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Questions à…
Nando Bodha : «Tant que Diego Garcia restera une base militaire sous contrôle américain et britannique, la souveraineté ne sera jamais pleine et entière»
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Nando Bodha : «Tant que Diego Garcia restera une base militaire sous contrôle américain et britannique, la souveraineté ne sera jamais pleine et entière»

Réagissant à l’accord conclu entre Maurice et le Royaume-Uni sur les Chagos, l’ancien ministre et ex-membre du MSM, Nando Bodha, salue une avancée historique vers la souveraineté. Il nuance toutefois cette étape en soulignant que la décolonisation demeure incomplète tant que Diego Garcia restera sous contrôle britannique. Selon lui, ce tournant doit marquer le début d’une ère de justice, de réhabilitation et de retour pour les Chagossiens – un combat porté avec force, notamment par les femmes. Il aborde également les enjeux géopolitiques, le positionnement de Maurice dans l’Indopacifique et la nécessité de redonner une voix à ceux qui ont été déracinés.
Monsieur Bodha, peut-on réellement parler de souveraineté pleine et entière alors que Diego Garcia reste sous contrôle britannique et américain ?
La souveraineté retrouvée sur les îles Chagos est une avancée majeure, mais elle reste partielle. Navin Ramgoolam n’a pas réussi grand-chose par rapport aux négociations menées par l’ancien Premier ministre. C’est une question cruciale. Souvenez-vous, la motion adoptée par l’assemblée des Nations unies, a une majorité massive appelait à la décolonisation complète du continent africain, d’où le soutien exemplaire des nations africaines. Pourquoi la Grande Bretagne exercerait-elle nos droits souverains sur Diego Garcia ? Tant que Diego Garcia reste une base militaire gérée par les États-Unis et le Royaume-Uni, on ne peut pas parler de souveraineté pleine et entière. La décolonisation, à l’échelle du continent africain, demeure inachevée. Sur le plan symbolique, est-ce que les natifs de Diego Garcia, déracinés et déportés à Maurice pourront se rendre à Diego Garcia pour honorer leurs ancêtres ? On a parlé de nationaux mauriciens sur cette île ? Quel sera leur rôle ?
Cet accord inaugure une «nouvelle ère», dites-vous. Mais en acceptant la base militaire, n’est-ce pas une reconnaissance implicite de la présence étrangère ?
C’est un compromis stratégique, oui. Il ne faut pas le nier. En intégrant Diego Garcia dans un Strategic Partnership Agreement, nous acceptons de composer avec la réalité géopolitique. Mais cela ne veut pas masquer les blessures profondes de l’exil. La souffrance, les grèves de la faim, les bastonnades, la misère, le chagrin, cet état de choc obsessionnel qui fait attendre un bateau mythique pour repartir sur l’archipel, tout cela ne peut être effacé par un chèque aussi conséquent soit-il. Aucune somme ne saurait réparer cette violence historique. Mais pour comprendre l’importance stratégique de la base, il faut écouter la déclaration de Sir Starmer. Il a reconnu que Diego Garcia est la base la plus secrète, la plus stratégique, la plus sophistiquée pour la Grande Bretagne et les États-Unis. Pour des raisons pragmatiques, nous avons accepté l’existence de cette base, si loin de l’époque où l’on parlait de l’océan Indien comme une zone démilitarisée. Aujourd’hui, la région Indopacifique est la plus convoitée par les États-Unis, l’Union européenne, l’Inde et la Chine et bien sûr, les états du Proche-Orient. Diego Garcia est en fait la pièce maîtresse du dispositif occidental dans la zone la plus convoitée au monde.
Pourquoi regrettez-vous l’abandon de la voie multilatérale après l’avis consultatif de la CIJ et la résolution des Nations unies ?
Parce que nous avions un capital diplomatique sans précédent. La Cour internationale de Justice nous avait donné raison. L’Assemblée générale des Nations unies avait voté pour le retour de l’archipel à Maurice. Nous aurions pu construire une coalition solide avec l’Union africaine, l’Inde, les pays amis. Le choix du bilatéralisme a accéléré l’accord, mais a compromis sa portée historique et nos atouts. Les termes et conditions bien différents, concernant la souveraineté, la durée du bail, le montant, les arrérages et les garde-fous autant pour Maurice. La compensation annoncée – 165 millions de livres – vous semble-t-elle juste ? Là aussi, Ramgoolam n’a pas fait mieux. Il suffit de comparer ce que les États-Unis payent pour le loyer et la contribution pour des opérations diverses. Pour Djibouti, le loyer est de l’ordre de USD 148 millions. Pour une base des Philippines en 1991, les États-Unis étaient prêts à payer. Ici on parle de la plus grande base au monde ! C’est une compensation, pas une réparation. Elle répond à des enjeux géostratégiques, pas à la douleur humaine et la tragédie de l’histoire. La vraie réparation passera par le retour, la reconnaissance, et la reconstruction. Ramgoolam et son gouvernement ont failli, ils ne parlent pas des arrérages. Un oubli inacceptable pour un «squatting» révoltant depuis 1965 ! Paul Bérenger, ancien conseiller à la démilitarisation parle comme un historien et du budget qui vient. Un ratage complet. Ramgoolam aurait dû être reçu à la Maison Blanche pour tisser des liens nouveaux avec Washington et non rester sur le strapontin pendant que Sir Starmer défendait le dossier auprès du Président Trump. C’était à lui de parler pour redéfinir l’avenir des Chagos et de Diego Garcia. Il a critiqué le passé mais a joué la carte de l’attentisme et de l’opacité.
Vous parlez souvent du rôle des femmes chagossiennes. Que faut-il faire concrètement pour elles ?
La société chagossienne est une société matriarcale. Elles ont été la mémoire vivante du combat avec leur résilience et leur combativité. Charlesia, Talate, Rita Bancoult ne sont plus là, victimes d’une souffrance inimaginable, celle de l’exil. Les femmes doivent être prioritaires dans la politique de retour : accès au logement, aux soins, à la formation, et surtout une place dans les organes de gouvernance. Sans elles, on ne peut pas reconstruire les Chagos. Olivier Bancoult leur a rendu l’hommage : sans elles, il n’aurait jamais pu mener ce combat. Comment éviter que la reconstruction des Chagos ne soit accaparée par des intérêts privés ? L’accord prévoit un budget de 40 millions de livres pour les Chagossiens. Pour quelle durée ? Pour quels projets ? Le droit de retour doit être garanti et non instrumentalisé. Il faudra un cadre légal rigoureux, une gouvernance transparente, et une gestion communautaire du Trust Fund. Il doit servir aux besoins réels de la communauté, pas à des intérêts politiques ou économiques détournés. Les Chagos ne doivent pas devenir une zone de spéculation, mais un espace de dignité. L’archipel appartient aussi au peuple mauricien, qui devra participer à cette reconstruction dans le respect de l’histoire et de l’éco système fragile et unique des iles.
Comment faire vivre cette mémoire dans la société mauricienne ?
Je propose la création d’un Centre de mémoire des Chagos, l’intégration dans l’enseignement et l’instauration d’une Journée nationale de commémoration. Il faut que ce combat devienne un élément constructif de notre identité collective. Il faut rendre hommage à tous ceux qui ont mené ce combat, peut-être le plus significatif pour nous comme un peuple…. Nous avons fait l’actualité dans le monde, comme jamais avec cet accord. Une page est tournée…Il faut l’écrire et composer une nouvelle. Je pense aux frères Michel, Fernand Mandarin, les femmes dont je vous ai parlé, bien sûr Olivier Bancoult et les inconnus, et aussi les hommes politiques, les Premiers ministres, Sir Anerood Jugnauth en particulier.
Vous proposez la création d’un forum des nations de l’océan Indien. Pourquoi, et avec quels objectifs ?
L’océan Indien est aujourd’hui un théâtre de rivalités géopolitiques majeures. Maurice doit y avoir une voix forte. C’est la chance de se faire une place essentielle dans la carte géopolitique de ce siècle, de nous positionner comme une «Small Great country». Ce forum serait un espace stratégique en matière de sécurité maritime, de changement climatique, d’économie bleue. Il est temps que Maurice passe du statut d’observateur à celui d’acteur stratégique dans la région Indopacifique.
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