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Souveraineté : Entre mémoire, droit et réalités géopolitiques
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Souveraineté : Entre mémoire, droit et réalités géopolitiques

Dans un monde aux interdépendances toujours plus complexes, le concept de souveraineté nationale n’est plus un socle inébranlable, mais une notion évolutive, disputée, reconfigurée. De la guerre en Ukraine au Brexit, en passant par la gestion des territoires ultramarins ou des zones maritimes, la souveraineté redevient un sujet brûlant, tant pour les grandes puissances que pour les petites nations.
À Maurice, la question de la souveraineté sur les Chagos, Diego Garcia ou Agalega s’impose au cœur du débat politique et diplomatique. Notre pays revendique sa pleine autorité qui va s’étendre (si le parlement britannique ratifie l’accord UK-Maurice) sur plus de 3 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive, tout en affrontant les contradictions d’un ordre international marqué par les rapports de force.
Les principes issus du Traité de Westphalie (1648) – intégrité territoriale, non-ingérence, égalité entre États – sont aujourd’hui bousculés. L’émergence de nouvelles puissances, la montée des acteurs non étatiques (ONG, multinationales, groupes terroristes), les pandémies, le numérique et la transition écologique redéfinissent les contours du pouvoir étatique.
«Le monde n’est plus westphalien.La souveraineté doit aujourd’hui coexister avec l’interdépendance stratégique. Les petits États ne doivent pas se contenter de revendiquer : ils doivent influencer, proposer, agir collectivement», affirme Kishore Mahbubani, ancien président du Conseil de sécurité de l’ONU et professeur à la National University of Singapore.
Dans ce contexte mouvant, la souveraineté n’est plus un absolu. Elle devient un équilibre mouvant entre autonomie stratégique et coopération globale. L’essor de la supranationalité en Europe, les pressions sécuritaires en Afrique ou la dépendance économique en Asie en sont autant d’illustrations.
Le cas mauricien
Maurice, État insulaire de l’océan Indien, se trouve au carrefour de tensions historiques et géopolitiques. Le différend autour de l’archipel des Chagos, détaché illégalement du territoire mauricien par le Royaume-Uni en 1965, cristallise un combat de longue haleine. En 2019, la Cour internationale de justice (CIJ) a tranché : la décolonisation de Maurice n’est pas achevée tant que l’archipel reste sous autorité britannique. L’Assemblée générale des Nations unies a renforcé cette décision, appelant Londres à restituer les îles «dans un délai de six mois». Ce délai est aujourd’hui dépassé.
«Maurice a remporté des batailles juridiques, mais pas encore la guerre de la perception. Pour transformer ses droits en réalité, il faut une diplomatie proactive, soutenue et multiforme, au-delà des cercles traditionnels», fait ressortir la politologue Karuna Pillay.
À cela s’ajoute le cas d’Agalega, où l’opacité de l’accord signé avec l’Inde continue d’alimenter les critiques. «Les petites nations peuvent déplacer des lignes si elles agissent en réseau. L’exemple de Maurice devant la CIJ doit inspirer une nouvelle doctrine de souveraineté active dans les pays insulaires», rappelle un ambassadeur à l’OMC.
Défis transnationaux : Climat, santé, terrorisme
La pandémie de Covid-19 a démontré que même les frontières les plus strictes ne garantissent pas la protection des populations. La gestion des vaccins, la chaîne logistique mondiale, le partage des données ont mis en lumière l’interdépendance des nations.
De même, la lutte contre le changement climatique repose sur la capacité des États à coopérer. La souveraineté environnementale devient une nouvelle forme de souveraineté, où chaque État a le devoir d’agir localement tout en rendant compte globalement.
«La fragmentation du multilatéralisme ne doit pas être un prétexte au repli. C’est maintenant que les pays du Sud doivent faire entendre leur voix, notamment sur les ressources naturelles et la souveraineté maritime», insiste la diplomate algérienne Amina Belouali, lors d’une conférence en début d’année.
Face à ces réalités, Maurice doit penser la souveraineté comme un outil stratégique. Il ne suffit plus de proclamer ses droits : il faut les exercer avec intelligence, constance et pragmatisme.
«L’océan Indien devient un théâtre stratégique. Maurice ne doit pas subir les rivalités entre puissances, mais se positionner comme arbitre régional, capable de proposer une architecture de sécurité partagée», estime Dr Annalise Brackman, spécialiste en géopolitique à l’Institut de Vienne.
Cela suppose un renforcement des capacités maritimes, un meilleur contrôle des ZEE, une diplomatie active auprès de l’Union africaine, de la Commission de l’océan Indien et des instances multilatérales. La souveraineté mauricienne ne peut être ni défensive ni symbolique. Elle doit être offensive, inclusive, moderne.
La souveraineté n’est plus l’apanage des grandes puissances. Elle se construit aujourd’hui dans les juridictions internationales, les plateformes climatiques, les accords régionaux. Pour une île comme Maurice, elle reste un combat d’équilibre, entre droit historique et devoir de réinvention.
Exemples internationaux
La tension entre souveraineté formelle et réalités internationales n’est pas propre à Maurice. Le Brexit reste un cas emblématique. En 2016, le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union européenne au nom de la souveraineté nationale. Huit ans plus tard, les défis économiques, les tensions nord-irlandaises et la perte d’influence diplomatique interrogent le coût réel de cette décision. L’Ukraine, depuis 2014, incarne une autre forme de souveraineté bafouée. L’annexion de la Crimée par la Russie, suivie de l’invasion de 2022, a rappelé brutalement que le droit international reste tributaire de la force.
L’affaire des Chagos est emblématique. Elle montre que le droit international est un outil, mais pas une garantie. Seule la constance politique peut faire avancer l’application effective de ces décisions. Taïwan, État de facto non reconnu par la majorité des pays membres de l’ONU, vit sous la menace constante de la Chine. Ici, la souveraineté devient une question de reconnaissance diplomatique, de sécurité régionale et de rivalité stratégique.
Les zones économiques exclusives dans le monde
• États-Unis : plus de 11 millions de km² de ZEE, la plus vaste au monde. • France : près de 10 millions de km², grâce à ses territoires ultramarins. • Australie : environ 8,5 millions de km². • Maurice : environ 3 millions de km2 , si l’on inclut les Chagos.
Enjeux : contrôle des ressources halieutiques, prospection minière, sécurité maritime, conservation environnementale.
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