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Rivière-des-Anguilles
Soixante ans de nouvelles : l’adieu de Balraj
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Rivière-des-Anguilles
Soixante ans de nouvelles : l’adieu de Balraj

En ce mardi 31 décembre, la place centrale de Rivière-desAnguilles semble figée dans une mélancolie palpable. Les étals de fruits exotiques, de légumes, les effluves épicés des échoppes voisines et des marchands de dalpuri, tout semble retenir son souffle, témoin silencieux d’une page qui se tourne. Balraj Veerasamy, silhouette familière et figure emblématique du district de Savanne, vend ses derniers journaux. Après soixante années de dévouement, il s’apprête à ranger définitivement sa table, marquant la fin d’une ère où l’information, portée par ses mains laborieuses, atteignait les recoins les plus reculés, de Britannia à Batimarais.
Né dans une famille modeste, Balraj avait très tôt été initié au métier par son père, Pando. Dès l’âge de huit ans, il arpentait les ruelles de Britannia et de Camp-Diable, une liasse de journaux sous le bras, avant de rejoindre les bancs de l’école. Aux côtés de ses frères, Naraindass et Bactaraj, il contribuait à tisser ce lien invisible entre les nouvelles du monde et les habitants de sa communauté. À la disparition de Pando, Balraj, épaulé par son épouse Mattee, reprit le flambeau avec une détermination inébranlable, assurant la distribution matinale avant de revêtir sa casquette d’ingénieur à Mauritius Telecom.
Le métier de marchand de journaux, bien plus qu’une simple transaction commerciale, était pour Balraj une mission, presque un sacerdoce. Il avait hérité de son père l’art de distiller une nouvelle, de la transformer en une histoire captivante, adaptée aux intérêts de chaque lecteur. Il se souvenait avec émotion de l’arrivée de l’express en 1963, de l’effervescence qui s’ensuivit, de la curiosité qu’il fallait éveiller dans les villages. À cette époque, les journaux se vendaient par centaines. Les familles encourageaient la lecture en français et en anglais, conscientes que cela enrichissait la culture générale de leurs enfants.
Mais les temps changèrent. L’avènement des radios privées, puis l’irruption des réseaux sociaux, modifièrent profondément le paysage médiatique. Les jeunes générations, happées par l’immédiateté de l’information numérique, délaissèrent progressivement le papier. Les ventes chutèrent, passant de centaines à quelques dizaines d’exemplaires. Balraj observait ce déclin avec une pointe de tristesse, conscient que son métier, autrefois pilier de la démocratie locale, perdait de sa superbe.
Les autorités, dans une volonté de moderniser les infrastructures, avaient tracé des lignes jaunes le long des artères principales de Rivière-des-Anguilles, rendant le stationnement difficile pour ses clients fidèles. Ces mesures, bien qu’animées de bonnes intentions, contribuèrent à l’isolement progressif de son étal. Les habitués, ne pouvant plus s’arrêter aisément, se tournèrent vers des alternatives plus accessibles.
Sur la scène mondiale, le constat était similaire. Les marchands de journaux, autrefois figures incontournables des paysages urbains, voyaient leurs échoppes disparaître, sacrifiées sur l’autel de la digitalisation. À Paris, en vingt ans, 80% des marchands avaient mis la clé sous la porte. Les kiosques, symboles d’une époque révolue, peinaient à survivre face à la déferlante numérique. Les quotidiens nationaux enregistraient des baisses de tirage vertigineuses, tandis que les librairies, pourtant bastions de la culture, luttaient pour maintenir leurs portes ouvertes.
Balraj, témoin de cette évolution inexorable, ressentait une profonde nostalgie. Il se souvenait des matins brumeux où, à vélo, il parcourait les routes sinueuses du district, le panier chargé de journaux fraîchement imprimés. Des échanges chaleureux avec les villageois, des débats animés suscités par les gros titres, des regards pétillants des enfants découvrant les mystères du monde à travers les pages feuilletées.
Aujourd’hui, en rangeant une dernière fois sa table, il mesurait le chemin parcouru. Son histoire, celle d’un homme simple dédié à une mission essentielle, s’inscrivait dans le grand livre de l’évolution sociétale. Il avait été, à sa manière, un jardinier de la démocratie, semant les graines de l’information aux quatre vents, cultivant la curiosité et l’esprit critique.
(Pando a initié ses enfants à la vente des quotidiens.)
Alors que le soleil déclinait sur Rivière-des-Anguilles, Balraj leva les yeux vers l’horizon. Une nouvelle année s’annonçait, porteuse de changements inéluctables. Il savait que le monde continuerait de tourner, que l’information trouverait d’autres vecteurs, d’autres messagers. Mais dans le cœur des anciens, son nom resterait associé à cette époque où, chaque matin, le crissement du papier annonçait une nouvelle histoire à découvrir.
Ainsi s’achève le chapitre de Balraj Veerasamy, dernier des mohicans dans un monde en mutation. Son départ laisse déjà un vide, une absence que les écrans lumineux ne sauront combler. Car au-delà des mots imprimés, c’est une présence humaine, chaleureuse et bienveillante, qui tire sa révérence, emportant avec elle les souvenirs d’une époque où le papier, fragile et éphémère, était le dépositaire des rêves et des réalités du monde...
The last of the Mohicans.“Clap de fin” for Balraj, the newspaper man
Balraj became a full-fledged newspaper seller on the retirement of his father Pando, himself a monument on his own, claiming loudly the contents of the papers should be read absolutely, and ignorant was the one who would not buy a paper at 5 or 10 or 15 or 25 cents. But Balraj has been shouldered by his wife Mattee for 37 years, be it during cyclonic weather conditions or be it during the Covid-19 uncertain period.
So now, it’s Balraj’s turn to say goodbye to us all. He says our support and engagement have given meaning to a purpose: creating and increasing readership, stabilising the same readership until such time the support and engagement have waned inexorably, victim of that thing called Information and Communication Technology.
As the year draws to a close, Balraj has made the challenging decision to turn the last page of a book that has occupied his life, especially after his retirement from the Telecom service. He expresses gratitude to the publishers and editors, car drivers and helpers for their daily errands carrying loads of newspapers from Port-Louis, journalists and reporters.
He understands that he has been a member in a chain of people having the crucial responsibility to transfer information, opinions, features and portraits, gossips and tales, interviews and accounts of meetings and concerts.
The end of this journey was never predictable the way it is happening. He is preoccupied though of the ’orphans’ he is leaving behind. His profile, which merged behind the stack of newspapers against the shop wall, will remain in our memory for long, and his own will become part of the commercial history of the village.
Balraj takes this moment to thank every customer, the regulars, the Saturday buyers, the Sunday faithful coming from the mass to take hold of a copy of Le Dimanche, indexing royal family lives and the latest songs of Enrico Macias and Richard Anthony. He extends his thanks to groups of political fans, administrative cadres, cinegoers and every customer, who have been part of his father’s and his own story.
The village of Riviere-des-Anguilles has been through cycles of socio-economic developments like most villages. As everywhere, development has changed its physical set up: jewellers who used to operate under the Chinese shop, Paris, have since very long left; the old watchrepairer is gone, the tailors have closed shops and taxi cars are for the most two or three on the stand, which could be explained by the increasing number of private car owners.
So, Balraj has joined the band of leavers. The inhabitants will feel his absence on the 1st of January.
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