Publicité

[Dossier] Mai 75 I Une jeunesse en marche vers le changement

Témoignages autour d’un soulèvement étudiant historique

20 mai 2025, 14:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Témoignages autour d’un soulèvement étudiant historique

Tournant majeur de l’histoire post-Indépendance de Maurice, le soulèvement des étudiants en mai 1975 a marqué un profond bouleversement social et politique. Les répercussions de cette révolte, initiée par une jeunesse avide de justice et d’égalité, se font encore sentir aujourd’hui. Retour sur cette période effervescente de notre histoire contemporaine à travers les récits de quatre figures qui ont vécu ces événements de l’intérieur.

Veena Dholah, présidente de Rezistans ek Alternativ

«Une vraie libération pour l’égalité dans l’éducation» lexp (54).jpg

En mai 1975, Veena Dholah était élève en Form IV au collège Eden, à RoseHill. Elle garde un souvenir vivant de cette époque, qu’elle décrit comme une vague irrésistible entraînant les jeunes vers Port-Louis.

«Nous entendions des rumeurs dans les couloirs. Mes frères étaient au collège New Eton, et une amie avait un frère au collège John Kennedy. La veille du 20 mai, les cours étaient suspendus : les enseignants marchaient dans la cour et les élèves restaient assis sans rien faire. À cette époque, les débats sur des sujets de société étaient fréquents. Je me souviens notamment d’une discussion sur la légalisation de l’avortement. Et puis, nous avions des professeurs comme Amédée Darga ou Sheila Bappoo.»

Le 20 mai, tout bascule. «Des garçons venus d’autres établissements sont venus frapper aux grilles de notre collège. Spontanément, de nombreuses filles se sont mises en marche vers Port-Louis. Personne ne posait de questions. En chemin, nous avons pris un bus, mais la route étant bloquée, nous avons continué à pied. Au pont de Grande-Rivière, un cordon de police bloquait le passage.»

Pour elle, ce mouvement a marqué un changement décisif : «C’était une grande victoire. Ce soulèvement a non seulement transformé ma vie, mais aussi Maurice. Les filles issues de familles modestes ont enfin pu accéder à l’éducation, là où auparavant, les garçons étaient systématiquement favorisés.»

Pradeep Bheem Singh, consultant en Health & Safety

«Nou finn ekrir listwar» lexp (52).jpg

Étudiant en Upper 6 au collège New Eton, à Rose-Hill, en mai 1975, Pradeep Bheem Singh se souvient d’une jeunesse politiquement éveillée, encadrée par des enseignants militants comme Alan Ganoo et Subash Gobine. «Le collège Royal de Curepipe avait déjà connu des protestations auparavant. Le New Eton était un peu la locomotive du mouvement dans la région. Le 20 mai, nous avons mobilisé les élèves d’autres établissements pour descendre à Port-Louis.»

«Nou finn ekrir listwar, e gouvernman finn rekonet matirite bann zenn anba 18 an sa lepok-la. C’est suite à cette mobilisation que l’âge légal pour voter a été abaissé à 18 ans.» Il insiste aussi sur une revendication phare : «Nous réclamions que l’enseignement se fasse dans notre langue maternelle, le créole. Aujourd’hui, voir le créole enseigné au secondaire, à l’université, et bientôt introduit au Parlement me rend optimiste pour sa reconnaissance future.»

Jocelyn Chan Low, Historien

«Une solidarité exceptionnelle entre collégiens» lexp (51).jpg

Ancien élève du collège Royal de Curepipe, Jocelyn Chan Low souligne l’unité remarquable entre les jeunes issus de tous les collèges, publics comme privés. «Le système éducatif de l’époque était un héritage colonial, profondément inégalitaire. Il ne faut toutefois pas limiter ce mouvement à une simple revendication sur l’éducation. Ledikasion ti ouver nou lizie lor lezot inegalite dan sosiete. Pour beaucoup d’entre nous, déjà engagés dans des associations étudiantes, l’éducation n’était qu’un levier pour dénoncer l’état d’urgence, la répression syndicale et l’étouffement de la voix des opposants politiques.»

Il souligne que, malgré certaines réformes, les inégalités profondes dans la société persistaient. «Le Premier ministre Seewoosagur Ramgoolam avait déjà en tête le concept d’État providence, et les manifestations de mai 1975 ont contribué à accélérer ce processus.» Ce qu’il retient surtout, c’est cette ambiance d’unité : «Les collégiens marchaient dans la joie. Des travailleurs nous offraient de l’eau, nous encourageaient. Ce fut un moment de communion entre les communautés.»

Bhojeparsad Jhugdamby, syndicaliste de l’éducation

«Une étape majeure pour la justice sociale» lexp (53).jpg

Fondateur de l’UPSEE, syndicat des enseignants du privé, Bhojeparsad Jhugdamby a consacré plus de quatre décennies à la défense des droits dans l’enseignement. Il voit dans le 20 mai 1975 une démonstration de la puissance de mobilisation des jeunes.

«Cet événement est devenu un moment charnière dans l’histoire post-indépendance de Maurice. Les étudiants, issus en grande majorité de la classe ouvrière, se sentaient privés d’opportunités. Ce jour-là, au collège Bhujoharry, certains élèves ont escaladé les murs, d’autres ont enfoncé la porte pour aller manifester. Ils ont été rejoints par ceux des collèges Trinity, Alpha, Port-Louis High School ou encore People’s College.»

Pour lui, le message envoyé aux dirigeants était clair : «Comme en mai 1968 en France, la force des étudiants peut faire bouger les lignes. Ce fut une étape cruciale dans la lutte pour l’équité et la justice sociale, qui a donné une autre dimension à l’engagement de la jeunesse.»

Publicité