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Industrie du cinéma
Tournages de films étrangers: Un secteur plongé dans le noir
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Tournages de films étrangers: Un secteur plongé dans le noir

Photo : Maluti Communication
A l’écran, si «Lune de miel avec ma mère», film tourné en grande partie à Maurice, a attiré beaucoup d’attention sur Netflix, en coulisses l’écosystème gravitant autour des tournages d’équipes étrangères est pratiquement à l’arrêt. Zoom sur des travailleurs qui manquent de boulot, malgré de gros investissements.
Le jeudi 13 février, las d’attendre qu’une nouvelle scène se joue, Zia Eckburally, directeur de Cine Equipment Rentals Ltd, a invité plusieurs acteurs-clés, non seulement pour une visite des installations à Jin Fei, mais surtout pour un gros plan sur divers blocages qui affectent l’écosystème gravitant autour des tournages de films étrangers à Maurice.
Sur le plateau, il a reçu Dhaneshwar Damry, junior minister aux Finances (ministère de tutelle de l’Economic Development Board – EDB –, organisme qui octroie le Film Rebate Scheme), ainsi que Nanda Narrainen, directeur du département des Creative industries à l’EDB. Mais aussi le ministre des Collectivités locales, Ranjiv Woochit, ainsi qu’un représentant du ministère des Arts et de la culture, ministère de tutelle de la Mauritius Film Development Corporation (MFDC). Des confrères d’autres sociétés de production étaient aussi présents.
«Nous avons voulu leur montrer les investissements que nous avons réalisés depuis 2017. Nou pe soufer parski pena lakantite travay ki bizin. Nous voulions savoir quels sont les changements qu’ils prévoient», explique Zia Eckburally.
En plus de s’occuper de la location d’équipements de tournage, il a aussi été chef éclairagiste sur les plateaux de Serenity, Ni chaînes ni maîtres et Lune de miel avec ma mère, entre autres. «Je suis dans le domaine depuis 2008».
Pour lui, ce secteur n’est pas encore reconnu comme une industrie, avec un cadre légal dédié. Il est morcelé entre le ministère des Arts avec la MFDC et le ministère des Finances avec l’EDB. «À chaque nouveau gouvernement, c’est un apprentissage qu’il faut faire avec les responsables fraîchement nommés. Nous leur avons montré que le secteur est profitable». Et que même si à chaque régime, l’industrie du cinéma a «toujours été un outil de marketing pour la Mauritius Tourism Promotion Authority, le cinéma est, en lui-même, une industrie, avec une clientèle en devises».
Le moteur reste le Film Rebate Scheme, remboursement de 30 % à 40 % des dépenses de tournage faites localement, dépendant du budget du film, explique Zia Eckburally. Non seulement «personne ne viendra pour les belles plages et les montagnes mais nou nepli ena li». Entre l’accaparement des plages par des promoteurs et l’immobilier planté à flanc de montagne, les vues imprenables se sont raréfiées, déplore le technicien lumière. «Trouver une maison coloniale est devenu très difficile.»
De nombreux autres pays proposent aussi des Film Rebate Scheme allant jusqu’à 40 %. Ce qui joue contre nous c’est «la lenteur administrative, non seulement avant d’approuver les tournages de films étrangers mais aussi pour l’audit des factures et le décaissement de l’argent». Les procédures stipulent que pour le tournage d’un film étranger, une compagnie enregistrée localement – un Special Purpose Vehicle – doit être créée. L’argent du Film Rebate Scheme est versé sur le compte de cette compagnie. «Mais certains producteurs avec des fonds à Maurice n’arrivent pas à toucher l’argent à cause du manque de devises sur le marché.»
S’agissant de la lenteur administrative, son expérience personnelle lui a appris qu’un tournage, qui a attendu trois mois avant d’avoir le feu vert de l’EDB, a préféré aller ailleurs. «Les productions sont calées en fonction de la disponibilité des acteurs. Si l’accord ne vient pas à temps, le tournage va dans un autre pays». Zia Eckburally estime qu’entre 2023 et 2024, «nous avons perdu au moins cinq films à cause des retards». En 2024, l’unique tournage de film qui l’a engagé c’était Lune de miel avec ma mère pour Netflix France. À côté, il a travaillé sur quelques publicités. «Comment survivre avec ça ?» Ce qui explique pourquoi le secteur a «perdu du personnel technique que nous avons mis des années à former».
Lune de miel avec ma mère : une «avancée pour l’industrie locale»
«Voir un film comme Lune de miel avec ma mère atteindre la première place sur Netflix est une véritable avancée pour l’industrie du film local», affirme Jeremy Nathan, coproducteur et président-directeur général de Film Studio Mauritius. *«Nous avons l’équipement, les professionnels formés et le soutien du gouvernement pour construire une industrie cinématographique durable, avec des emplois à long terme.» Selon lui, la prochaine étape est de «renforcer cet écosystème et de promouvoir encore plus activement Maurice comme une destination de premier choix pour le cinéma».
À la mi-février, Lune de miel avec ma mère avait dominé le classement des films les plus vus sur Netflix, «figurant dans le top 10 de plus de 100 pays»
Chez nous aussi, le film est arrivé en tête du classement, le public reconnaissant au passage les comédiens Denis Félicité (dans le rôle d’un dealer de cannabis) et Jake François (qui joue l’employé d’hôtel un peu souffre-douleur). C’est un esprit camping transposé dans le cadre d’un hôtel de standing. La scène où boire un verre d’eau du robinet dans un établissement de luxe donne une grosse colique a occasionné pas mal de commentaires, tout comme la présence du dealer dans le film et l’utilisation d’un gros mot local. Si certains s’interrogent sur la «mauvaise» image de Maurice qui est ainsi véhiculée, d’autres n’y voient que de la pure fiction. Est-ce que l’EDB a un droit de regard sur le script ? Une source indique que les équipes de tournage sont tenues de soumettre le scénario mais que des aménagements sont toujours possibles. «Le rôle de l’EDB ne concerne pas l’artistique. Les questions sur l’image arrivent parce que nous sommes encore une très jeune industrie. Prenez Il était une fois à…Hollywood avec Brad Pitt et Leonardo Di Caprio. On y parle de crime à Hollywood mais est-ce que cela donne pour autant une mauvaise image de Hollywood ? Pas du tout.»
Dans «Lune de miel avec ma mère», derrière Michèle Laroque on reconnaît le comédien mauricien Jake François. Photo : Maluti Communication
Des techniciens pour deux tournages à la fois: Y a-t-il assez de personnel technique formé à Maurice, pour les métiers du cinéma ? Pour Andreas Habermayer, «Chief Executive OfficerK (CEO) d’Identical Pictures, «on trouve suffisamment de techniciens pour deux équipes de tournage à la fois. Il en faut plus».Photo : Maluti Communication
Film Rebate Scheme : dossiers en suspens depuis novembre 2024
L’attente. Comme l’EDB n’a pas encore de CEO, les décisions sont en stand-by. «Depuis novembre 2024, il n’y a pas eu de comités pour trancher sur les dossiers d’application pour le Film Rebate Scheme. Nous attendons tous, y compris ceux avec des projets de tournage pour Netflix. Cela dure depuis trois mois, c’est assez frustrant. Une partie du secteur ne vit plus. Aucun d’entre eux ne travaille». Propos de Niven Pareemanen de Nine Pictures Company. Il a été producteur exécutif de Ni chaînes ni maîtres. Le secteur attend aussi de connaître l’orientation que donneront les nouveaux décideurs à cette activité économique.
Pour sa part, ses activités se concentrent sur la vidéo et les tournages de publicités. En attendant de concrétiser un film mauricien intitulé Squeleton in the closet. Si le tournage était initialement prévu pour mars 2025, il a été repoussé à mi-mai 2025. Avec une sortie locale programmée pour le 14 février 2026. «Ce sera une comédie noire avec un couple enfermé dans une maison.» Grâce à la visibilité que lui a donnée Ni chaînes ni maîtres, il a noué des collaborations, dont «un acteur français qui sera la tête d’affiche. Nous lui donnons le billet d’avion et l’hébergement. Pas de cachet».
Corps paraétatiques: Et si on fermait la MFDC ?
Sous l’ancien régime, l’un des accomplissements de la MFDC c’est que pour l’année financière 2016- 2017, le Budget lui a accordé Rs 10 millions pour l’achat d’équipements de tournage. «En faisant cela, la MFDC est devenue un compétiteur direct des sociétés privées de location d’équipements», souligne Zia Eckburally. «L’État n’a mis que Rs 10 millions alors que depuis 2017, notre société a investi trois millions de dollars dans des équipements.» Des investissements en continu à cause des rapides évolutions technologiques. «Il y a des compagnies étrangères qui reprennent nos anciens équipements pour que l’on en rachète d’autres.»
Il affirme que la MFDC devrait être un facilitateur, un «one stop shop» pour les investisseurs dans le secteur cinématographique. Zia Eckburally va plus loin, proposant de remplacer la MFDC par un Film Commission Office qui octroierait tous les permis nécessaires pour les tournages. «Actuellement, la MFDC donne un permis pour aller demander la permission.» Exemple, pour tourner sur une plage, la Beach Authority exige un permis de la MFDC. Pour ce qui est des subventions aux tournages locaux, le technicien propose que l’argent public soit payé directement aux fournisseurs de services, pour limiter, voire éviter, les maldonnes des fausses factures. «Il faut que l’on soit sûr que l’argent public est utilisé pour développer l’industrie et non pas pour être empoché par certains.»
«Les Mauriciens n’ont pas encore compris pourquoi l’État rembourse les équipes de tournage»
«Si j’étais à l’EDB, j’aurais fait une campagne d’information. Les Mauriciens n’ont pas encore compris pourquoi l’État rembourse les équipes de tournage étrangères». Constat d’Andreas Habermayer, CEO d’Identical Pictures. «On n’explique pas à quel point les tournages rapportent de l’argent à l’économie locale.»
Il détaille les trois phases de ce cercle vertueux. D’abord, un producteur de film investit, mettons «50 millions de dollars. La somme est dépensée à Maurice. L’État gagne 150 millions». Deuxième phase : cela génère une véritable industrie avec «l’installation de studios, d’écoles de cinéma, la création de sociétés de location d’équipements et de services, des hébergements dédiés pour les équipes de tournage. Il y a un effet multiplicateur». Troisième étape : quand un film tourné à Maurice fait un carton au box-office, «comme Resort to love (NdlR : diffusé sur Netflix en 2021) avec Christina Milian, il y a une hausse de 4 % dans les arrivées touristiques des États-Unis. Le public a envie de voir en vrai les magnifiques paysages qu’il a vus à l’écran».
Tout en souhaitant que le Film Rebate Scheme soit maintenu par le nouveau gouvernement, il confie qu’à l’heure actuelle, «c’est un peu compliqué de se faire rembourser». L’EDB a un nouveau chairman : Sanjay Bhunjun, nommé au début du mois, mais pas encore de CEO. «Les autorités devraient cibler leurs efforts pour attirer plus de films à gros budget.»
Andreas Habermayer explique que Lune de miel avec ma mère (en anglais Honeymoon crashers) a été coproduit par son ancien partenaire. «Nous avons fait la version espagnole (NdlR : Sous les palmiers, ma mère, en anglais Honeymoon with my mother – 2022) du film et il a fait la version française.» Andreas Habermayer, en se basant sur des chiffres de la Mauritius Tourism Promotion Authority, affirme qu’après la diffusion sur Netflix de la version espagnole, «il y a eu une augmentation de 5 % du nombre de touristes espagnols à Maurice».
Une série télé mauricienne à venir
Sans spoiler les projets à venir, il indique que son agenda pour 2025 comprendra le tournage d’«une série télé mauricienne sur les aventures d’un avocat. Cela montrera la vie locale». Il prévoit aussi le tournage de quatre films, «la plupart sont des équipes américaines, dont un film Netflix. Il y aura un film inspiré d’une histoire vraie, un film d’action, un thriller. Big stars are coming», affirme-t-il. Mais aucun nom n’a été cité.
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