’explication et d’adhésion, le gouvernement s’est enfermé depuis plusieurs semaines dans une gestion de crise permanente, jonglant entre reculs stratégiques et tentatives de damage control.

Le pays aurait pu éviter ce rétropédalage s’il avait su, dès le départ, aligner ses mesures fiscales sur une logique de justice sociale. Si ceux qui conseillent le Premier ministre et ministre des Finances avaient intégré que le budget ne se résume pas à une série de chiffres, mais constitue un outil majeur de redistribution, l’histoire aurait été différente. Une politique budgétaire ne doit pas simplement chercher à équilibrer les comptes ; elle doit offrir à chaque citoyen la possibilité de vivre dignement et de progresser socialement.

Aujourd’hui, les signaux envoyés par le bâtiment du Trésor sont brouillés. Les citoyens les plus touchés par la vie chère et l’incertitude économique ne perçoivent ni la cohérence ni l’équité du projet gouvernemental. Ce manque de clarté fragilise la crédibilité du gouvernement et pourrait compromettre l’exécution de certaines réformes. Pire encore, cela pourrait peser sur la perception qu’aura Moody’s de la capacité de Maurice à maintenir le cap, ce qui rendrait un déclassement plus probable – avec des conséquences graves sur la notation souveraine et la confiance des investisseurs.

Ce premier budget était attendu comme celui de la vérité, après des années d’illusions monétaires et de promesses non tenues. Il marque la fin d’un cycle où les cadeaux budgétaires distribuaient l’illusion d’un progrès économique, alors même que l’endettement explosait et que le déficit budgétaire atteignait près de 10 % du PIB.

Il est temps que la population, tout comme ses dirigeants, comprenne que l’État-providence a ses limites. Pour que les aides parviennent à ceux qui en ont réellement besoin, un meilleur ciblage est indispensable. C’est une évidence économique que les institutions financières internationales rappellent depuis longtemps. Il faut réapprendre à conjuguer solidarité avec responsabilité. Le gouvernement doit désormais s’engager dans un vrai exercice de reconstruction économique, qui passe par un contrat social renouvelé. Cela implique un dialogue franc avec les partenaires sociaux, une communication plus transparente, mais aussi un engagement plus fort du secteur privé à jouer sa part dans l’effort collectif.

On ne bâtit pas un pays sur la confrontation, encore moins sur la confusion des messages. Le temps des campagnes est révolu. Celui de la reconstruction a sonné. Et pour cela, les signaux venus de l’hôtel du Gouvernement doivent être forts, justes, et surtout, lisibles.

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