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Manière de voir
Sur l’autel de 19 nouveaux… hôtels
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Manière de voir
Sur l’autel de 19 nouveaux… hôtels
Notre Premier ministre adjoint et ministre du Tourisme, Steve Obeegadoo, connu pour son éloquence, dresse un tableau très positif de l’industrie touristique. Elle a repris sa place avec 55 % de la croissance économique pour avoir accueilli deux millions de touristes depuis l’ouverture des frontières après la pandémie de Covid-19. Ce n’est pas le nombre qui compte, mais les revenus, soit presque Rs 50 milliards durant les six premiers mois de l’année. Satisfaction aussi politique. Tout irait donc très bien ?
Il a aussi annoncé la construction approuvée de 19 nouveaux hôtels pour un investissement de Rs 20 milliards, sans toutefois indiquer sur quels sites. Il veut un tourisme durable malgré des obstacles comme les liaisons aériennes, la promotion vers de nouveaux marchés comme l’Inde, la Chine et le Golfe persique et pas toujours l’Europe. Tout s’annonce donc sous les meilleurs auspices.
Le sable et la terre
Dommage qu’il n’ait pas localisé où s’élèveraient ces 19 nouveaux hôtels. Nul doute que leurs promoteurs préféreront être pieds dans l’eau, donc sur nos côtes. Or, on assiste jusqu’à présent à une érosion inéluctable de nos plages qui se rétrécissent déjà. Savez-vous que chaque année dans le monde, l’homme extrait six milliards de tonnes de sable ?
Nos coraux et coquillages autour de nos récifs souffrent de la chaleur en hausse et de la pollution. Si, à certains endroits, nos eaux turquoise sont encore claires, dans d’autres, l’eau est teintée marron (pollution ?), notamment en plongée sous-marine. Nous attendons toujours des mesures concrètes et… durables pour retarder cette érosion et la montée du niveau de la mer qui inquiète. (Voir les Maldives qui seront englouties dans deux ou trois décennies).
Un nouveau phénomène a fait son apparition, celui de la température des océans en hausse en raison du réchauffement climatique. Les poissons vont en pâtir ; certaines espèces vont même disparaître. Timing : au moment même où le ministre dressait ce tableau, le Premier ministre, à la tribune des Nations unies, s’en prenait avec raison aux menaces contre l’environnement, notamment dans les petits États insulaires. En tête, le réchauffement climatique. Y a-t-il collusion ou collision entre les deux prises de position ?
Le fait de ne pas savoir où se situeraient ces 19 nouveaux hôtels braque l’attention sur l’exiguïté de l’île. Au même moment, le Mauritius Sugar Syndicate met les autorités en garde contre des terres agricoles de choix laissées à l’abandon. Cela, alors que notre production sucrière dégringole au moment où le prix du sucre sur le marché mondial est des plus profitables.
Ne faudrait-il pas signer un accord avec des métayers pour qu’ils se consacrent à des cultures vivrières sur ces terres abandonnées ? Ne parlons pas de notre autosuffisance alimentaire, qui n’est qu’une Arlésienne, mais augmenterait notre production de fruits et légumes dont les prix se répercuteront sur les consommateurs. Nous préférons importer ? Ne faudraitil pas ralentir le bétonnage à tout-va ? La terre est une mère nourricière.
Eau et ressources humaines
Nos réservoirs ne sont qu’à moitié remplis. Tout le monde – planteurs et industriels – redoute l’arrivée d’un été très chaud, donc une longue période de sécheresse. Les coupures d’eau ont déjà commencé et les citernes bougent. Dix-neuf nouveaux hôtels impliquent une énorme pression sur la fourniture d’eau, non seulement potable, mais aussi pour l’agriculture et de grosses industries comme le textile.
Des propositions pleuvent de tous les côtés. Arrivent en tête la collecte d’eau de pluie (autre Arlésienne ?) et l’investissement dans de grands réservoirs. Cela demande des équipements. D’autres optent pour la construction de barrages. Revient sur la table ce serpent de mer qu’est le fait de dessaler l’eau de mer, ne serait-ce que pour l’irrigation. C’est fort coûteux mais déjà pratiqué à petite échelle par certains grands hôtels. Des PME se disent prêts à se lancer dans le recyclage de l’eau à condition qu’un plan d’aide soit mis sur pied. Idem pour les petits planteurs de canne. Nous exploitons nos réserves de nappes souterraines via les nappes phréatiques tout en réservant un certain nombre en cas d’alerte grave. On pourrait aussi utiliser l’eau des rivières. Ce ne sont pas les bonnes idées qui manquent, mais les concrétisations sont pour quand ?
Quelle eau va approvisionner les touristes logés dans ces nouveaux hôtels ? Quel personnel sera à leur service ? Maurice s’est taillé une belle réputation sur le plan du service, de l’accueil, de l’hospitalité, du sourire. Les autorités semblent pencher pour la main-d’œuvre étrangère, mais cela ne va pas de soi. Si elle convient pour la construction, le textile ou autres usines, elle ne conviendra pas pour le tourisme.
L’École hôtelière devrait décupler ses formations mais cette main-d’œuvre étrangère ne pourra pas franchir des obstacles comme les langues, l’accueil, le service dans ces hôtels, communiquer des renseignements sur Maurice et tutti quanti. Pour le moment on assiste à un débauchage généralisé entre grands hôtels. La ressource locale préfère passer deux années sur des bateaux de croisière pour se constituer un matelas d’économies. Quitte à travailler beaucoup plus dur, mais pour gagner beaucoup plus. Passons rapidement sur la fourniture d’électricité supplémentaire que la nouvelle situation hôtelière engendrera pour en arriver à un problème… existentiel.
Et la population locale ?
Jusqu’à présent, nos concitoyens ont plus que largement participé à la réussite de notre tourisme. Doit-on envisager certaines limites ? N’exagérons pas un épiphénomène qu’on entend parfois : «Moris népli pou nou?» Hélas, de nouveaux arrivants venus s’installer à Maurice adoptent parfois certaines attitudes comme s’ils étaient en terrain conquis. De quoi parfois rebiffer certains concitoyens locaux ? Il ne faudrait pas qu’ils recréent ici ce qu’ils ont quitté ailleurs pour venir s’installer chez nous.
Profitons-en pour souligner que des mesures fortes doivent être prises dans la lutte contre la drogue et la corruption qui nous font mauvaise presse à l’étranger. Retrouver une certaine sérénité face à l’insécurité, voire une certaine douceur de vivre qui s’étiole. Est-ce que le choix est entre l’économie et l’écologie ? En attendant, à l’avenir, sur quelles plages irons-nous le week-end, disons dans une décennie ?
A nou évit labous kabri!
P.S.: Et les touristes russes bling bling ? Ils préfèrent l’Ukraine ?
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