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Entretien
Sylvia: «Certains sont tellement habitués à se voir offrir de l’aide qu’ils ne veulent pas travailler…»
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Entretien
Sylvia: «Certains sont tellement habitués à se voir offrir de l’aide qu’ils ne veulent pas travailler…»
La situation des squatteurs de Médine, expulsés en début de semaine, remet sur le tapis l’épineuse question de ceux qui occupent des terre illégalement. Elle signe aussi le retour de commentaires en tous genres sur les réseaux sociaux : «Bann paress palé travay (…) Nou nou pli kouyon, bizin pey loan pou gagn lakaz», entre autres. Qu’en pensent les principaux intéressés ? Nous nous sommes entretenus avec cette mère de famille qudragénaire, qui a occupé pendant huit ans des terres qui ne lui appartenaient pas…
Comment êtes-vous devenue squatteuse?
Je suis originaire du nord du pays. Mon époux était manev mason et nous nous débrouillions tant bien que mal pour vivre. Plus tard, j’ai donné naissance à deux filles. Mon époux avait également un penchant pour l’alcool et, avec le temps, sa dépendance s’est accrue. Nous avons commencé à avoir du mal à joindre les deux bouts et un jour, il a été arrêté par la police pour possession de cannabis. Je me suis retrouvée seule avec deux enfants, sans aucun moyen d’avoir un revenu fixe au quotidien. J’ai alors décidé de venir chercher un petit coin pour m’installer avec mes deux enfants en 2009 à Baie-duTombeau, où d’autres personnes en difficulté financière squattaient des terres, étant incapables d’avoir un revenu mensuel fixe pour payer les factures ou louer une maison.
En tant que femme et jeune maman, à quoi ressemblait votre quotidien alors ?
Nous vivions dans une bicoque en tôle, sans plancher. J’avais un matelas posé par terre, sur lequel les enfants et moi dormions, et quelques affaires essentielles. Il n’y avait pas d’électricité, pas d’eau, je ne pouvais pas entamer des démarches pour en avoir à cause de ma situation. Nous utilisions une salle de bains commune ainsi que l’eau d’un robinet installé à proximité. Nous avons reçu l’aide de la communauté, des dons et de la nourriture d’une ONG. Cette dernière a également aidé les enfants à être inscrits dans une école maternelle dans le cadre d’un programme d’autonomisation qu’elle dirigeait, par exemple, en leur donnant une preuve d’adresse sur les factures d’électricité ou d’eau que le personnel de l’ONG fournissait; les enfants recevaient leur repas quotidien là-bas.
Et vous ? Hormis l’aide bénévole de l’ONG, avez-vous réussi à trouver un travail qui vous permette de gagner votre vie et d’avoir au moins une certaine sécurité financière ?
Je travaillais pendant la soirée (...) les clients venaient là où j’habitais. Apré travay-la, je me faisais payer.
Pourquoi et comment avez-vous opté pour ce type de travail, compte tenu des dangers, surtout avec deux filles à charge ?
Les filles étaient très petites et elles ne comprenaient pas la nature de mon travail (…) J’avais placé un rideau pour séparer le matelas du petit coin où je recevais les clients (...) C’était compliqué mais je n’avais pas vraiment le choix. À l’époque, le travail manuel impliquait que je sois à l’extérieur de la maison pendant de longues heures, ce qui n’était pas possible pour moi car je n’avais personne pour les garder (...) Cependant, au bout d’un certain temps, j’ai décidé, alors que mes enfants grandissaient, que je voulais un travail plus «décent», qui me permettrait d’avoir une situation financière stable, sans avoir à mettre qui que ce soit en danger. J’ai cherché des conseils et de l’aide auprès de personnes de l’ONG qui m’ont offert des programmes d’autonomisation de base et m’ont aidée à chercher un emploi convenable pendant que mes enfants recevaient un encadrement. Avec le temps, elles m’ont également aidée à trouver une petite maison à louer et à remplir les formalités administratives.
Les squatteurs sont souvent confrontés à des questions telles que «pourquoi ne simplement pas travailler dur et progresser comme les autres pour acheter ou louer une maison au lieu de jouer la carte victime continuellement ?».
Quel est votre point de vue à ce sujet ?
C’est en partie vrai et en partie très complexe. Il ne faut pas juger ce qu’on ne connaît pas, certains sont dans des situations compliquées,on a du mal à trouver une issue, une solution. Dans mon cas, je suis devenue squatteuse après les problèmes de mon époux et c’était la seule option possible pendant que j’essayais de faire quelque chose de mon côté. Beaucoup d’hommes et de femmes qui squattent des terrains de l’état, notamment, sont ceux qui n’ont pas de compétences ou de formations académiques ou de certificats, ou qui n’ont pas l’encadrement nécessaire pour obtenir un emploi fixe. Ils travaillent sur des chantiers comme ouvriers pour gagner un salaire journalier en espèces qu’ils dépensent le jour même, sans sécurité d’emploi. Pour louer un logement ou obtenir un prêt d’une banque pendant que vous travaillez à la journée, vous devez avoir des documents tels que des fiches de paie attestant de quelques mois de stabilité au niveau des revenus ; une preuve d’adresse notamment factures de la CEB ou de la CWA, ce est impossible quand vous êtes squatteur (...) Vous ne pouvez pas non plus entamer des procédures pour obtenir un logement social car ils exigent tous ces documents et un dépôt fixe de plus de Rs 500 000 parfois. Les squatteurs sont donc plongés dans un cycle infernal où ils ne peuvent avancer. Mais d’un autre côté, il y a ceux qui occupent illégalement des terrains qui ne sont pas les leurs depuis des années, depuis des générations, et qui sont tellement habitués à se voir offrir de l’aide par la communauté qu’ils ne veulent pas faire l’effort de travailler et de gagner de l’argent pour investir dans le progrès individuel (...) Ceux-là squatteront un terrain pendant des décennies sans en avoir la charge ou le souci de payer les factures d’électricité ou d’eau, surtout au vu la cherté de la vie. Moi j’avais des enfants à élever, nés avant que mon époux ne soit arrêté par la police. Il y a aussi ces couples qui, malgré l’absence de travail et de logement, ont fondé une famille. C’est une bénédiction d’avoir des enfants, mais avoir beaucoup d’enfants dont ils ne peuvent pas s’occuper crée aussi un cycle de pauvreté permanent.
Comment va votre vie professionnelle et familiale aujourd’hui ?
Après avoir bénéficié de l’aide de l’ONG, j’ai pu trouver un emploi d’aide dans un commerce. En 2021, j’ai pu me reloger dans une petite maison que je loue et le personnel de l’ONG continue à m’encadrer et à m’apporter un soutien supplémentaire à chaque fois que j’en ai besoin. Mon aînée se prépare à participer aux examens du HSC cette année et nous sommes financièrement et émotionnellement stables. Après la libération de mon époux, l’ONG lui a offert un programme de réhabilitation également. Je suis fière et contente d’avoir pu m’en sortir. Il suffit parfois de le vouloir, de le vouloir vraiment…
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