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Alliances électorales

Tickets : alliés et ennemis intimes

26 mars 2024, 20:00

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Tickets : alliés et ennemis intimes

La Une de «l’express» du 12 décembre 2014 et La page 3 de «l’express» du 9 novembre 2019.

  1. Si c’est la première fois que le Parti travailliste (PTr) négocie simultanément une alliance avec le Mouvement militant mauricien (MMM) et le Parti mauricien socialdémocrate (PMSD), les Rouges ont déjà contracté des alliances avec les deux partenaires séparément, en plusieurs occasions, depuis 1976, soit pour les premières élections générales organisées à Maurice depuis l’Indépendance du pays, les précédentes datant du 7 août 1967.

Les partis politiques se présentent aux élections du 20 décembre 1976, chacun de son côté. Le PTr et le Comité d’Action Musulman (CAM) sont alliés sous la bannière de l’Independence Party ; l’Independent Forward Block (IFB) de Sookdeo Bissoondoyal se présente seul ; le PMSD de Gaëtan Duval en fait autant. Le MMM, fondé en 1969, en est à sa deuxième élection après la partielle de 1970 à Pamplemousses–Triolet, mais c’est sa première participation à des élections générales.

Les résultats de 1976 surprennent les observateurs et font, à bien des égards, figure de référence depuis. Le MMM décroche 30 sièges, le PTr compte 25 députés et le PMSD fait élire sept candidats, dont deux à Rodrigues. Par la suite, la nomination des Best Losers accorde quatre députés supplémentaires au MMM, trois au PTr et un au PMSD. La configuration de l’Assemblée législative est comme suit : MMM – 34 députés, PTr – 28 et PMSD – 8.

Le PTr et le PMSD, oubliant leurs divergences fondamentales, s’allieront dans une coalition postélectorale et empêcheront le MMM d’accéder au pouvoir. Anerood Jugnauth ne sera pas Premier ministre, mais le leader de l’opposition, face à sir Seewoosagur Ramgoolam, qui sera laminé en 1982 par une déferlante, qui marque le premier 60-0 de l’histoire. Après le scrutin de 1976, les principaux partis politiques se sont toujours présentés en alliance aux élections générales.

  1. Fast Forward en 2014. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, qui pensaient être à la tête d’une alliance invincible («40 % plus 40 %») avaient les chiffres sur papier avec eux mais pas les êtres : c’est-à-dire les électeurs. Inamovibles leaders des deux plus grands partis du pays, Paul Bérenger et Navin Ramgoolam avaient tout prévu : une conférence de presse de la victoire à l’Hôtel du gouvernement ; un 60-0 ou, à la rigueur, une majorité de trois quarts des sièges, pour initier des réformes électorales et constitutionnelles afin de se tailler des costumes neufs (celui de Premier ministre pour le leader du MMM et celui de super président pour le second), une îIe République, le ministère des Finances à Rama Sithanen, un super ministère à Reza Uteem, le lancement du méga projet de métro léger dont le financement de l’Inde avait déjà été trouvé. Ils croyaient avoir tout anticipé… sauf cette lame de fond qui avait traversé le pays et qui avait pris plus d’un de court.

Dès la conclusion de l’accord électoral rouge-mauve de 2014, l’express avait maintenu que le calcul mathématique simplet – qui consiste à combiner le corps électoral traditionnel du PTr à celui du MMM – ne tenait pas la route par rapport à l’usure du pouvoir du Premier ministre et du gouvernement sortants. Cette analyse se fondait surtout sur le reflet du terrain : nos journalistes qui avaient inlassablement sillonné les 20 circonscriptions nous rapportaient quotidiennement des informations émanant des différents coins de l’île. Et nous avions noté que si l’alchimie semblait plus ou moins fonctionner au niveau des deux leaders, la synergie entre les activistes des deux partis ne s’était, elle, jamais faite. Séparément, les deux partis auraient sans doute mieux fait. En s’associant, le PTr et le MMM se sont mutuellement causé du tort.

En face des géants rouge et mauve qui tentaient de trouver un semblant d’équilibre, il y avait un assemblage hétéroclite de petits partis, menés par le Mouvement socialiste militant (MSM). À l’image du combat de David contre Goliath, la preuve a été faite qu’un minus comme le MSM pouvait effectivement gagner en montrant suffisamment de créativité, d’innovation et de connexion avec les «bread and butter issues» du peuple. comparaison.png

  1. En novembre 2019, le PTr retrouve son allié intime, le PMSD, mais en face, l’Alliance Morisien, constituée du MSM et du Muvman Liberater, remporte la majorité des sièges avec 37 % des votes (ce qui représente 27 % des électeurs inscrits). Le pays se retrouve déchiré en deux, voire en trois : un peu plus d’un tiers pour le MSM, et le reste pour le PTr-PMSD et le MMM, entre autres. Il y a aussi une claire dichotomie entre le vote rural et le vote urbain.

L’exploit du leader du MSM réside dans l’impressionnant fait qu’il a pu, malgré tous les scandales qui ont émaillé son régime depuis 2014, légitimer, par la grande porte, le pouvoir que lui avait légué son père, sous les critiques. D’autant qu’il a su, cette fois-ci sans son père sur la liste, damer le pion, d’une part, au tandem Ramgoolam-Duval et, de l’autre, à Paul Bérenger, pour faire émerger le MSM comme le plus grand parti du pays. Ce qui est en soi la success story la plus fulgurante dans les annales politiques de Maurice.

  1. Alors que la découpe des 60 tickets agite l’opposition parlementaire – avec le PTr se taillant la part du lion avec 35 tickets, et le MMM et le PMSD qui se battent pour les 25 tickets qui restent, ne laissant même pas des miettes aux autres petits partis, comme Rezistans ek Alternativ ou Linion Moris – une analyse des tableaux des pourcentages de votes en 2014 et 2019 pourrait aider à mieux comprendre pourquoi le PMSD ne veut plus se contenter de moins de dix tickets et pourquoi le MMM résiste encore, malgré tout… Une analyse des tableaux de 2014 et de 2019 est parlante. Chacun pourra y aller de son interprétation, bien évidemment.