Publicité
Retraite à 65 ans
Travailler jusqu’à l’usure ? Impossible, tonnent les syndicats
Par
Partager cet article
Retraite à 65 ans
Travailler jusqu’à l’usure ? Impossible, tonnent les syndicats

■ Avec l’âge du paiement de la retraite passée prochainement à 65 ans, les Mauriciens devront prendre leur mal en patience. (Photo: AFP)
Alors que le gouvernement campe sur sa décision de repousser l’âge de la pension universelle à 65 ans, la colère gronde chez les syndicats. Pour eux, cette réforme, présentée comme un ajustement économique nécessaire, ignore une réalité sociale criante : celle des Mauriciens qui, à partir de la cinquantaine, se retrouvent mis à l’écart du monde du travail. Faute d’emplois, d’accompagnement ou de considération, ils sont nombreux à vivre dans l’angoisse de l’attente. Mais que font-ils donc entre 50 et 65 ans ?
«Il faut comparer ce qui est comparable !», tonne Stéphane Maurymoothoo, fondateur du Regrupman Artizan Morisien. Il déplore que la réforme soit justifiée en miroir de modèles européens sans prendre en compte les réalités locales. «Un maçon ici travaille encore à l’ancienne, sans machine ni équipement moderne. À l’étranger, le métier a été valorisé et mécanisé depuis les années 60. Le Mauricien, lui, doit crépir à la main, monter sur les échafaudages, sans aucune protection. Et on lui demande de continuer jusqu’à 65 ans ?», s’indigne-t-il.
Il questionne aussi l’absence d’étude médicale préalable : «Est-ce qu’on a évalué si un ouvrier ou un artisan peut réellement continuer à exercer physiquement après 60 ans ? Non. On a seulement vu l’aspect économique. Mais socialement et humainement, cette réforme est déconnectée.» À ses yeux, c’est toute la structure professionnelle du pays qu’il faut revoir, en commençant par revaloriser les métiers manuels et assurer des revenus décents pour ceux qui y consacrent leur vie.
Amarjeet Seetohul, président de la Ministry of Health Employees Union, partage cette inquiétude, mettant l’accent sur les personnels de santé : «Les infirmiers, les aides-soignants, travaillent en shift, souvent la nuit. Leur corps est constamment en déséquilibre, privé de récupération. Cela accélère leur vieillissement. En plus, ils font un métier extrêmement exigeant physiquement : soulever les patients, s’en occuper 24/7. À 60 ans, beaucoup ont déjà des douleurs chroniques, des problèmes de dos, et cumulent les comorbidités comme le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires.» Il plaide pour des évaluations médicales obligatoires avant toute prolongation d’activité : «Ceux qui souhaitent continuer après 60 ans devraient passer un fitness test. Mais dans tous les cas, l’épuisement est bien réel. Et le manque de personnel aggrave leur charge.» Il ajoute que les aides-soignants, en particulier, n’ont aucune perspective de promotion et restent à leur poste toute leur vie : «Comment imaginer qu’ils puissent encore tenir cinq ans de plus ?»
La précarité des plus de 50 ans touche aussi fortement le secteur privé. Fayzal Ally Beegun, syndicaliste, rappelle que nombre de travailleurs du secteur manufacturier sont remerciés entre 47 et 52 ans, souvent sans espoir d’être réembauchés : «Quand une entreprise ferme ou réduit ses effectifs, le travailleur mauricien reçoit une compensation. Mais ensuite, il ne retrouve pas d’emploi à cause de son âge. Les compagnies préfèrent embaucher des étrangers jeunes, entre 22 et 30 ans, robustes, sans antécédents médicaux. Et nos travailleurs ? Que font-ils pendant plus de dix ans en attendant la pension ?» Il dénonce une hypocrisie politique : «Au Parlement, certains députés refusent qu’on touche à leur salaire, au nom de leurs responsabilités familiales. Mais que dire de ceux qui n’ont plus de revenus du tout à partir de 50 ans ? Ils ont, eux aussi, des familles à nourrir.»
La nouvelle condition d’exclure les personnes gagnant plus de Rs 10 000 de la pension de transition n’arrange rien. «Le salaire minimum est déjà supérieur à Rs 10 000. C’est une aberration. On pousse les gens à la désobéissance civile. Le peuple grogne car il sent qu’on le méprise», déclare Fayzal Ally Beegun. Stéphane Maurymoothoo conclut sur une note alarmante : «Maurice est un pays où le diabète et l’hypertension sont des fléaux. Après 50 ans, c’est là que les complications commencent. Peut-on vraiment demander à une population affaiblie de travailler jusqu’à 65 ans, sans soutien, sans outils, sans valorisation ? Il faut repenser tout le système.»
Les syndicats, dans leur ensemble, appellent donc à une réévaluation de cette réforme, fondée sur des critères médicaux, sociaux et humains. Car derrière les chiffres du Budget, il y a des visages fatigués, des mains usées, des corps usés avant l’heure. Et une question cruciale : quelle dignité reste-t-il à offrir aux travailleurs mauriciens, entre 50 et 65 ans ?
Voir aussi sur lexpress.mu – Retraite à 65 ans : L’ITUC-Africa interpelle le gouvernement mauricien
Publicité
Publicité
Les plus récents




