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Portrait

Philip Errol Mestry : Sous l’étoffe du lettré se cache l’ancien journaliste

2 août 2025, 17:00

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Philip Errol Mestry : Sous l’étoffe du lettré se cache l’ancien journaliste

Philip Errol Mestry, professeur de lettres modernes à Paris.

Si Philip Errol Mestry avait à choisir entre les deux phrases suivantes : «Journaliste un jour, journaliste toujours» et «Le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir», il aurait opté pour la première car bien qu’il continue à mener une belle carrière en tant que professeur de Lettres Modernes dans un lycée parisien et qu’il soit membre de Jury du baccalauréat et du Brevet de Technicien Supérieur (BTS), il a conservé son œil acéré et son sens critique d’ancien journaliste.

La dernière visite de ce sexagénaire à Maurice remonte à 2017. C’est dire qu’il a noté des changements depuis.

Philip Errol Mestry a quitté l’île au milieu des années 80 après avoir obtenu une bourse d’études françaises. C’est un excellent résultat de français au Higher School Certificate alors qu’il était scolarisé au collège St Andrews, qui a tout déclenché. La direction de cette école a fait ensuite appel à lui pour enseigner le français pendant quelques années. À la suite d’une rencontre avec Désiré Appou, journaliste d’abord au Cernéen puis à l’express, Philip Errol Mestry est encouragé à intégrer la rédaction de l’express.

À l’époque, le rédacteur en chef est le Dr Philippe Forget, qui est assisté par les rédacteurs Luc Olivier et Yvan Martial. Le jeune homme qu’il est alors – il a 22 ans – a notamment pour collègues Jacques Catherine, Renaud Marie, Sulaiman Patel et le photographe attitré du journal est à l’époque Vel Kadarasen. Philip Errol Mestry est le plus jeune de toute la bande. Il est impressionné par ce journal qu’il qualifie d’organisation professionnelle stricte et où le maître mot est ‘la rigueur’. Du Dr Forget, il déclare que c’était «un homme sérieux, qui ne souriait pas beaucoup et qui était un professionnel jusqu’au bout des ongles.»

Au départ, notre interlocuteur a du mal à trouver ses marques. «Le plus difficile est d’avoir des sources d’information. J’avais pris comme principe d’aller voir les chefs de cabinet (NdlR: les secrétaires permanents comme on les appelle aujourd’hui) ou les ministres.» Il avait ses entrées chez sir Gaëtan Duval et même chez le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam dont il loue la courtoisie. «SSR avait une courtoisie extraordinaire. Les bonnes manières étaient aussi présentes chez Gaëtan Duval.» Il adorait aller couvrir les conférences de presse de Paul Bérenger dont «la formulation de la pensée était très claire. Bérenger organisait son plan avec le petit a, b et c et cela facilitait la rédaction. J’étais tellement partant pour aller couvrir ses conférences de presse qu’on me taxait d’être un militant», se rappelle-t-il en rigolant. Il suivait aussi les faits de société et couvrait également la police où son cousin, Cyril Mestry, occupait de hautes fonctions.

🔵 Major

Consciente de son excellent niveau de français, Marie-Pierre Latapie, enseignante de français au collège Lorette de Quatre-Bornes et de l’Alliance française, l’encourage à prendre part à l’examen de l’Alliance française au niveau supérieur. Il le fait et sort second, tout en continuant à travailler comme journaliste à l’express. Elle l’encourage alors à suivre les cours menant au Diplôme d’Études Universitaires Générales (DEUG) et à la licence en Lettres Modernes, offerts par l’Unité de Formation de l’université de La Réunion au Lycée Labourdonnais. Ainsi, il fait en sorte de terminer son travail à l’express à 16 heures, prend l’autobus pour se rendre à Curepipe et suivre les cours jusqu’à 19 heures. À la fin de ce parcours, il sort premier. Le proviseur du Lycée Labourdonnais l’approche pour lui annoncer qu’il a reçu une bourse française – l’équivalent de la bourse d’Angleterre – pour aller faire sa maîtrise en Lettres Modernes en France.

Une bourse d’études ne se refusant pas, en l’espace de quelques semaines, il part pour Paris. Admis d’abord à l’université de Toulouse, il décroche sa maîtrise et vient ensuite suivre des cours à l’université de Paris IV (la Sorbonne) où il obtient un Diplôme d’Études Approfondies (DEA) en Lettres Modernes. Dès 1989, il commence par enseigner comme maître auxiliaire dans des lycées parisiens. Comme il veut devenir professeur, il passe le concours pour obtenir son certificat d’aptitudes pour l’enseignement secondaire (CAPES). «Le concours du CAPES est très dur car sur 6 000 à 7 000 postulants, il n’y a que 200 qui réussissent et sont retenus comme professeurs.» C’est son cas en 1991.

Ayant pris goût aux études, il enchaîne avec un doctorat. Sa thèse porte sur le livre «Paul et Virginie» de Bernardin de St Pierre, thèse qui est reçu avec une «mention très honorable» par l’université de la Sorbonne. Pour lui, cette œuvre est «une allégorie de l’histoire chrétienne car dans la première partie utopique du livre, Bernardin de St Pierre compare Virginie à Eve, la compagne d’Adam dans la Genèse et que l’auteur fait d’ailleurs périr noyée un 24 décembre.» Philip Errol Mestry obtient son doctorat haut la main en 1992 dont une petite partie est d’ailleurs publiée.

Depuis et jusqu’à aujourd’hui, il a enseigné dans plusieurs lycées et collèges. Actuellement c’est au lycée Léonard de Vinci à Levallois-Perret qu’il transmet son savoir en Lettres Modernes. Il est aussi membre du Jury du baccalauréat et du BTS en lettres modernes au niveau national. Il aurait pu prendre sa retraite mais notre interlocuteur est incapable de rester oisif. «J’ai besoin de voir mes élèves, d’échanger avec mes collègues, de faire des boutades. Je suis un hyper actif.»

🔵 Niveau en baisse

Les élèves ne sont plus ce qu’ils étaient à ses débuts dans l’enseignement. Il est d’ailleurs effaré par la baisse du niveau du français. «C’est aussi le cas chez les journalistes qui vont par exemple écrire ‘Paris joue Marseille’ alors qu’il aurait fallu dire ‘Paris joue contre Marseille’. J’attribue cette baisse de niveau à l’expansion des outils technologiques et au délaissement de la lecture. J’ai du mal à faire mes élèves lire et découvrir un texte de littérature. Je suis obligé de mettre un contrôle pour les forcer à lire.»

Il ajoute ne pouvoir donner aucun devoirmaison à ses élèves car ils copient tout sur le Net et sur Chatgpt, difficulté à laquelle sont confrontés la majorité des professeurs. «Tout est focalisé sur Chatgpt et sur l’outil Internet, à tel point que j’ai des collègues qui prennent des boîtes en carton et qui font le tour de la salle de classe pour ramasser les portables durant les cours ou avant les contrôles. Les élèves d’aujourd’hui considèrent l’Internet et l’intelligence artificielle comme leur dieu.»

Il remarque immédiatement lorsqu’un élève a utilisé Chatgpt. «Je leur donne un poème à commenter. Pena enn fot franse ladan mais letexte qu’ils rendent n’a aucun lien avec le poème. Il n’y a pas eu d’analyse effectuée. On dirait que c’est pompé sur une autre planète.» Le professeur qu’il est dit tenter de lutter contre cette dérive et reconnaît qu’il est parfois découragé. Il s’étonne aussi, et sans entrer dans les détails, de l’effritement de la laïcité dans les lycées et collèges. «Elle est souvent défiée dans les lycées en France alors que la République française est laïque et l’école aussi.»

Bien qu’il ait passé la plus grande partie de sa vie à exercer comme professeur, le journalisme lui a collé à la peau. «Lorsque j’ai une information, quel que soit son domaine, je vais la vérifier deux fois, et c’est le cas même dans la pratique de mon travail. Je ne prends rien pour argent comptant.»

D’ailleurs, à peine une semaine à Maurice que son œil acéré d’ancien journaliste a pris le dessus. Il ne comprend pas, par exemple, pourquoi les conducteurs utilisent le klaxon à tort et à travers. «Je suis choqué par le comportement des conducteurs mauriciens sur les routes. Ils klaxonnent à tout bout de champ. Cela engendre beaucoup de stress. Je vais d’ailleurs envoyer une note au ministre du Transport pour lui suggérer de faire les agences de location de voitures mettre un T pour Touriste ou un V pour Visiteur sur celles louées par les visiteurs. Le touriste qui vient à Maurice et qui conduit tâtonne car il n’a pas l’habitude de conduire à gauche ou a du mal à s’orienter. Il ne devrait pas subir ce que j’appelle un véritable harcèlement sur les routes. Il faudrait soit interdire l’usage du klaxon ou ne l’utiliser qu’en cas d’extrême urgence.»

Philip Errol Mestry est également surpris par le nombre de travailleurs étrangers dans les boutiques et les supermarchés. «Zot pa koz kreol, zot pa koz franse et ils baragouinent l’anglais. Cela engendre des incompréhensions entre les touristes et eux et entre eux et les Mauriciens. Je crains que cela ne ternisse l’image d’accueil chaleureux et de convivialité que Maurice a toujours eue auprès des visiteurs étrangers. Il aurait fallu qu’il y ait constamment à côté d’eux un superviseur mauricien.»

Autre «phénomène» qu’il déplore c’est la multiplication des échoppes en bordure de routes, qui empiètent sur les trottoirs, obligeant les piétons à marcher sur la voie, au péril de leur vie. «C’est dangereux et on a l’impression qu’il y en a de plus en plus.»

Lui qui s’arrête pour parler aux gens là où il passe, a noté aussi du positif dans son île natale. Il dit sentir que la société mauricienne et sa nation arc-en-ciel sont moins compartimentées.«Autrefois, les Mauriciens d’origine française étaient des possédants qu’on ne voyait pas s’engager dans le commerce. Par contre aujourd’hui, je vois qu’ils n’hésitent pas à commercer. Et puis, je sens aussi un plus grand esprit d’entreprenariat chez les Mauriciens en général.»

Ce père d’un fils de 27 ans, qui boucle actuellement ses études supérieures en vue de devenir développeur de sites web, est totalement adapté à la vie parisienne. Ce qui lui manque là-bas, dit-il, c’est un vrai restaurant mauricien proposant, en soirée, un spectacle de séga avec les danseuses en tenues de ségatières.

Bien qu’il se sente davantage Français que Mauricien, ce présent séjour lui sert aussi à prendre des repères, peut-être en vue de regagner Maurice lorsqu’il se décidera à prendre sa retraite ou de se poser en Australie, plus précisément à Sydney où il a de la famille. Entre ces deux pays, son cœur balance. «C’est 50/50. Le critère déterminant sera là où je retrouverai un cadre familial…»

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